La célébration du texte fondateur, 50 ans après sa signature, ressemble à une figure imposée.
Les cérémonies organisées sont loin du projet fondateur de De Gaulle et Adenauer. Berlin, |
point de convergence d’un ballet médiatique et de rencontres au plus haut rang. Mais des |
attentes modestes sur l’approfondissement du traité de l’Elysée. « Vous vous attendiez à quoi |
? Une révolution ? » interpelle un diplomate allemand. Ces noces d’or de l’amitié franco- |
allemande auraient pu être l’occasion de lancer un « nouveau traité », ainsi que le suggérait, il |
y a un an, le candidat François Hollande. Cette proposition s’est cependant heurtée aux |
divergences de vues importantes entre les deux voisins. Le souvenir de l’entente entre le |
général de Gaulle et Konrad Adenauer, qui scelle, le 22 janvier 1963, la réconciliation entre |
deux ennemis héréditaires, exprimait un symbole fort, aujourd’hui difficile à égaler. Les |
débuts des relations de ce couple franco-allemand n’ont pourtant pas été faciles. A son arrivée |
au pouvoir, en 1958, le Général de Gaulle a « la réputation d’être anti-allemand et anti- |
européen », se souvient Jacques Jessel, secrétaire d’ambassade en République démocratique |
allemande au moment de la signature du traité. Mais les deux hommes finissent par se |
rapprocher à la faveur d’un séjour du chancelier allemand à Colombey-les-deux-Eglises, en |
1958, sur invitation du général de Gaulle. Quatre ans plus tard, c’est au tour du président |
français de rejoindre son partenaire en Allemagne. Konrad Adenauer, alors en délicatesse |
avec sa majorité, se laisse convaincre par Paris du projet d’une politique étrangère et de |
défense commune aux deux pays. En janvier 1963, le traité d’amitié voit le jour. |
Forces centrifuges |
« C’est une solution de repli pour le général de Gaulle, après l’échec, au niveau européen, du |
plan Fouchet », rappelle Corinne Defrance, chercheuse au CNRS spécialiste de l’Allemagne. |
Mais le Bundestag allemand « savait très bien où il voulait en venir », précise-t-elle. La |
ratification du texte, accompagnée d’un préambule rappelant l’attachement des parlementaires |
au maintien dans l’OTAN restreint d’emblée la portée du traité. Le général de Gaulle, qui |
pensait pouvoir consommer l’union avec son partenaire allemand, se désole du risque de |
stérilité pesant sur la relation bilatérale. « Je suis resté vierge », déplore-t-il alors. Le départ |
anticipé de Konrad Adenauer, en 1963, n’aide pas à lancer le traité. Le général De Gaulle doit |
alors composer avec le chancelier Ludwig Ehrard, attaché à l’entrée des Britanniques dans |
l’UE et peu féru de coopération franco-allemande. Les dix années qui suivent la signature du |
traité donnent donc à voir une France et une Allemagne éloignées sur la politique |
internationale : « Curieusement, Georges Pompidou était très méfiant sur l’Ostpolitik conduite |
par Willy Brandt. Il fit une très mauvaise analyse, alors que la reconnaissance de la RDA était |
limitée », commente Jacques Jessel. |
Embellie |
La cohésion du tandem entre Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, fervents |
européens, donne chair au traité de l’Elysée. La solidarité entre François Mitterrand et Helmut |
Kohl, notamment lors de la crise des euromissiles, poursuit ce travail. « Pourtant hostile au |
traité à l’origine, Mitterrand a soutenu tout ce qu’il y avait dedans et l’a même prolongé », |
relève Jacques Jessel. La coopération dans le domaine de l’éducation et de la jeunesse porte |
ses premiers fruits à partir des années 1970. L’Office franco-allemand pour la jeunesse |
(OFAJ), organisme indépendant des deux gouvernements, popularise les projets associatifs |
mettant en relation la jeunesse des deux côtés du Rhin. Les lycées franco-allemands voient |
également le jour. Ils précèdent un ensemble d’initiatives sur l’enseignement supérieur qui |
déboucheront, en 1997, sur l’Université franco-allemande (UFA). En parrallèle, la chaîne de |
télévision franco-allemande Arte voit le jour. |
Apprendre à se connaître
Ces avancées dans les relations franco-allemandes sont à mettre au crédit du cadre politique |
mis en place par le traité de l’Elysée. « Les grandes décisions au sommet ne sont que la partie |
émergée de l’iceberg. L’imbrication très forte des deux administrations a permis aux deux |
pays d’aplanir leurs différences », explique Marion Gaillard, maître de conférences à Sciences |
Po. Mais le moteur franco-allemand s’essouffle. La création, en 1988, du conseil économique |
et financier ne cache pas l’opposition structurelle entre Paris et Berlin. La France et |
l’Allemagne, une complémentarité conflictuelle A la suite des négociations désastreuses du |
traité de Nice, en 2000, qui voient éclater au grand jour la rivalité entre la France et |
l’Allemagne sur le plan européen, le processus de Blaesheim, prévoit des rencontres |
informelles régulières entre les deux dirigeants et créé le conseil des ministres franco- |
allemand. Faute d’avoir permis de forger une ligne d’action commune, ces instances |
permettent aux deux pays de « retomber sur leurs pattes en douceur, car des tensions assez |
dures peuvent survenir », souligne Claire Demesmay, spécialiste des relations franco- |
allemandes pour le think tank DGAP. Négocié dans le cadre d’une amitié entre deux |
hommes, mis de côté pendant une décennie, ressuscité pendant les années 70, l’accord franco- |
allemand ne doit pas être pris pour ce qu’il n’est pas : un remède miracle. « Les traités sont |
comme les jeunes filles et les roses ; ça dure ce que ça dure, relativisait déjà le général de |
Gaulle. Si le traité franco-allemand n’était pas appliqué, ce ne serait pas le premier dans |
l’histoire. » Souvent présenté comme le domaine de réussite le plus tangible, la coopération |
culturelle entre les deux pays a elle aussi besoin d’un coup de fouet pour ne pas s’enliser. Au |
sein de la chaîne Arte, emblématique du rapprochement des deux pays, seuls 30 % des |
journalistes français nouvellement recrutés maîtrisent la langue de Goethe.
L’esprit perdu du traité de l’Elysée Source, journal ou site Internet : euractiv |