Depuis la mi-février, le système des réserves parlementaires est au cœur du débat sur la transparence de la vie politique. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
La « réserve » est une somme allouée par l’État en vue de financer des projets de collectivités territoriales, ou visant à soutenir l’activité d’associations. Une réserve est accordée à chaque parlementaire, qui est chargé de redistribuer ces subventions publiques parmi les projets de sa circonscription. Ce système a été mis en place dans les années 1970 de façon plus ou moins obscure, si bien que tous les élus n’ont pas toujours été au courant de cette pratique[1].
Un système opaque largement dénoncé
En temps normal, seul le montant total de cette réserve est connu ; pour l’année 2012, 90 millions d’euros ont été répartis entre les 577 députés, et 60 millions d’euros pour les 348 sénateurs[2]. Cette allocation globale est distribuée par l’intermédiaire des groupes parlementaires au prorata du nombre d’élus, et ce pour les deux chambres (depuis 2011 pour le Sénat, septembre 2012 pour l’Assemblée nationale). Le total de la réserve parlementaire est déclaré pour chaque élu, mais jusqu’ici, aucun détail n’était porté à la connaissance du public. Aujourd’hui encore, rien n’oblige légalement les élus à rendre des comptes aux administrés sur la répartition du montant dont ils disposent pour leur circonscription – d’où une critique régulière portant sur l’opacité du système, qui n’a pas toujours été clair pour tous, y compris pour les parlementaires eux-mêmes.
Une initiative favorisant la transparence
En février dernier, des élus de la majorité ont justement pris l’initiative de détailler leur usage de cette « réserve ». Barbara Romagnan, élue PS du Doubs, a impulsé ce mouvement en publiant sur son blog le détail des subventions accordées à sa circonscription pour l’année 2013[3]. Cette initiative fut relayée par la presse et suivie par d’autres parlementaires ; début mars, une cinquantaine d’élus avaient fait de même, majoritairement des socialistes et des écologistes, suivis de rares élus de l’opposition[4]. Ces déclarations individuelles ont été faites via Internet, sur les blogs des élus ou des groupes concernés. Des parlementaires comme René Dosière, spécialiste des questions de finances publiques, ont déjà fait de telles annonces auparavant, sans toutefois connaitre une même médiatisation. De quoi la démarche actuelle et son écho sont-ils révélateurs ?
Cette action, désormais collective, s’inscrit dans une volonté croissante de moralisation de la vie publique, un enjeu à la fois politique et symbolique dans un contexte de méfiance à l’égard des élus, ce qu’un sondage effectué par l’Ifop pour la Fondation pour l’innovation politique montrait déjà en 2010[5]. En effet, seuls 38 % des Français interrogés indiquaient avoir « plutôt confiance » dans le Parlement. Il est possible de réduire cette distance ressentie par plus de transparence : l’idée est de recréer un lien entre gouvernants et gouvernés, en rappelant les promesses de campagne ou en suivant l’activité des élus dans leur circonscription. Surtout, il s’agit de souligner la responsabilité des élus par rapport aux dépenses publiques ; en ce sens, le détail de la réserve parlementaire est un instrument de contrôle et de jugement de l’action des élus mis à la disposition des citoyens.
Ce mouvement est donc le reflet d’une attente croissante de la société civile pour une plus grande transparence de la vie politique, mais aussi d’une demande d’informations de citoyens plus critiques à l’égard des institutions. L’usage des nouvelles technologies et la démocratisation des réseaux sociaux semblent avoir sensibilisé le public à une plus grande transparence dans la vie quotidienne. Si une proximité nouvelle et une confiance mutuelle sont permises avec des personnes habitant partout dans le monde, avec des inconnus, alors pourquoi pas avec les élus de la nation ?
Valentine Serino
Open-data : des parlementaires montrent l’exemple
Source:
Liste des parlementaires concernés (Liste au 15 mars, pour une liste actualisée, voir la carte de Libération) :
- Députés :
- PS : Alexis Bachelay, Serge Bardy, Christian Bataille, Philippe Baumel, Nicolas Bays, Philippe Bies, Florent Boudié, Yann Capet, Fanélie
Carrey-Conte, Guy Delcourt, Jean-Louis Destans, René Dosière, Philippe Doucet, Olivier Faure, Martine Faure, Hugues Fourage, Jean-Patrick Gille, Daniel Goldberg, Jérôme Guedj, Laurent
Grandguillaume, Monique Iborra, Serge Janquin, Régis Juanico, Philippe Kemel, Michel Lefait, Jean-Pierre Le Roch, Audrey Linkenheld, Thierry Mandon, Michel Ménard, Philippe Noguès, Hervé Pellois,
Jean-Claude Perez, Sébastien Pietrasanta, Pascal Popelin, Barbara Romagnan, Gwendal Rouillard, Jean-Jacques Urvoas, Olivier Véran, Jean-Michel Villaumé;
- EE-LV : Brigitte Allain, Laurence Abeille, Isabelle Attard, François-Michel Lambert, Paul Molac, Barbara Pompili, François de
Rugy ;
- UMP : Dino Cinieri, Gérald Darmanin, Marc-Philippe Daubresse, Franck Marlin, Sébastien Huyghe, Guy Teissier ;
- Parti radical de gauche : Stéphane Saint-André, Alain Tourret ;
- UDI : Jean-Louis Borloo, Charles de Courson.
- Sénateurs :
- PS : Dominique Bailly, Françoise Cartron, Michel Delebarre, Catherine Génisson, Philippe Kaltenbach, Jean-Claude Leroy, Laurence
Rossignol ;
- EE-LV : Leïla Aïchi, Aline Archimbaud, Esther Benbassa, Marie-Christine Blandin, Corinne Bouchoux, Ronan Dantec, Jean Desessard, André
Gattolin, Joël Labbé, Hélène Lipietz, Jean-Vincent Placé ;
- DVG : Michel Berson;
- PCF : Eric Bocquet, Michelle Demessine;
– UMP : Natacha Bouchart;
- UDI : Valérie Létard.
Aller plus loin :
Trop Libre : La commission Jospin : bis repetita de la
commission Balladur ?
Intensifier la démocratie (7/12)
La compétence morale du peuple, Raymond Boudon
[1]« Réserve parlementaire : la transparence, c’est maintenant », L’express
[2]« La réserve parlementaire : levée du secret », Agoravox
[3]« Réserve parlementaire 2013 : les collectivités et associations bénéficiaires »
[4]« Réserve parlementaire : les cartes de la transparence », Libération
[5]Sondage« Politique, syndicats, médias : les classes moyennes n’ont plus confiance », Fondation pour l’innovation politique