Ils sont parmi les agents les plus privilégiés de la République. Salaires, primes, régimes de retraite, prêts immobiliers à des taux bonifiés: un livre révèle des pratiques sidérantes.
Voici une enquête ô combien fouillée, écrite par un journaliste particulièrement minutieux, Bruno Botella: dans Petits Secrets et grands privilèges de l'Assemblée nationale, on en apprend de belles sur le temple de la démocratie, qui se révèle être le lieu de tant de combines et d'opacité. Aucun poujadisme ici, seulement l'exigence, tellement pressante par les temps qui courent, d'une rigueur absolue.
Voyons quels sont leurs privilèges avec Agnès Verdier-Molinié, Yves
Thréard, Bernard Vivier et Luc Bérille qui répondent à Yves Calvi.
Quelques extraits :
Yves Thréard : "Les fonctionnaires ce qu'ils veulent, c'est le beurre
et l'argent du beurre."
Agnès Verdier-Molinié : "La dépense publique passe par des impôts et
ces impôts grèvent la création de richesse, d'entreprises, d'emplois marchands...Il y a plus d'augmentation dans la fonction publique que dans l'emploi privé".
Bernard Vivier : "En 10 ans, la fonction publique territoriale a
augmenté de presque 500 000 fonctionnaires !"
Luc Bérille: "Un fonctionnaire en l'état actuel ne peut pas se
retrouver au chômage"
Extraits
Tout fonctionnaire qui entre à l'Assemblée nationale a vocation à y rester toute sa vie. Ses quarante ou quarante-cinq ans de vie professionnelle sont généralement balisés. Les métiers sont nombreux, les possibilités de promotion interne aussi, et sa carrière se déroule sous cloche, dans un îlot doré du VIIe ar-rondissement de Paris. [NDLR: le statut impose des contraintes, notamment la disponibilité absolue.] Heureusement, les fonctionnaires de l'Assemblée sont suffisamment nombreux pour accomplir leur tâche et ne pas paralyser la fabrication des lois.
Les métiers sont nombreux, les possibilités de promotion interne aussi, et sa carrière se déroule sous cloche, dans un îlot doré du VIIe arrondissement de Paris
Alors qu'ils étaient 460 dans les années 1930, sous la IIIe République, à une époque où le coeur de la vie politique battait au Parlement, on en recense plus de 600 dans les années 1960, sous la Ve République. Cinquante ans plus tard, leur nombre a plus que doublé : les comptes officiels de l'Assemblée mentionnent, fin 2011, 1 233 fonctionnaires et 99 contractuels. Depuis 2008, en particulier depuis que Bernard Accoyer a demandé le gel de la dotation annuelle de l'Assemblée, puis une baisse de 3% pour 2012 (518 millions d'euros), la courbe des effectifs de fonctionnaires s'est infléchie de 3%. Avec 19 postes en moins en 2011, pour 44 départs à la retraite, l'Assemblée s'approche presque de la règle en vigueur sous le quinquennat Sarkozy du non-remplacement d'un agent sur deux quittant la fonction publique. En 2010, les effectifs avaient également reculé, avec 7 postes en moins (- 0,55%), mais cette baisse avait été contrebalancée par la hausse de 7,2% du nombre de contractuels. [...]
Si l'Assemblée nationale s'est pliée, bon gré mal gré, à la règle du non-remplacement d'un agent sur deux partant à la retraite, l'institution a surtout appliqué à la lettre un objectif scandé durant cinq ans par le gouvernement Fillon: moins de fonctionnaires, mais (encore) mieux payés. En échange de gains de productivité, c'est-à-dire à condition de travailler plus et mieux, les fonctionnaires de l'Etat devaient gagner plus. Cette règle, inégalement appliquée dans les administrations de l'Etat, a ici été respectée avec zèle si l'on en croit les comptes 2011. Malgré une (légère) baisse des effectifs (- 1,5%), les charges de personnel ont augmenté de plus de 3 millions d'euros (+ 1,84%), dont 2,4 millions pour les seules rémunérations, en hausse de 2%. Le budget initial tablait pourtant sur une quasi-stabilité de ce poste de dépenses. Optimistes, les députés ont inscrit pour l'exercice 2012 des charges de personnel en recul de 2,67%. Rendez-vous est pris pour le printemps 2013, au moment de l'arrêt des comptes, pour voir s'ils sont parvenus à inverser la vapeur.
Accrochez-vous bien, les chiffres sont scandaleux.
Car, selon une étude de la fondation iFRAP, think tank d'inspiration libérale, l'envolée des frais de rémunération des fonctionnaires de l'Assemblée est une tendance lourde : + 35,2% de 1997 à 2010. Au total, les charges de personnel représentent 31% du budget, contre 25% pour le Bundestag allemand ou la Chambre des communes britannique. A titre de comparaison, selon le rapport annuel officiel sur l'état de la fonction publique, les dépenses de personnel des administrations de l'Etat représentaient un quart de leur budget en 2010. Même taux pour les collectivités locales.
Le cas très particulier de l'Assemblée s'explique avant tout par le niveau élevé des rémunérations perçues par les fonctionnaires. C'est l'un des secrets les mieux gardés de la République. En 1986, Jean-Louis Debré est élu pour la première fois député de l'Eure. Le nouveau parlementaire, qui était jusqu'alors magistrat, découvre avec surprise qu'il "gagnait bien moins comme magistrat antiterroriste que le chef des huissiers de l'Assemblée". Jean-Louis Debré, qui a grandi dans les palais de la République, croyait pourtant bien connaître la maison.
Vingt-six ans plus tard, les salaires restent toujours hors normes. Ce n'est pas tant la rémunération de base qui en fait des emplois en or massif, ce sont les primes, en moyenne plus élevées que le traitement "principal" ! Selon les comptes 2011, l'Assemblée a versé 53,36 millions d'euros de rémunération de base et 63,91 millions d'indemnités dites "de travaux supplémentaires de législature" et "autres indemnités". Ce qui représente un taux de primes de 120%, contre 25,4% en moyenne pour les fonctionnaires d'Etat.
Au total, sur l'année 2011, en comptant les primes, le salaire brut versé en moyenne aux fonctionnaires de l'Assemblée, toutes catégories confondues, a atteint 94 344 euros, soit 7862 euros brut par mois. En moyenne ! Pour les fonctionnaires d'Etat, en 2009, c'était 33 958 euros par an, primes comprises, soit 2830 euros brut par mois. Selon l'iFRAP, les rémunérations maison sont de 77% plus élevées que celles d'un fonctionnaire allemand du Bundestag et une fois et demie celles d'un agent britannique de la Chambre des communes. [...]
Si les plus hauts salaires peuvent paraître exorbitants, les rémunérations des cadres moyens de l'Assemblée ou des agents de base feraient rêver n'importe quel fonctionnaire d'un corps équivalent
Pour le sommet de la pyramide, c'est-à-dire les deux secrétaires généraux, on atteint même les 20 000 euros mensuels. [...] Si les plus hauts salaires peuvent paraître exorbitants, les rémunérations des cadres moyens de l'Assemblée ou des agents de base feraient rêver n'importe quel fonctionnaire d'un corps équivalent. Les huissiers, par exemple, qui, malgré le prestige de la fonction, font partie du simple corps des agents, finissent leur carrière à plus de 5000 euros net. Les secrétaires de services perçoivent 2800 euros net en début de carrière et peuvent approcher les 5000 euros en fin de carrière. Mais on reste loin des administrateurs, censés recevoir en début de carrière, selon la brochure officielle des concours, 3600 euros net par mois, qui atteignent assez vite les 6000 euros mensuels. Et jusqu'à 10 000 euros avec une bonne ancienneté. [...]
Si le salaire rend particulièrement attractive une carrière dans les services de l'Assemblée nationale, les fonctionnaires disposent d'autres avantages, qu'ils partagent d'ailleurs avec les députés. Comme l'a pointé la Cour des comptes dans son rapport secret, l'Assemblée nationale a longtemps joué les banquiers en accordant au personnel et aux députés jusqu'à 100 000 euros de prêts à taux bonifiés, essentiellement pour des investissements immobiliers. Cela représentait, fin 2011, 127,85 millions d'encours que l'Assemblée nationale mettra des années à ramener à zéro. En 2009, dernière année pleine du dispositif, pas moins de 233 prêts ont été accordés au personnel - contre une centaine en moyenne les années précédentes -, pour un montant d'environ 20 millions d'euros. Pour les députés, entre 36 et 94 prêts ont été octroyés de 1994 à 2009. Ils ont servi à acquérir des permanences politiques ou un pied-à-terre à Paris.
Autre privilège, l'avantageux régime de retraite dont jouissent les fonctionnaires. Si celui des députés a été réformé dans l'urgence et sous la pression médiatique en 2010, celui du personnel est resté dans l'ombre. Les comptes 2011 laissent pourtant apparaître des pensions très confortables servies au gros millier de bénéficiaires, avec en moyenne 3180 euros brut par mois, contre environ 2800 euros pour les anciens députés.
Fonctionnaires de l'Assemblée: les révélations d'un journaliste
Source: http://www.lexpress.fr
Petits Secrets et grands privilèges de l'Assemblée nationale, de Bruno Botella. Ed. du Moment, 175 p., 16,50 euros.
Autre article:
Post de blog Petits secrets et grands
privilèges de l'Assemblée
A Bercy, l'inspection générale des Finances (IGF), le corps de contrôle d'élite de l'Etat, occupe tout un couloir au huitième étage du bâtiment Colbert. Les jeunes inspecteurs tout juste sortis de l'ENA l'appellent ironiquement "l'étage médicalisé". Allusion à la quarantaine d'inspecteurs généraux des finances, l'un des grades les plus prestigieux. Ils en ont assez de voir leurs aînés assoupis finir leur carrière dans un placard doré, avec un traitement confortable de 10.000 euros par mois environ. "A part quelques-uns, ces cadres ne font presque rien. Officiellement, ils supervisent les rapports, en réalité, nous faisons tout le travail', nous confie l'un de ces énarques révoltés, pointant certains "généraux" qui partent en week-end dès le mercredi soir...
Cette fracture entre générations tient au système IGF, assez pervers. Après quatre ans de service intensif, les jeunes partent, dans le public ou le privé. S'ils reviennent, c'est souvent contre leur gré, débarqués de leur poste ou victimes de l'alternance politique. Alexandre Jevakhoff et Didier Banquy, ex-conseillers de Michèle Alliot-Marie (Défense) et de François Baroin(Economie), ont ainsi rejoint l'inspection, comme Philippe Jurgensen, qui a dirigé l'Agence française de développement, et Bruno Parent, l'ancien directeur des Impôts. "L'inspection des Finances a d'abord une fonction d'autopromotion: elle gère le maintien des positions de ses membres à l'extérieur, souligne Charles de Courson, député UDI et ancien de la Cour des comptes. Ceux qui y restent ont raté leur carrière.
Les dangers du "tour extérieur"
Bienvenue dans les placards de la République! Inspection des Finances, des Affaires sociales (Igas), de l'Education nationale (Igen) ou de l'Administration (IGA)... Ces corps de contrôle, censés surveiller la bonne utilisation des deniers publics, sont devenus des usines à recaser les proches des politiques. Avant la présidentielle, plusieurs dizaines de conseillers de l'équipe Sarkozy-Fillon y ont trouvé refuge, ainsi qu'à la Cour des comptes et au Conseil d'Etat, les deux juridictions de contrôle de la puissance publique. En utilisant la prérogative du tour extérieur, le chef de l'Etat et le Premier ministre peuvent nommer leurs proches, à vie, en leur évitant de passer les concours. Certes, ces organismes publient des rapports de qualité, mais ils ont, de plus en plus, un rôle de foyer d'accueil pour hauts fonctionnaires en déshérence.
"Ces placards existent, car l'Etat ne sait pas gérer ses ressources humaines, notamment ses cadres supérieurs en fin de carrière", déplore Jean-Michel Severino, inspecteur général des finances et ancien directeur de l'Agence française de développement, parti dans le privé. D'ailleurs, un rapport officiel, de janvier 2012, le reconnaît. La mission d'évaluation du Conseil général de l'environnement et du développement durable (Ceged, le corps des ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts), pilotée par Antoine Rufenacht, l'ancien maire du Havre, admet que cette instance (252 fonctionnaires) constitue "une structure d'accueil pour cadres dirigeants en retrait", avec une "fonction officieuse de gestion de fin de carrière".
En clair, c'est un placard. Ce service, dont "le niveau d'effectifs est souvent jugé excessif ", réalise, sans surprise, une production "modeste" : 262 rapports par an, soit à peine plus d'un par agent. Mais il a un potentiel de "recasage" énorme: le corps des ingénieurs des Ponts, qui l'alimente, est le plus gros avec 3 900 personnes pouvant à tout moment y revenir.
Un monumental gâchis
Dans les autres inspections, le tableau est aussi sombre, car elles "exercent peu ou prou la même fonction" d'accueil de cadres en fin de carrière, souligne ce rapport. A Bercy, le "contrôle général économique et financier" rassemble 308 hauts fonctionnaires censés auditer les entreprises publiques, qui s'ajoutent aux 90 inspecteurs des finances. Mais ces agents, payés jusqu'à 12.000 euros par mois, ont perdu une grande partie de leurs missions avec les privatisations.
"L'activité est réduite et doublonne avec les autres corps d'inspection", souligne l'un des contrôleurs. Mis bout à bout, les effectifs de ces placards sont considérables. Car il faut ajouter les 157 membres de l'Igen, les 154 du Conseil général de l'agriculture, la centaine de l'Igas et les 66 de l'IGA, au ministère de l'Intérieur. Au total, un bataillon de 1.100 fonctionnaires expérimentés - sans compter les 439 contrôleurs de la Cour des comptes - est à l'abandon, alors qu'il pourrait traquer les dépenses inutiles de l'Etat.
Les raisons de ce gâchis? D'abord, une absence de contrôle de l'activité de ces services. Jean Germain, actuel maire de Tours et sénateur socialiste d'Indre-et-Loire, illustre le phénomène. En 2010, la Cour des comptes l'a épinglé pour sa très faible activité pendant ses dix-huit ans passés à l'Igen: "Dix courtes notes manuscrites et un rapport de novembre 2009." Depuis, Jean Germain a fait valoir ses droits à la retraite de fonctionnaire, sans rembourser ses traitements perçus pendant cette carrière quasi fictive.
Même les tire-aux-flanc ont droit à leurs primes
Autre élu mis en cause: Léon Bertrand, l'ex-ministre UMP du Tourisme, nommé à l'Igen en 2008 parNicolas Sarkozy, n'a fait qu'assister à "une dizaine de réunions entre octobre 2009 et juillet 2010". "Ses fonctions électives locales [il est élu en Guyane. NDLR] paraissaient, en raison de leur importance, difficilement compatibles avec un travail d'inspection à temps plein", dénonçait la Cour des comptes. Pour la plupart, ces organismes n'ont pas d'obligation de production, ce qui permet à leurs membres de cumuler les activités, sans risque de surmenage.
A la Cour des comptes, des conseillers-maîtres exercent ainsi des activités politiques, comme Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen, actuellement président du think tank l'Institut du centre; Axel Urgin, en charge de l'Outre-mer au PS, et Alain Lambert, ancien ministre du Budget, qui cumule ses fonctions à la Cour avec celles de président du conseil général de l'Orne.
En théorie pourtant, le mode de rémunération devrait permettre de sanctionner les tire-au-flanc. Au Ceged, les primes représentent seulement 10% de la rémunération, et 16% à l'Inspection générale des Finances (pour les seuls inspecteurs généraux). Mais elles atteignent officiellement jusqu'à 36% au Conseil d'Etat, et même 46% à la Cour des comptes pour les conseillers-maîtres. En réalité, selon de nombreux contrôleurs, ces primes sont souvent accordées de façon quasi automatique. Et beaucoup se plaignent de leur grande opacité: "Comme il n'y a pas d'indicateur de productivité, ces bonus sont attribués par les présidents de chambre de façon discrétionnaire", déplore un magistrat de la Cour des comptes.
Enfin, ces dérives s'expliquent beaucoup par le pouvoir exorbitant de nomination donné à l'exécutif via le tour extérieur. En théorie, cette procédure permet de mélanger les profils et les carrières. Dans les faits, elle s'apparente souvent à l'attribution de prébendes, et ne respecte même pas le socle de compétences minimales. En décembre 2011, la nomination de Dominique Tiberi, fils de l'ancien maire de Paris, au Contrôle général économique et financier, à Bercy, a même été refusée par le Conseil d'Etat pour "compétences insuffisantes". Et à l'Igen, la Cour des comptes a dénoncé, en 2010, "l'impossibilité d'adaptation" de cinq des douze inspecteurs nommés au tour extérieur (entre 2002 et 2008), car ils "font preuve d'insuffisances professionnelles". Pour recaser dans ses placards dorés, l'Etat n'est pas très regardant !
Par Thierry Fabre
Ces fonctionnaires qui végètent dans les placards dorés de la République