L’anthropologie socialiste
Comment les socialistes voient-ils l’être humain ? On ne peut trouver de meilleure réponse que celle de Rousseau : dans un état de nature l’homme est bon, c’est la vie en société qui le rend mauvais.
Il y a donc un mélange de naïveté et de cynisme. D’un côté le rêve d’une humanité originelle, où les passions et les intérêts s’harmoniseraient, où règnerait le partage de richesses communes. De l’autre, une société impitoyable fondée sur des rapports de force, où passions et intérêts individuels seraient en lutte, où le jeu des égoïsmes serait impitoyable. Un être humain angélique et un être humain diabolique.
Sans doute la version marxiste insiste-t-elle davantage sur l’individu rapace et spoliateur, sous-produit d’une société où la propriété du capital est l’enjeu décisif de la vie économique. En revanche, les socialistes « utopiques » essaient de retrouver par tous moyens ce qu’il y a de bon, de généreux, d’harmonieux dans l’être humain.
Mais tous les socialistes se retrouvent autour d’un même diagnostic : plongés dans la société présente, les hommes livrés à eux-mêmes ne peuvent vivre dans la justice, et leurs instincts les plus vils sont flattés. C’est le triomphe de l’individualisme qui exclut toute solidarité, c’est la loi de la jungle ou –pire encore – c’est la loi de ceux qui détiennent pouvoirs économique et politique.
Négation de l’ordre spontané
Les socialistes ne croient pas à la possibilité d’un ordre social émanant de la libre volonté des êtres humains. Pour eux, il n’est d’ordre que créé, organisé par les bâtisseurs de la société parfaite – le rôle qu’ils s’attribuent. Ce rôle est naturel parce qu’ils ont compris les vices de la société contemporaine, ils ont su se détacher de la logique capitaliste, productiviste, individualiste, ils ont refusé la loi de la jungle et du profit. Ainsi peuvent-ils être les guides, les architectes du monde nouveau.
Voilà pourquoi toute apparence de contrat, de compréhension mutuelle, leur est suspecte et finalement intolérable. Le marché et les échanges
volontaires sont le type même de procédures qui leur sont insupportables : elles ne peuvent que masquer des déséquilibres et des injustices. Ce que gagne l’un est nécessairement au détriment
des autres.
Donc, dans une société de libertés, les êtres humains ne sont pas seulement égoïstes, ils sont aussi opposés. Les égoïsmes ne peuvent
s’accorder.
Créer l’homme nouveau
L’être humain a été tellement « abimé » par la société qu’il ne peut percevoir le sens et la grandeur de l’ordre socialiste. Il faut donc le débarrasser de ses oripeaux si l’on veut avancer la construction de la société parfaite. Sans cela, tous ceux que privilégie la situation présente se ligueront et s’organiseront pour barrer la route du progrès social. Marx avait identifié l’Etat, la famille et la religion comme les vrais ennemis de la révolution prolétarienne. Ces « superstructures » doivent donc être abattues. Même les socialistes qui ne se réclament pas directement de Marx sont persuadés que des cellules sociales vivantes et des institutions bien acceptées font obstacle à la mise en place de la société parfaite.
Mais comment créer l’homme nouveau ?
Ici deux méthodes séparent les socialistes. Certains veulent régler le problème de façon autoritaire et concentrationnaire : la révolution culturelle de Mao faisait écho à celle de Lénine, l’eugénisme était le principe de Hitler, les Khmers rouges supprimaient tous ceux qui avaient reçu une instruction.
D’autres voient dans l’éducation, et dès le premier âge, la meilleure manière de façonner les esprits et de créer une nouvelle génération ouverte aux idées du progrès.
Main basse sur le système éducatif
Philippe Nemo, notamment dans son récent ouvrage « La France aveuglée par le socialisme » a démontré et dénoncé l’entreprise de fond des socialistes à la conquête de l’Education Nationale.
L’affaire a été menée par la gauche socialiste, mais la droite lui a prêté main forte. A ce sujet, Nemo rappelle dans l’un de ses chapitres, qu’il existe de nombreuses « passerelles » entre gauche et droite, constituées par les camaraderies de loges ou d’écoles (notamment de l’ENA et des grandes écoles d’ingénieurs). Toujours est-il que le projet avoué a été de créer l’homme nouveau destiné à se plier aux exigences de la société nouvelle.
Techniquement, c’est la disparition de toute diversité scolaire, de toute concurrence et de toute émulation, qui a permis le nivellement par le bas des jeunes écoliers, lycéens et universitaires. Amorcée dès 1945, l’évolution s’est accélérée à partir de 1968 pour mûrir pleinement après 1981.
Politiquement, on a désormais une inégalité flagrante entre d’une part, des masses de Français qui n’ont reçu qu’un semblant d’éducation et de très faibles connaissances, et d’autre part, une « élite » qu’il est facile de convertir au socialisme puisqu’elle va être aux postes de commande d’un peuple conditionné. Ainsi le règne de la pensée unique est-il assuré, l’Université ne jouant plus aucun rôle compensateur depuis 1968.
Les grands dirigeants de l’Education Nationale sont les syndicats d’enseignants, dont la puissance politique est redoutable et qui ont imposé aux ministres successifs les réformes utiles au projet socialiste : la construction d’une bureaucratie massive, la « démocratisation » de la pédagogie et des programmes, l’éradication de tout enseignement de nature à éveiller et développer l’esprit d’analyse, la réécriture de l’histoire, l’étouffement progressif des établissements privés.
Couper les racines
En dépit de sa puissance, l’Education Nationale ne parvient pas toujours à briser les individualités et à conditionner totalement les esprits. Il y a des contrepoids, dont l’un des plus efficaces est la famille. Il faut donc libérer les jeunes des pesanteurs familiales.
L’affaire a été bien réglée dans les pays communistes : l’enfant a été pris en charge par l’Etat, non seulement pour son éducation mais aussi pour son activité sportive ou artistique ou pour sa formation professionnelle. En URSS, on apprenait aux enfants à espionner leurs parents et à les dénoncer .
Les socialistes peuvent aujourd’hui préférer la méthode progressive. La famille a été l’objet de tous leurs soins. Ils ont prôné « l’évolution des mœurs », qui est devenue ensuite prétexte à légiférer dans des domaines qui relevaient naguère de la vie privée et familiale et qui deviennent désormais choses publiques. La législation est allée toujours dans le même sens : celui de la permissivité, assimilée indûment à la liberté. L’important a été de « libérer » les individus de toute attache, car l’homme nouveau doit n’avoir qu’un seul cadre de vie : la société. La vie associative telle que l’organisent les socialistes est une antichambre de la société parfaite. Alors que les liens avec la famille sont réputés étouffants, les liens noués de façon superficielle avec d’autres relations épisodiques sont tenus pour libératoires.
Les socialistes oublient cependant une caractéristique de l’être humain : il porte sa liberté en lui-même, et refusera tôt ou tard de vêtir le manteau de l’homme nouveau. Il n’est pas la bête humaine que veut abattre ou soumettre le socialisme. Il reste l’homme, imparfait mais perfectible.
Source: Libres.org , Aleps