La même semaine, l’Eglise s’est donné un pape. La Chine s’est choisie un président. Le pape François. Le président Xi Jining.
Les deux utilisant des méthodes tres voisines d’organisation et de sélection : une structure pyramidale, où les nominations au niveau supérieur se font au mérite, jusqu’au sommet.
Dans les deux cas, un système tres ancien.
Dans les deux cas, à chaque succession, la nomination d’une équipe débarrassée du souci de sa réélection, gouvernant en équipe avec ceux qui les ont choisis, puis choisissant ceux qui choisiront leurs successeurs.
Dans les deux cas, un corps électoral réduit à quelques dizaines ou de centaines de personnes.
Dans les deux cas, des gens de grande personnalité, soucieux de l’avenir à long terme de l’institution qui les a choisis.
Dans les deux cas, un système résistant très bien au temps, formidablement adapté, même, à la modernité et en particulier capable d’offrir aux médias du monde tous les éléments du suspens dont il a besoin, sans la lenteur et le bricolage des débats démocratiques.
Dans les deux cas, un système de plus en plus soumis aux mêmes pressions que les démocraties occidentales : les sondages, l’omniprésence des médias. L’un et l’autre aussi victimes de la corruption, et capables de tous les crimes, parce que bénéficiant d’une large impunité en raison de leur opacité.
Avec évidemment de grandes différences : Au Vatican, l’élu l’est à vie. En Chine, il l’est pour dix ans. Au Vatican le système fonctionne depuis plus de dix-huit siècles, avec d’innombrables incidents, coups d’Etat, assassinats, scissions, sans jamais s’interrompre. En Chine, le système, même s’il retrouve une tradition confucéenne plus que bimillénaire, ne fonctionne vraiment que depuis 30 ans.
Au même moment, à Rome, à quelques kilomètres du Vatican, l’Italie se révèle incapable de choisir une équipe de gouvernement ; et dans tous les autres pays démocratiques, les gouvernements doivent, pour survivre, augmenter leurs dépenses et réduire les impôts, faisant de l’explosion de la dette publique la mesure de leur impuissance. Ils doivent, plus généralement, oublier l’intérêt des générations suivantes, pour obéir à ce qu’ils croient être celui de leurs électeurs.
Comme à chaque crise grave, en Occident, se reposera bientôt la question de la crédibilité de la démocratie. Et certains s’empresseront, s’empressent déjà, de la remettre en cause. Au nom de la nation, de l’environnement, de la religion : les multiples fondamentalismes rodent déjà autour du lit de la démocratie.
Pour la sauver, il faut tenter de concilier le meilleur des systèmes démocratiques (la protection des libertés, la transparence des votes et le suffrage universel), avec le meilleur les systèmes méritocratiques (la capacité à sélectionner des dirigeants de haut niveau et à leur donner les moyens et le temps de penser et de décider en fonction des intérêts du très long terme).
On pourrait par exemple imaginer construire, en parallèle aux institutions démocratiques locales, des assemblées consultatives, composées de gens choisis parmi les militants de tous les partis démocratiques pour leur désintéressement et leur préoccupation du long terme. Ces assemblées nommeraient des responsables à des niveaux plus élevés, jusqu’à constituer une Assemblée consultative nationale, en charge de conseiller les pouvoirs démocratiques sur l’importance des enjeux du long terme. Ces assemblées seraient désignées pour dix ans, et leurs membres ne seraient pas rééligibles. D’une certaine façon, le Conseil Économique, Environnemental et Social en constitue, en France, une tres imparfaite incarnation.
Si on veut sauver l’essentiel de la démocratie, c’est à de telles audaces qu’il faut commencer à réfléchir.
par Jacques Attali
by JACQUES ATTALI
On the same week, the Church gave itself a pope. A president was elected inChina. Pope Francois. President Xi Jining. Both using very similarorganisational and selection methods: a pyramidal structure, where top levelappointments are based on merit, to the top. In both cases, a very oldsystem. In both cases, with each succession, the appointment of a team freedfrom any concern related to its own re-election, governing as a team withthose who have chosen them, then choosing those who will choose theirsuccessors. In both cases, an electoral body reduced to a few dozen orhundred people. In both cases, people with a great personality, concernedabout the long-term future of the institution that chose them. In bothcases, withstanding time very well, formidably suited, even, in an era ofmodernity and in particular able to offer to the world’s media all theelements of suspense they need, without the delay and bricolage ofdemocratic debates. In both cases, a system increasingly more subject to thesame pressures found in Western democracies: polls, and the pervasive mediapresence. Both the victims of corruption and capable of all crimes, becausethey are taking advantage of the widespread impunity, given their opacity.
Naturally, with some great differences: in the Vatican, the pope elected iselected for life. In China, the president is elected for ten years. In theVatican the system has been working for more than eighteen centuries, withcountless incidents, coup d’état, killings, fissures, without interruption.
In China, the system even if it meets a Confucian tradition of more than twothousand years, has really been working only
since the last 30 years.
At the same time, in Rome, a few kilometers from the Vatican, Italy isunable to choose a government leadership team; and in all the otherdemocratic countries, governments must, in order to survive, increase theirspending and reduce their taxes, making the explosion of the public debt theextent of their own powerlessness. They must, more broadly, forget theinterest of future generations, to obey what they think is that of theirconstituents.
As with each serious crisis in the West, the question of the credibility ofdemocracy will soon be raised again. And some will be very keen, are alreadyvery keen, on questioning democracy. In the name of the nation, theenvironment, religion: multiple fundamentalisms are already prowling aroundthe bed of democracy.
In order to save democracy, we must try to reconcile the best democraticsystems (the respect for fundamental rights and freedoms, transparency inthe voting process and universal suffrage), with the best meritocraticsystems (the ability to select the highest-level leaders and to give themthe means and the time to think and decide according to the interests of thevery long term).
One could for example imagine the construction, in parallel to localdemocratic institutions , of consultative assemblies, composed of peoplechosen from activists from all the democratic parties valued for theirdisinterestedness and their concern for the long term. These assemblieswould nominate officials to higher levels, to become a National ConsultativeAssembly, responsible of advising democratic powers on the importance oflong-term issues. These assemblies would be appointed for ten years, andtheir members would not be reelected. In a way, the Economic, Social andEnvironmental Council is, in France, a very imperfect incarnation of this.
If we want to save the major part of democracy, we have to start thinkingabout calling upon such boldness.