Hors sous-marins et porte-avions nucléaires, c'est le plus cher bâtiment de guerre construit jusqu'ici. Mais c'est surtout, tous types confondus, assurément le plus futuriste. Un bateau aux lignes tellement inhabituelles qu'on avait, jusqu'ici, du mal à imaginer qu'il puisse dagir d'un programme bien réel et non d'une oeuvre de science fiction. Après la pose de limposante superstructure en matériaux composites sur la coque, au mois de décembre, General Dynamics, qui construit le nouveau destroyer américain au chantier BIW de Bath, a dévoilé les premières vues du futur USS Zumwalt, dont lassemblage sachève. Et lénorme bâtiment, aux allures de vaisseau spatial tout droit sorti dune superproduction hollywoodienne, a de quoi impressionner. Un vrai « délire » dingénieurs et de militaires, une bête de guerre unique en son genre
Le futur USS Zumwalt au chantier BIW de Bath (© : GENERAL DYNAMICS)
Le futur USS Zumwalt au chantier BIW de Bath (© : GENERAL DYNAMICS)
Le futur USS Zumwalt au chantier BIW de Bath (© : GENERAL DYNAMICS)
Un gros croiseur qui ne dit pas son nom
Tête de série du programme DDG 1000, lUSS Zumwalt, qui prend le nom de lamiral Elmo Zumwalt (1920 2000), un officier visionnaire qui imagina plusieurs concepts de bâtiments (dont les frégates polyvalentes du type O.H. Perry et le porte-aéronefs descorte Sea Control Ship, dont les plans seront rachetés par les Espagnols pour construire le Principe de Asturias) est pudiquement appelé « destroyer » par les Américains. Avec une longueur de 185 mètres, une largeur de 26.4 mètres et un déplacement lège de 10.000 tonnes, devant dépasser 14.500 tonnes à pleine charge, le gabarit est plutôt celui dun croiseur. Le Zumwalt surclassera en effet largement les grands destroyers américains du type Arleigh Burke (155.3 mètres de long, 9200 tonnes en charge) et même les croiseurs du type Ticonderoga (172.8 mètres, 9970 tpc). Outre les porte-avions, les Etats-Unis nont, en fait, pas construit de bâtiment de combat de surface aussi gros depuis les croiseurs de la seconde guerre mondiale, exception faite du croiseur nucléaire USS Long Beach (219.7 mètres, 17.525 tpc), lancé en 1959 et retiré du service en 1995.
Croiseur du type Ticonderoga (© : US NAVY)
Destroyer du type Arleigh Burke (© : US NAVY)
Le croiseur USS Long Beach, désarmé en 1995 (© : US NAVY)
Le retour de lartillerie à longue portée
Deux fois plus lourd que les nouveaux destroyers britanniques du type 45 et les frégates franco-italiennes du type Horizon, lUSS Zumwalt est un bâtiment polyvalent mais il a été plus particulièrement conçu pour les opérations littorales. A cet effet, il disposera de deux tourelles de 155mm abritant un nouveau canon, lAdvanced Gun System (AGS), tirant des munitions propulsées et guidées LRLAP (Long Range Land Attack Projectiles), longues de 2.2 mètres et dun poids de 104 kg. Développée par BAE Systems, cette nouvelle arme doit, à terme, permettre au destroyer datteindre des cibles terrestres situées à 140 kilomètres de distance. Lobjectif est, notamment, deffectuer des préparations dartillerie préalable à une opération amphibie ou soutenir la progression en territoire ennemi des troupes débarquées lors dune opération amphibie. Chacune des deux pièces de 155mm comptera une réserve de 600 munitions et pourra tirer 10 coups par minute.
L'AGS en action et derrière en mode caréné (© : BAE SYSTEMS)
Tir d'une munition LRLAP depuis un destroyer du type Zumwalt (© : BAE SYSTEMS)
Un bâtiment particulièrement furtif
Le bâtiment sera, par ailleurs, doté de 80 cellules de lancement vertical pour missiles de croisière Tomahawk (dune portée estimée à 1700 km), missiles antinavire Harpoon (jusquà 240 km), missiles anti-missiles balistiques SM-3 (une nouvelle version avec portée de 500 km est à létude), missiles surface-air à courte portée ESSM (19 km) et missiles anti-sous-marins VLA (12 km). Larmement sera complété avec deux tourelles de 57mm et des tubes lance-torpilles. LUSS Zumwalt pourra, en outre, embarquer un hélicoptère de type Seahawk et trois drones aériens de type Fire Scout.
Tirs de missiles depuis un DDG 1000 (© : GENERAL DYNAMICS)
Le DDG 1000 se caractérise par sa très grande furtivité. Les superstructures sont concentrées en un unique bloc, dont les parois accueilleront les différents senseurs et systèmes de communication, y compris un radar multifonctions SPY-3 à faces planes. Doté dune étrave inversée, le design limite au maximum les « aspérités » afin de réduire le plus possible la surface équivalente radar du bâtiment. Il ny a par exemple pas de mât, le radar SPY-3 étant intégré à la superstructure sous forme dantennes planes, alors que les tourelles de 155mm et 57mm seront « camouflées » dans un carénage lorsquelles ne seront pas en action. La signature radar de lUSS Zumwalt devraient donc se révéler très réduite.
Dans le domaine des équipements électroniques, on notera la présence dun sonar de coque et dun sonar remorqué, ainsi que de lance-leurres antimissile et anti-torpille.
Turbine à gaz MT30 (© : ROLLS-ROYCE)
Propulsion électrique et équipage réduit
Premier destroyer américain adoptant une propulsion électrique, le Zumwalt a été conçu comme une plateforme rapide, qui doit pouvoir atteindre la vitesse de 31 nuds. Pour cela, il sera équipé de deux turbines à gaz MT30 de Rolls-Royce, développant chacune 36 MW, ainsi que deux turbines à gaz de la série 4500 du motoriste britannique, avec une puissance unitaire de 3840 kW. Converteam fournira, pour sa part, deux moteurs électriques entrainant deux lignes darbres dotées à leur extrémité dune hélice à pas variable. Lensemble de lappareil propulsif développera 69.6 MW. Une puissance électrique très importante permettant notamment à lUS Navy denvisager sur ce bâtiment et ses sisterships lintégration future de canons électromagnétiques.
Dimportants efforts ont été consentis afin que le DDG 1000 puisse être mis en uvre par un équipage réduit. Ainsi, grâce à une forte automatisation, lUSS Zumwalt ne devrait être armé que par 150 marins, dont une trentaine dofficiers (avec pour objectif final de ramener léquipage à 125 hommes), un chiffre à mettre en rapport avec les 320 membres déquipage des Ticonderoga, les 280 hommes des Arleigh Burke et, si lon remonte un peu dans le temps, les 1160 marins de lUSS Long Beach !
Vue d'artiste de l'ancien projet Arsenal Ship (© : DROITS RESERVES)
Un coût exorbitant
Dernière réminiscence du projet Arsenal Ship, un concept pharaonique portant sur une énorme plateforme de lancement de missiles (500 cellules) abandonné à la fin des années 90, le programme DDG 1000, qui fut auparavant appelé DD 21 et DD(X), fut initialement lancé pour assurer le remplacement des 31 destroyers de la classe Spruance. En tout, 32 unités de la classe Zumwalt devaient être construites. Mais il est rapidement apparu que cet objectif ne serait pas atteint, loin sen faut. Extrêmement complexe et coûteux, ce programme a, en effet, connu une gestation très longue et un certain nombre de déboires au cours de son développement. Véritable challenge pour les ingénieurs américains, ce bâtiment constitue une véritable rupture technologique par rapport à ses prédécesseurs, tant au niveau du design que de larmement et de la partie énergie/propulsion. Cette dernière a, par exemple, nécessité la construction dun modèle réduit du DDG 1000, le Sea Jet, un bateau de 40 mètres de long destiné notamment à expérimenter la propulsion électrique.
Vue du futur DDG 1000 (© : US NAVY)
Toujours est-il que lenveloppe budgétaire allouée au programme a explosé au fil des années. Au point quen 2011, le Pentagone a estimé que la facture des études et de la construction des trois premiers destroyers atteindrait le chiffre astronomique de 20 milliards de dollars. Déjà trop engagé pour être annulé, le programme a été maintenu mais drastiquement limité. Seuls les trois premiers destroyers seront construits. LUSS Zumwalt (DDG 1000), dont la mise à flot est prévue cette année et la livraison à lUS Navy en 2014 ; lUSS Michael Monsoor (DDG 1001), dont la construction a débuté en 2010 et qui doit être réceptionné par la marine en 2016. Quant au troisième et dernier bâtiment de cette classe, qui sera baptisé USS Lyndon B. Johnson (DDG 1002), sa livraison est prévue en 2018. Des dates pour le moment indicatives car il faudra bien évidemment attendre lachèvement, les essais et la mise au point de la tête de série, autant de phases critiques en forme de défis pour les industriels et les marins américains.