Les musées nationaux de l’Histoire américaine et de l’Histoire et de la culture afro-américaines de l’Institut Smithsonian font à nouveau équipe pour monter une exposition qui porte à réflexion, Changer l’Amérique : de la Proclamation d’émancipation, en 1863, à la Marche sur Washington, en 1963. Cette exposition se poursuivra pendant presque tout 2013, année anniversaire importante pour ces deux évènements.
« De nombreux liens relient ces deux évènements pivot. Ils sont liés dans cette longue trajectoire de la lutte des peuples à trouver justice, liberté et à participer à l’expérience américaine », a déclaré Harry Rubenstein, co-conservateur de l’exposition. Selon lui, ces évènements sont liés car les leaders de la marche « ont su tirer profit de l’anniversaire de la Proclamation d’émancipation afin de donner encore plus de poids à leur combat ».
L’entrée dans l’exposition se fait à travers un couloir rempli de photos grandeur nature. Une foule d’Afro-américains de 1863 fait face à un groupe similaire de la manifestation de 1963, séparés par quelques générations et quelques mètres. Selon M. Rubenstein, l’idée des conservateurs était de « placer ensemble deux instantanées de deux moments de l’Histoire et de laisser au visiteur le soin de remplir le vide ».
De nombreux sujets et matières à réflexion sont exposés ici. La partie sur la Proclamation d’émancipation expose de nombreux objets puissants et provocants : publicités pour des ventes d’esclaves, fers ayant servi à enchaîner des enfants esclaves, une Bible ayant appartenu à Nat Turner, le meneur de la révolte des esclaves de 1831, ouverte à une page du livre des Révélations, mais aussi affaires ayant appartenues à l’abolitionniste Harriet Tubman et une canne en ivoire que des admirateurs ont offert à John Quincy Adams pour avoir finalement réussi à s’opposer à la « règle du bâillon », qui interdisait de débattre de la question de l’abolition de l’esclavage au Congrès.
Le costume noir de Lincoln, élimé aux poignets pour avoir signé des centaines de documents, et le chapeau haut-de-forme qu’il portait la nuit de son assassinat au théâtre Ford font également partie des articles exposés représentatifs de cette période. On peut aussi voir une lettre dans laquelle il proclame son soutien au vote des Noirs, écrite à Michael Hahn, gouverneur nouvellement élu de la Louisiane, et suite à la demande de réadmission de cet État dans l’Union. Lincoln faisait part publiquement de son opinion en la matière dans son dernier discours, trois jours avant d’être assassiné.
Les photos et objets illustrent comment un contrecoup à l’abolition de l’esclavage dans les États sudistes a pu aboutir au passage des lois de « Jim Crow », discriminatoires et ségrégationnistes, et aux violences à l’encontre des Afro-américains par des groupes comme le Ku Klux Klan. Un impôt sur le vote interdisait aux pauvres de voter. Et pourtant, les abolitionnistes ont continué à lutter en faveur des droits civiques. Le Jour de l’an est devenu le Jour d’émancipation et des défilés commémoratifs ont fait en sorte de garder le souvenir intact.
Des films vidéo, créés en collaboration avec la chaîne de télévision Histoire, expliquent la signification de la Proclamation d’émancipation et de la Marche sur Washington au travers de mots d’historiens et de participants.
La partie de l’exposition sur la Marche sur Washington fait entrer le visiteur dans le tumulte de l’action politique. Un film passe en continu des extraits vidéo des discours et des prestations en marge du défilé. Les conservateurs ont souhaité recréer le sentiment de faire partie de cette foule diversifiée de 250.000 personnes présentes ce 28 aout 1963.
« Lorsque vous assistez à une manifestation de cette ampleur… vous ne pouvez pas entendre tous les discours, vous allez et venez, a expliqué M. Rubenstein. Nous voulions créer un environnement qui pourrait vous le faire vivre comme si vous y étiez. Grâce à cette exposition, nous voulions également vraiment mettre l’accent sur le fait que d’une part, les leaders étaient une inspiration, mais que, d’autre part, c’était un mouvement du peuple. »
En organisant un défilé au Mémorial de Lincoln, les leaders du mouvement ont indubitablement établi le lien entre cet évènement et la Proclamation d’émancipation, dont c’était le centième anniversaire cette année-là.
Les leaders de la lutte pour les droits civiques sur cette estrade avaient guidé le mouvement au cours de longues et difficiles décennies de militantisme. Un moment majeur a été le boycott réussi du bus de Montgomery, en Alabama, pendant plus d’un an, mené par un jeune révérend, Martin Luther King Jr. Ce dernier a fait son célèbre discours « Je fais un rêve » lors de la Marche sur Washington. D’autres militants expérimentés, comme A. Phillip Randolph, Roy Wilkins et James L. Farmer Jr., ont également pris la parole lors du défilé.
L’exposition reconnaît les efforts du pacifiste Bayard Rustin, militant clé de la lutte pour les droits civiques et organisateur doué de la Marche sur Washington. Son rôle vital a longtemps été minimisé car il était ouvertement homosexuel et ancien membre du parti communiste. Sa montre gousset en or, offerte par Martin Luther King et portant l’inscription « De Martin à Bayard pour le 28 aout 1963 », est un témoignage exposé touchant.
Des manifestations en faveur des droits civiques se sont déroulées dans tous les États-Unis. Des souvenirs provenant de ces défilés et de la Marche sur Washington - boutons, affiches, panneaux - font renaître ces évènements.
En dépit des succès, il restait encore un long chemin à parcourir. La preuve tient dans les morceaux de vitraux de l’église baptiste de la 16e rue à Birmingham, en Alabama, où quatre fillettes sont mortes dans l’attentat à la bombe qui a touché l’église, quinze jours après la manifestation.
Dès 1964, le mouvement pour les droits civiques avait pris suffisamment d’ampleur pour assurer le passage de la loi sur les droits civiques au Congrès américain, promulgué ensuite par le président Lyndon Johnson le 2 juillet 1964. La loi sur le droit de vote a suivi en 1965.
Des années d’organisation ont abouti au mouvement réussi de la lutte pour les droits civiques. De la même façon, il aura fallu des décennies pour préparer une exposition de cette envergure. Pour M. Rubenstein : « Qu’une institution soit en mesure de monter un tel projet implique que des générations de conservateurs aient compris l’importance de tous ces documents. »