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Mondialisation, maritimisation et appropriation des mers

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Il n'est pas aisé de raconter en quelques lignes l'évolution du droit de la mer et d'exposer en quelques mots ce vers quoi il tend aujourd'hui. Que les spécialistes, historiens et juristes veuillent bien pardonner la simplification de cet exposé : j'ai seulement voulu tenter de montrer son évolution et surtout faire entrevoir les situations qu'elle est susceptible de provoquer afin que le lecteur peu averti ait quelque élément de réflexion sur les enjeux économiques, politiques mais aussi militaires de cette évolution pour la France, et sur l'état d'esprit et les décisions qu'il conviendra de prendre. 

 

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La mer a toujours été source de puissance économique et politique. Sans qu'il soit nécessaire de remonter aux Phéniciens, Grecs ou Romains, rappelons-nous la domination des Génois dans le golfe du Lion avant que les Vénitiens ne s'emparent à leur tour de la suprématie maritime en Méditerranée. La fin du XVe siècle et surtout le XVIe siècle voient les grandes découvertes et l'expansion commerciale des états européens, du moins de certains d'entre eux. Si jusqu'alors, la force «faisait» le droit, la fin du XVIème et la première moitié du XVIIème siècle voient des tentatives pour fixer dans les textes le statut des océans, sans doute devenu nécessaire du fait du développement exacerbé des rivalités commerciales sur mer entre certains pays européens et notamment le Portugal, les Pays-Bas et l'Angleterre, mais aussi la France. S'opposent alors deux conceptions: laMare liberumde Grotius et laMare clausumde Selden :mer librecontremer fermée.


Mare liberum ou Mare clausum

Pour l'Anglais John Selden (1584-1654), avocat et membre de la Chambre des Communes, la «privatisation» de la mer est un droit établi par l'usage qui ne fait pas 

plus obstacle à la navigation internationale et donc aux échanges commerciaux maritimes que les frontières terrestres ne gênent l'échange des marchandises. Au contraire, son contemporain Hugo Grotius (1583-1645), juriste et philosophe néerlandais auquel Selden répondait, voit dans l'Océan unegrande voie de commerce réciproqueentre les peuples qui leur permet d'échanger leurs productions que la nature a inégalement réparties entre les diverses parties du monde. Pour Grotius, l'Océan appartient à tous et nul ne peut s'approprier ce qui ne peut être occupé par un seul. Il faudra du temps pour que les conventions de Genève en 1958 et la convention de Montego Bay en 1982 fassent triompher le concept deMare liberumconsacrant la liberté des mers. Pourtant déjà, ce droit souffre de remise en cause avec l'apparition ou le développement de deux phénomènes :l'appropriation statiqueetl'appropriation dynamiquedes mers. Le développement de l'économie mondiale en particulier des pays dits «émergents» a pour corollaire un accroissement considérable des besoins en énergie et en matières premières dont les gisements terrestres s'épuisent et un accroissement non moins considérable des échanges commerciaux maritimes et donc du trafic. Une économie nationale ne peut fonctionner que si elle dispose à la fois d'énergie, de matières premières et de la possibilité de «livrer» ses produits manufacturés. Par ailleurs, les fonds marins se sont révélés peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale riches à profusion en hydrocarbures et en nodules de différentes natures : l'économie devenue mondiale par le développement des flux commerciaux et financiers, devient aussi de plus en plus maritime. Ainsi, de la liberté des mers assurant la libre navigation et le commerce, le droit de la mer évolue peu à peu pour devenir un droit d'exploitation des richesses sinon un droit d'emprise.


L'appropriation statique des mers : mer territoriale et ZEE

Lamer territorialedéfinie à la fin du XVIème siècle s'étend sur 3 milles nautiques et correspond à l'espace de pêche alimentaire et de défense des côtes et des approches. Il faut noter que certains pays d'Amérique latine avaient unilatéralement étendu cette zone jusqu'à 200 milles nautiques dans le but d'exploiter leur plateau continental. En 1982, la convention de Montego Bay élargit cette zone de la mer territoriale à 12 milles nautiques et crée une Zone Economique Exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques.

 

Mais un certain nombre d'états africains ou sud-américains notamment continuent de considérer que «leur» mer territoriale s'étend sur 200 milles nautiques. En outre, les états ont la possibilité de solliciter auprès de la Commission des limitations du plateau continental une extension de leurs droits jusqu'à 350 milles nautiques. Ces aménagements se font bien évidemment au détriment de la haute mer, théoriquement espace de libre navigation. Une source de tensions et de conflits Cet état de choses, pour ne pas dire cette anarchie puisque certains états n'ont pas attendu la décision de ladite commission pour donner effet à l'extension sollicitée (c'est le cas du Brésil par exemple) est une source de tensions voire de conflits pour la possession des îles Kouriles que se disputent Japon et Russie, des îles Senkaku revendiquées par le Japon et par la Chine ; en mer de Chine méridionale, route particulièrement stratégique par laquelle transitent 30% du trafic maritime mondial et par ailleurs riche en ressources halieutiques mais aussi en gisements de gaz et de pétrole, ce ne sont pas moins de sept états : Chine, Philippines, Vietnam, Taïwan mais aussi Brunei et la Malaisie qui ont des prétentions sur les archipels des Paracel et des Spartleys ; plus près de nous, en Méditerranée orientale, notamment Grèce et Turquie s'opposent pour l'exploitation de gisements de pétrole dans des zones maritimes sur lesquelles chacune prétend détenir un droit , comme au large de Chypre, du Liban, d'Israël et de la Syrie pour cause de découverte de gisements d'hydrocarbures. La guerre meurtrière entre l'Argentine et la Grande-Bretagne à propos des îles Malouines en 1982, année de la signature de la convention de Montego Bay, en était déjà une illustration. Les ressources minérales

marines (métaux de base et stratégiques) dont l'industrie souffre déjà de pénurie, les ressources halieutiques et biologiques, l'accroissement des besoins et donc de l'exploitation des ressources sont ainsi la raison première de cette appropriation statique des mers : dans moins de vingt ans, en 2030, les besoins énergétiques mondiaux seront de 25% supérieurs à ceux d'aujourd'hui alors que 22% des réserves connues de pétrole et 30% de celles de gaz sont au fond de la mer ; près d'un tiers du pétrole et du gaz consommés aujourd'hui est déjà extrait des fonds marins.


L'appropriation dynamique des mers

Le déni d'accès, première forme d'appropriation dynamique des mers La première forme d'appropriation dynamique des mers est le non-respect par des états côtiers du droit aulibre passage inoffensif dans leur mer territoriale,du droit à lalibre navigation dans leur zone économique exclusive,ou du droit aulibre passage en transit et au passage inoffensif dans les détroits internationaux.En haute mer même, certains états nient le droit à la libre circulation, à la liberté de la pêche et de l'exploitation des ressources sous contrôle de l'Autorité des fonds marins.Ce déni d'accèsde certains états soit à leurs espaces maritimes soit même à des espaces considérés par eux comme relevant de leur autorité, soit mêmeaux « espaces de tous »,est aussi parfois le fait d'agents non étatiques : il en est ainsi de la piraterie, des trafics

en tout genre, du terrorisme, qui cherchent à s'approprier des espaces maritimes afin d'exercer plus facilement leurs activités illégales. La guerre des mines dont la presse fait parfois état est bien une réalité, par exemple en mer de Chine méridionale ; elle pourrait le devenir au Moyen-Orient si l'Iran mettait à exécution sa menace de fermeture du détroit d'Ormuz, point de passage obligé de plus de 40% du trafic pétrolier mondial. De la même manière, le développement de flottes sous-marines ou d'une manière plus générale des forces navales dont nous faisions état dans le précédent numéro deProspectives Marine,est à mettre en parallèle avec cette « mauvaise volonté », sinon l'agressivité de certains états. Une autre forme d'appropriation de la mer : le contrôle des flux commerciaux Une seconde forme d'appropriation dynamique des mers est le contrôle des flux commerciaux. Comme on le sait, l'économie mondiale est essentiellement maritime : 80% des échanges d'hydrocarbures, 90% du minerai de fer transitent par la mer ; les échanges de biens manufacturés, les exportations de soja, de blé, se font par voie maritime. Le contrôle du commerce maritime est donc une autre forme d'appropriation dynamique des mers qui revêt différents aspects constituant comme les maillons d'une chaîne : construction navale civile, armements et chaînes logistiques, assurances et finances maritimes. Les cinq premières flottes de commerce mondiales sont aujourd'hui la Grèce, le Japon et l'Allemagne, suivie désormais par la Chine et la Corée ; presque 100% de la construction navale civile est aux mains des Asiatiques. Ce classement et ce palmarès confirment s'il est besoin le basculement de l'économie mondiale au profit des pays asiatiques : en 2011, sur les dix premiers ports mondiaux, huit sont chinois, un seul est européen ; huit des dix premiers terminaux à conteneurs sont asiatiques ; l'Asie a pris pied en Europe : pour ne citer que ces deux exemples, le port du Pirée est désormais entre les mains des Chinois, qui ont aussi acquis 40 000 m2 dans le terminal à conteneurs du Havre. Et en février 2013, la Chine prend le contrôle du port pakistanais de Gwadar à l'ouverture du détroit d'Ormuz !


Conclusion

Comme l'écrit Emmanuel-Marie Peton: « il nous faut adopter une vision océanique : le monde est un réseau dont il faut posséder et maîtriser des points stratégiques afin d'affirmer et défendre nos intérêts. Cela va du développement de clusters sur nos façades maritimes aux réseaux qui les relient dans nos territoires et dans le monde ».La concrétisation de cette vision économique et militaire est sans doute une condition de notre survie, en tout cas une réponse à notre situation économique et morale.

 

 

Mondialisation, maritimisation etappropriation des mers

Source, journal ou site Internet : prospectives marine
Date : mars 2013
Auteur : CC ® Patrick Brunet, vice-président du Yacht club de France


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