You will never stand alone
Une présence renforcée de l’OTAN en question
On a tôt fait de généraliser les enthousiasmes polonais et baltique pour l’OTAN au reste de l’Europe de l’Est, supposée terrifiée par la Russie et appelant de ses vœux la protection des forces américaines ou otaniennes. En réalité, l’Europe centrale et orientale est plutôt circonspecte vis-à-vis d’un redéploiement de l’OTAN sur son sol et plus généralement sur la stratégie à adopter à l’égard de la Russie. Interrogé mi-mai sur une possible présence permanente de troupes otaniennes en Europe centrale, le ministre de la Défense tchèque, Martin Stropnicky, a déclaré qu’il n’en souhaitait pas sur le territoire national. Bien qu’il soit ouvert à d’autres types de coopération, il justifie explicitement sa position par le souvenir du printemps de Prague et des 80 000 soldats soviétiques stationnés sur le sol tchécoslovaque durant la « normalisation » qui a suivi. Quelques semaines plus tard, le Premier ministre Bohuslav Sobotka confirme la position de son ministre, tandis que son homologue slovaque Robert Fico adopte la même position, en reprenant la référence au soulèvement de 1968 et de ses suites à son compte. Ces déclarations ont provoqué une vive polémique dans les deux pays. Les classes politiques sont, au-delà des appartenances partisanes, très divisées sur le sujet. Côté tchèque, le président Miloš Zeman, qu’une présence symbolique de l’OTAN « ne dérangerait pas », s’est même fendu d’un commentaire acerbe soulignant l’inexpérience de B. Sobotka en matière de politique étrangère(1). Côté slovaque, le président-élu Andrej Kiska a nuancé la position de son Premier ministre en rappelant que la Slovaquie devait être solidaire de ses alliés. Les analogies avec le printemps de Prague et aux troupes du Pacte de Varsovie ont été particulièrement critiquées par certains représentants politiques et leaders d’opinion, ainsi que par les ambassades américaines sur place (2).
L’Europe centrale divisée
Au-delà des débats nationaux, les pays du groupe de Višegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie – V4) ont donc une approche loin d’être homogène vis-à-vis de l’OTAN et de la crise russo-ukrainienne. Fondé en 1991, en partie pour favoriser l’intégration européenne des pays d’Europe centrale et créer un espace d’échanges et de coopérations régionales, le V4 n’a finalement jamais entamé de dialogue approfondi sur les questions stratégiques, dialogue dont le manque se fait cruellement sentir depuis novembre 2013. Malgré quelques appels à une meilleure coopération énergétique afin de réduire la dépendance à la Russie, les partenaires du V4 s’accordent de moins en moins sur le chemin à prendre et désormais, le groupe se scinde, globalement, entre les Polonais d’un côté, partisans d’une ligne dure face à la Russie et les Tchèques, Slovaques et Hongrois de l’autre, favorables à davantage de souplesse avec Moscou et réticent à une solution otanienne. Malgré certaines convergences historiques (intégration forcée dans le Pacte de Varsovie, transitions démocratiques, intégration souhaitée dans l’OTAN et l’UE), ces pays n’ont en effet ni les même intérêts nationaux, ni les même relations avec la Russie. Les différents degrés de dépendance énergétique et la proximité économique et parfois politique avec Moscou (notamment à Prague et à Budapest) expliquent en grande partie la diversité des points de vue. Une partie de ces pays ne souhaitent également pas redevenir la contrescarpe d’un nouveau mur, même du bon côté. Le Premier ministre tchèque a par exemple étayé ses premières réticences le 11 juin en estimant qu’un redéploiement de l’OTAN en Europe de l’Est « n’était pas une solution de long terme », et créait un nouveau « rideau de fer » entre la Russie et l’UE (3). Parallèlement, il s’est toutefois engagé à augmenter le budget de défense de 1% à 1,4% du PIB à moyen-terme, en envisageant une collaboration renforcée avec l’armée slovaque.
L’émergence de nouvelles politiques étrangères ?
La Hongrie de Viktor Orban, dont les relations avec l’UE sont houleuses, prône une relation pragmatique avec la Russie et le gouvernement hongrois n’a pas hésité à signer avec l’opérateur russe Rosatom un contrat de plus de 10 milliards d’euros pour l’extension de la centrale nucléaire de Paks. En République tchèque, le vice-ministre des Affaires étrangères Petr Drulak, ancien directeur de l’Institute of International Relations (IIR), s’écarte avec fracas de l’héritage de Vaclav Havel en critiquant, dans une récente interview (4), la défense des droits de l’homme comme axe central de la politique étrangère tchèque. Pour Prague, Budapest et Bratislava, le maintien voire le réchauffement des liens avec les pays issus de l’ex-bloc de l’Est (notamment Azerbaïdjan, Kazakhstan et Turkménistan) redevient, en période de crise, l’une des priorités des chancelleries. En Pologne, pays le plus important du V4, la crise ukrainienne n’a pas révélé une inflexion de la politique étrangère mais plutôt sa nouvelle ambition. Le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, a été particulièrement actif, multipliant les contacts avec ses partenaires allemands, français, américains, baltes et scandinaves et a, pour sa part, appelé de ses vœux un renforcement de l’OTAN en Europe de l’Est. La visite de Barack Obama en Pologne début juin fut de ce point de vue un triomphe. A contrario, les désaccords ont rarement été si profonds avec ses voisins, en témoignent les incompréhensions visibles lors du Forum Global Security à Bratislava en mai dernier (5). Varsovie se détache ainsi progressivement du reste de l’Europe centrale, en développant une diplomatie d’une ampleur inédite, au service d’une ligne à la fois européenne et atlantiste, au risque de se couper de ses partenaires régionaux. Elle rejoint en revanche les positions de la Suède et de la Finlande, qu’un rapprochement voire une entrée dans l’OTAN semble tenter de plus en plus (6). La crise ukrainienne cristallise ainsi de nouvelles orientations de politique étrangère, sous-jacentes dans les débats au sein des élites nationales depuis quelques années (7). La génération des dissidents, de Lech Walesa et de Vaclav Havel par exemple, avait été séduite par les discours néoconservateurs américains (notamment lors de la guerre contre l’Irak en 2003) puis s’était inquiétée de l’arrivée d’Obama, supposé naïf et plus conciliant à l’égard de la Russie (8). Ces grandes figures des transitions démocratiques ont laissé la place à des dirigeants plus jeunes, dont le logiciel de pensée n’intègre plus les schémas de la guerre froide. Cet affranchissement de l’héritage post-communiste, les conséquences de la crise financière et les récents évènements en Ukraine participent ainsi à l’élaboration de nouveaux paradigmes en matière de politique étrangère. La Pologne se rapproche de l’Europe scandinave et balte en ravivant le lien transatlantique, et rompt avec ses voisins méridionaux qui, pour leur part, s’écartent sensiblement de la voie atlantiste. Le clivage (9), cher à Donald Rumsfeld, entre « Vieille Europe » et « Nouvelle Europe », qui avait prévalu en 2003 lors des débats sur la guerre en Irak, n’existe plus. La crise ukrainienne n’a décidément pas fini de nous prouver que le monde change.
(1) “PM draws fire for saying Czech Republic will not call for NATO troop increase”, Radio Prague, 4 juin 2014.
(2) “U.S. Seeks More Cooperative Czech, Slovak Role in NATO”, Wall Street Journal (blog), 7 juin 2014
(3) Idem.
(4) « Gov’t minister : Havel’s human rights policy was wrong », Prague Post, 30 mai 2014 (5)Martin Ehl, « Will the Visegrad Four Survive Ukraine ? » Transitions Online, 17 juin 2014.
(6) « Russia Warns Sweden and Finland Against NATO Membership”, Defense News, 12 juin 2014.
(7) Pour la République tchèque, voir Petr Drulak « Qui décide la politique étrangère
tchèque ? Les internationalistes, les européanistes, les atlantistes ou les autonomistes ? » in Revue internationale et stratégique n°61, printemps 2006, p. 71-86.
(8) Voir Lequesne Christian, « La génération de la dissidence, l’idée européenne et la divergence transatlatique » in Esprit, octobre 2009, pp. 77-83.
(9) Nous parlons ici des clivages entre gouvernements. Les opinions publiques étaient, à l’Est, majoritairement opposées au conflit.
RELATIONS INTERNATIONALES - EUROPE de la DEFENSE - OTAN :
De nouvelles lignes de partage en Europe de l’Est ?
Source, journal ou site Internet : affaires stratégiques info
Date : 20 juin 2014
Auteur : Samuel Carcanague
Il y a quelques années, les experts russes ont mis au point une modélisation mathématique de l’évolution de l’Union européenne jusqu’en 2024. Leurs résultats ont montré que l’austérité financière dictée par l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne fera que la plus grande partie des financements de l’UE sera orientée vers la soi-disant «vieille Europe». Une petite partie des fonds devrait atteindre les États frontaliers de la vieille Europe (Pologne, République tchèque, Slovénie et Slovaquie), tandis que les États membres de l’UE, à l’est de cette ligne, ne recevront que des promesses. Cela concerne la Grèce, la Bulgarie et la Hongrie. Seule la Roumanie est exclue de cette configuration.
Profitant de la situation ainsi créée, la Russie et la Chine ont mis en place un vaste plan d’action en Europe centrale et de l’Est, basé sur la création d’un « corridor sanitaire » composé de cinq pays des Balkans (Grèce, Macédoine, Serbie, Bulgarie, Hongrie). L’essence de ce plan est juste de relancer l’économie de ce corridor et de l’amener à un niveau similaire à celui des autres pays occidentaux. Comment? En offrant, à un prix préférentiel, du gaz russe via le gazoduc South Stream. Puis d’investir dans le secteur des fabrications de machines.
Par exemple, la société chinoise de construction automobile Great Wall Motor a ouvert sa première chaîne d’assemblage européenne à Lovetch dans le nord de la Bulgarie, où elle produit des SUV, des camionnettes et des minibus, tous équipés de moteurs Mitsubishi. Ces véhicules sont exportés vers les pays de l’UE. La société (chinoise) BYD Co. Produit déjà les autobus électriques, les voitures hybrides et les trolleys les plus performants du monde, sous licence Daimler à l’usine de Breznik, dans le sud-ouest de la Bulgarie. L’année prochaine, ils se concentreront dans la construction de trains électriques à grande vitesse pour la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie et la Grèce.
Un autre plan d’action pour relancer l’économie du corridor sanitaire est l’investissement massif dans la création d’une infrastructure moderne de transports routier, ferroviaire, fluvial et aérien. En Serbie les chinois se sont activement lancés dans la construction d’autoroutes et de ponts sur le Danube, et dans la modernisation de tous les aéroports. Après que le directeur de l’aéroport d’Otopeni ait rejeté l’offre des chinois, l’aéroport de Budapest, est devenu un centre de maintenance technique et l’escale de 1.000 appareils d’Air China, China Eastern Airlines et China Southern Airlines, qui viennent de Chine, pour traverser l’Atlantique ou aller vers l’Afrique. Toujours avec l’argent chinois, la Hongrie a créé la première ligne rapide qui relie l’aéroport international à Budapest.
A Belgrade a commencé la construction d’un chemin de fer à grande vitesse (qui va atteindre des vitesses dépassant 300 km / h) reliant la capitale serbe à Budapest. Ensuite, à partir de Belgrade, les Chinois vont construire de nouveaux tronçons de voie rapide pour rejoindre Burgas par Sofia et de Sofia joindre Thessalonique en Grèce et Skopje en Macédoine.
Cerise sur le gâteau, construction également d’une voie navigable qui relie Belgrade au port grec de Thessalonique en utilisant le Danube et les rivières Morava et Vardar. Ce projet a été confié à la société d’Etat chinoise CRBC, la même qui a fait le pont de Qingdao dans la baie de Jiaozhou (le plus grand du monde), six voies de voitures et d’une longueur de 42,5 km. Ce que j’écris ici peut paraître fantaisiste, mais est consultable dans la presse professionnelle qui montre que le canal navigable entre le Danube et Méditerranée, le train à grande vitesse et les autoroutes sont des projets que la Serbie est en train de réaliser avec l’argent et les entreprises Chinoises.
Le canal Belgrade – Thessalonique permettra aux Chinois, outre une mécanisation intense de l’agriculture de la Serbie (selon les méthodes utilisées dans le passé par Ceausescu) de créer un vaste réseau d’irrigation, transformant les pays riverains en un véritable grenier pour l’Europe, avec des débouchés assurés à 100 %. Grâce à ces produits les chinois arrivent directement au cœur de l’UE, sans passer par la mer Noire, avec un raccourci de plus de 1000 km.
Pour comprendre à quel point les plans russo-chinois ont été bien pensés, il faut se rappeler du projet du canal d’Istanbul qui a vu le jour en 2011, et qui devait relier la mer de Marmara à la mer Noire, parallèlement au détroit du Bosphore, permettant ainsi aux navires de guerre américains de contourner les restrictions imposées par la Convention de Montreux sur le Bosphore et les Dardanelles. Une fois les études de faisabilité et géologiques terminées, il fut établi que la longueur du parcours final du canal serait de 48 km. Mais après que la Chine eut fait l’annonce au sujet du canal Belgrade – Thessalonique, les Turcs ont arrêté leur projet car il était devenu inutile.
Par Valentin Vasilescu, pilote d’aviation, ancien commandant adjoint des forces militaires à l’Aéroport Otopeni, diplômé en sciences militaires à l’Académie des études militaires à Bucarest 1992.
Traduit par Avic
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