La Cour des comptes rend public, le 17 juin 2014, son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, établi en application de l’article 58-3° de la loi organique relative aux lois de finances. Il vise à nourrir le débat du Parlement sur les orientations des finances publiques, mais aussi, cette année, sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale rectificatives.
En effet la Cour des comptes tire la sonnette d'alarme. Dans un rapport publié ce mardi 17 juin ci-joint en bas, les Sages de la rue Cambon affirment que "même si les objectifs de déficit du programme de stabilité sont atteints, la dette publique dépassera 2.000 milliards d'euros à la fin de 2014". En cas de croissance inférieur à 1%, ce dérapage pourrait s'avérer bien pire.
Le déficit public devrait par ailleurs s'établir aux alentours de 4% du PIB, voire un peu plus, fin 2014. Le gouvernement prévoit pourtant d'atteindre un déficit de 3,8%. Un chiffre réévalué par rapport à l'objectif initial de 3,6%.
Conclusion générale
En 2013, un déficit public en baisse mais sensiblement plus élevé que prévu
La réduction du déficit public s’est poursuivie en 2013 (4,3 % du PIB après 4,9 % en 2012), mais beaucoup plus lentement que prévu dans la loi de programmation de décembre 2012 (3,0 % en 2013 après 4,5 % en 2012). Si la croissance des dépenses en valeur a été plus faible qu’anticipé, en partie grâce à la forte baisse des charges d’intérêt, la progression des recettes a été beaucoup moins favorable. La reprise attendue de l’ activité n’ a pas eu lieu. Surtout, l’ élasticité des prélèvements obligatoires au PIB avait été fortement surestimée.
La dette a en conséquence continué à augmenter (de 3,2 points de PIB) pour atteindre 94,1 % du PIB à fin 2013.
En dépit d’un effort structurel considérable (1,5 point de PIB), tenant aux mesures de hausse des prélèvements obligatoires, un « écart important » a été constaté entre le déficit structurel de 2013 (3,1 % du PIB) et celui inscrit dans la loi de programmation (1,6 % du PIB), déclenchant le mécanisme de correction prévu par la loi organique de 2012.
Une situation qui reste plus dégradée en 2013 que dans les autres pays européens, surtout en raison de dépenses moins bien maîtrisées
Malgré une croissance économique plus faible, les pays de la zone euro et de l’Union européenne ont, en moyenne, réduit leur déficit dans des proportions semblables à la France. Celle-ci continue ainsi à présenter une situation plus dégradée : son déficit effectif (4,3 % du PIB) excède sensiblement la moyenne des pays de la zone euro (3,0 %) et de l’Union européenne (3,3 %) ; il en va de même pour le déficit structurel (3,1 % du PIB contre respectivement 1,3 % et 1,8 %).
La dette publique de la France se situe fin 2013 pour la première fois au-dessus de la moyenne tant de la zone Euro que de l’Union européenne. Alors qu’elle a diminué de 2,6 points de PIB en Allemagne en 2013, elle a augmenté de 3,2 points en France.
La réduction du déficit a été obtenue en France en 2013 avec une croissance des recettes mais aussi des dépenses plus forte que dans l’ensemble de la zone euro et de l’Union européenne. Ses dépenses publiques, rapportées au PIB, ont augmenté de 0,5 point alors qu’elles ont diminué de 0,1 point dans la zone euro et de 0,3 point dans l’Union.
De nombreux pays ont pourtant réussi par le passé à rééquilibrer leurs finances publiques en réduisant leurs dépenses, notamment l’Allemagne, qui est proche de la France en termes de niveau de vie, de population et de structure de dépenses publiques. Entre 2001 et 2013, les dépenses publiques ont progressé de 5,4 points de PIB en France alors qu’elles diminuaient de 2,9 points en Allemagne.
En 2014, un risque de dépassement des objectifs de déficits
Le Haut Conseil des finances publiques a considéré que, sans être hors d’atteinte, la prévision de croissance du Gouvernement pour 2014 paraissait désormais élevée, ce qui fait peser un risque sur la prévision de déficit.
Malgré sa révision à la baisse dans le programme de stabilité par rapport à la loi de finances initiale, l’élasticité des prélèvements obligatoires paraît encore trop forte, ce qui fait peser un risque supplémentaire, de 2 à 3 Md€, sur les prévisions de recettes. Il porte principalement sur le produit des impôts sur le revenu des ménages et les bénéfices des sociétés.
Pour le budget de l’État , les risques de dépassement des objectifs de la loi de finances initiale sur le champ de la norme en valeur (de 1 à 3 Md€) sont un peu plus importants que les années précédentes. Ces objectifs ont, de plus, été révisés à la baisse de 1,6 Md€ dans le programme de stabilité et le projet de loi de finances rectificative de juin devrait traduire cette révision. Les annulations, en fin de gestion, de crédits mis en réserve pouvant ne pas suffire pour respecter ce nouvel objectif, la loi de finances rectificative devra annuler des crédits au-delà de ceux qui ont été mis en réserve. Le respect de ce nouvel objectif impliquera en outre une extrême vigilance dans la gestion budgétaire d’ici la fin de l’exercice et ne laisse aucune marge de sécurité pour des dépenses imprévues.
Bien que révisées à la hausse depuis septembre dernier, les prévisions de croissance des dépenses des administrations publiques locales présentent encore un risque de sous-estimation.
Au total, et dans la limite des informations dont dispose la Cour, le déficit public pourrait être proche de 4,0 % du PIB en 2014 (au lieu de 3,6 % prévu en loi de finances initiale et 3,8 % mentionné dans le programme de stabilité), voire légèrement supérieur à ce chiffre si la prévision de croissance économique du Gouvernement ne se réalisait pas. Le déficit structurel pourrait s’élever à 2,5 % du PIB (au lieu de 1,7 et 2,1 %).
Si ce risque se concrétisait, la nouvelle trajectoire des finances publiques pour les années 2015 à 2017 inscrite dans le programme de stabilité de mai 2014 s’en trouverait fragilisée avant même sa première année d’application.
Pour 2015-2017, une réduction des déficits reposant sur une inflexion forte, mais encore très incertaine à ce stade, de la croissance des dépenses
Bien que les objectifs de déficit aient été de nouveau décalés dans le temps, ce qui devra être validé par le Conseil de l’Union européenne et inscrit dans une nouvelle loi de programmation, la nouvelle trajectoire des finances publiques contenue dans le programme de stabilité reste fragile.
Elle intègre les 35 Md€ de baisses de prélèvements obligatoires correspondant au pacte de responsabilité et de solidarité et à la montée en charge du CICE, mais l’augmentation prévue d’autres impôts limite l’effet net des mesures de baisse des prélèvements obligatoires à 14 Md€. Pour être compatible avec la réduction du déficit visée, cette baisse des prélèvements exige un fort ralentissement de la croissance des dépenses.
Les économies nécessaires pour atteindre cet objectif sont estimées par le Gouvernement à 50 Md€ par différence avec la progression tendancielle des dépenses. Celle-ci repose sur des hypothèses conventionnelles peu formalisées et a été implicitement révisée légèrement à la baisse dans le programme de stabilité. S’il est normal que la croissance tendancielle des dépenses soit révisée périodiquement, encore faudrait-il que les conventions et méthodes utilisées pour l’estimer soient rendues publiques.
Les économies annoncées ne sont encore pas toutes documentées précisément et certaines sont particulièrement hypothétiques car devant être réalisées par des administrations publiques dont l’État ne maîtrise pas les dépenses. C’est le cas en particulier des collectivités territoriales où rien ne garantit que la réduction de 11 Md€ des dotations de l’État se
traduira immédiatement et à due concurrence par un ralentissement équivalent de leurs dépenses.
Au-delà des risques pesant sur les objectifs de dépenses du programme de stabilité, des risques non négligeables pèsent sur les prévisions de recettes tenant notamment au scénario macroéconomique retenu. Le Haut Conseil des finances publiques a considéré que, si la prévision de croissance pour 2015 n’était pas hors d’atteinte, le scénario macroéconomique pour 2016 et 2017 était optimiste.
Les déficits effectifs et structurels, ainsi que la dette publique, pourraient donc être plus élevés que ceux inscrits dans le programme de stabilité, notamment en 2015, année caractérisée par un objectif d’économies plus élevé que les années suivantes.
Le processus de consolidation budgétaire entamé tardivement par la France à partir d’une situation dégradée de longue date a produit de premiers résultats : les déficits ont commencé à se réduire, les normes d’évolution des dépenses de l’État et de l’assurance maladie sont mieux respectées. Dans un contexte de croissance économique faible, la réduction du déficit public est toutefois lente à se concrétiser et reste très en-deçà des objectifs visés. À la différence de beaucoup d’autres pays, l’effort a très majoritairement reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements, levier dont l’année 2013 a montré les limites avec l’affaissement constaté du volume des recettes collectées par l’État à législation constante.
La poursuite du rééquilibrage des finances publiques est indispensable vu l’alourdissement ininterrompu de la dette et les menaces qu’il fait peser à terme sur l’indépendance des choix économiques et sociaux du pays. Elle doit prendre la forme d’une réduction significative et durable de la dépense publique rapportée au PIB.
L’effort visé dans le programme de stabilité d’avril 2014 participe de cette orientation. Il n’a rien d’inaccessible : les économies nécessaires chaque année ne représentent que 1,4 % de la dépense publique et la réalisation de l’objectif visé n’empêcherait pas celle-ci de continuer à progresser de 62 Md€ entre 2014 et 2017.
Un effort de cette nature a d’ailleurs pu être réalisé dans un passé récent et dans des proportions souvent plus fortes par nombre de pays comparables, dont l’Allemagne sur la dernière décennie.
Si la modernisation de l’action publique (MAP) a privilégié à son démarrage une approche qualitative et est loin d’avoir à ce jour identifié des économies à la hauteur des enjeux, de nombreux travaux d’évaluation n’en sont pas moins disponibles, tant en matière de dépenses budgétaires stricto sensu que de dépenses fiscales, sur lesquels il est possible de s’appuyer pour fonder les décisions politiques.
Dans trois domaines-clés, la maîtrise de la masse salariale publique, les dépenses d’assurance maladie et celles des collectivités territoriales, le rapport illustre les leviers d’action utilisables pour contenir la dépense et améliorer son efficacité.
Il fournit également, dans la perspective de la prochaine loi de programmation des finances publiques, des pistes visant à renforcer la cohérence et l’efficacité des outils de pilotage d’ensemble de nos finances publiques : renforcement des règles budgétaires, fixation d’un objectif global de dépenses des administrations publiques, décliné dans une « loi de finances des collectivités territoriales » et dans une « loi de financement de la protection sociale obligatoire ».
L’effort de réduction de la dépense publique visé dans le programme de stabilité, pour nouveau et important qu’il soit dans notre pays, peut donc être réalisé. Il impose de reconsidérer chacune des politiques publiques où les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des moyens que la collectivité y consacre, de réexaminer les missions qui se sont accumulées au fil du temps et leur partage entre acteurs, de cibler au plus juste et au plus efficace les dépenses d’intervention et d’impliquer effectivement toutes les administrations publiques, et non seulement l’État, dans l’effort nécessaire.
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques 2014 mardi 17 juin 2014
Mesdames, messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour des comptes ce matin.
Dans son rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques, la Cour livre chaque année au mois de juin un rapport qui analyse, de façon à la fois rétrospective et prospective, la situation des finances publiques : celles de l’État bien sûr, de ses opérateurs mais aussi de la protection sociale et des collectivités territoriales ; en somme tout ce qu’on appelle les administrations publiques, dont les dépenses représentaient en 2013 57,4 % du PIB.
Destiné à assister le Parlement dans son débat de juillet sur l’orientation des finances publiques, ce rapport s’adresse également au citoyen. C’est la raison pour laquelle, aux termes de la loi, il est rendu public.
J’ai autour de moi Raoul Briet, président de chambre et président de la formation interchambres qui a préparé ce rapport, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour, François Ecalle, conseiller maître, rapporteur de synthèse et Christian Charpy, conseiller maître, président de section et contre-rapporteur. De nombreux rapporteurs y ont contribué. Ils ont travaillé, enquêté ainsi qu’entendu les administrations compétentes. Je veux leur exprimer toute ma reconnaissance.
Je présenterai le contenu de ce rapport en développant cinq messages qui s'en dégagent :
Le premier message est qu’un effort d’ampleur a été engagé mais n’a conduit en 2013 qu’à une réduction limitée des déficits, très en-deçà des objectifs visés ;
Le deuxième est que la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante. Les déficits sont toujours importants et la dette continue d'augmenter. Les comptes publics restent plus dégradés que ceux de la moyenne européenne ;
Le troisième message est que l’objectif de déficit pour 2014, déjà révisé à la hausse en mai, risque d'être dépassé. Dans cette hypothèse, la poursuite de la trajectoire des finances publiques pour les années qui viennent s’en trouverait immédiatement fragilisée ;
Le quatrième message est que pour respecter la nouvelle trajectoire fixée, tout en baissant les prélèvements obligatoires, un niveau élevé d’économies sur les dépenses devra être réalisé et tout particulièrement dès 2015. Leur réalisation est très fragile, car l’effort devrait reposer en bonne partie sur des acteurs dont l’État ne maîtrise pas les dépenses. Les hypothèses de recettes sont également optimistes ;
Le cinquième message est qu’un tel effort, ambitieux, n'a pourtant rien d'inaccessible, d'autres pays comparables l'ont fait, et les marges de manœuvre existent pour réduire le poids des dépenses publiques. La Cour l’illustre concrètement par des exemples concernant les dépenses d’assurance maladie, des collectivités territoriales et de masse salariale.
Je reviens sur le premier message : un effort d’ampleur a été engagé mais n’a conduit en 2013 qu’à une réduction encore limitée des déficits, et se situant très en-deçà des objectifs visés.
Les mesures prises depuis 2011 pour redresser les comptes publics ont produit des premiers résultats tangibles. De 7,5 % du PIB en 2009, le déficit public s’est en effet réduit pour atteindre 4,3 % en 2013.
Malgré une croissance quasi nulle et avec une inflation faible, l'année 2013 a permis une réduction de 0,6 point de PIB du déficit, après 0,3 point en 2012. Le déficit structurel, calculé indépendamment de la conjoncture, s’est lui aussi réduit en 2013, passant de 4,2 à 3,1 points de PIB. Ces résultats sont réels mais décevants au regard de l’ampleur des mesures prises pour redresser les comptes publics, qu’il s’agisse de hausse des recettes ou de maîtrise des dépenses. Ces mesures ont représenté 1,5 point de PIB d’effort structurel, soit un niveau plus important que les années passées et sans précédent depuis au moins 1998.
Certes, la croissance des dépenses publiques a été ralentie : elles ont augmenté de 1,3 % en plus de l’inflation. Ce rythme était en moyenne de 1,4 % entre 2009 et 2013 et de 2,3 % entre 2000 et 2008. Les normes d’évolution des dépenses, qui concernent le budget de l’État et l’assurance maladie, fixées à des niveaux plus exigeants qu’auparavant, ont été respectées. Le faible niveau de l’inflation et la baisse de la charge d’intérêts de la dette ont facilité une évolution modérée des dépenses. Au total, l’effort en dépense n’a apporté qu’une contribution limitée au redressement des comptes, à savoir 0,1 point de PIB.
La quasi-totalité de la réduction du déficit a résulté d’un effort en recettes, de 1,4 point de PIB. Si les mesures nouvelles, qui servent à mesurer celui-ci, ont presque eu le rendement espéré, en revanche, les recettes publiques, à législation constante, n’ont augmenté que de 0,2 %, soit un rythme bien plus lent que le PIB, qui a augmenté de 1,1 % en euros courants. Les moins-values constatées sur l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés soulèvent, une nouvelle fois, la question de la qualité voire de la sincérité des prévisions de recettes fiscales, comme l’a relevé le rapport de la Cour du mois dernier sur le budget de l’État en 2013.
À la différence de beaucoup d'autres pays, l'effort réalisé depuis 2011 a très majoritairement reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements obligatoires. Ces hausses ont représenté 18 Md€ en 2011, puis 22 Md€ en 2012 et 29 Md€ en 2013. La multiplication des mesures nouvelles a entraîné une incertitude croissante sur le rendement de l'impôt. L'année 2013 illustre les limites d'une stratégie concentrée trop exclusivement sur l'augmentation des recettes, avec un affaiblissement sensible et demeurant, en partie mal expliqué, du volume des impôts collectés par l'État à législation constante, notamment les impôts sur le revenu et sur les sociétés en 2013, après la TVA en 2012.
Le secteur public local n’a pas apporté la contribution attendue au redressement des comptes publics. Le déficit des collectivités territoriales, dans leur ensemble, a augmenté, passant de 3,7 Md€ en 2012 à 9,2 Md€ en 2013. La progression des dépenses de fonctionnement se situe encore à un niveau soutenu, de 2,8 %. Le déficit de la sécurité sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011, compte tenu du faible dynamisme des recettes. Alors que les comptes des branches retraite et accidents du travail du régime général se redressent, les déficits de l’assurance maladie et de la branche famille se sont creusés.
Ainsi, en raison de l’atonie des recettes, à législation constante, la réduction du déficit en 2013 a été sensiblement plus lente que prévu.
J’en viens maintenant au deuxième message, la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante.
La Cour veut convaincre chacun que le redressement des comptes publics, qui est une priorité pour les pouvoirs publics, constitue un enjeu essentiel et urgent pour notre pays. La France a toléré, depuis près de quatre décennies, la répétition chaque année d'un déficit de ses comptes publics. Elle est entrée dans la crise chargée d'une dette déjà lourde. Malgré les efforts déjà réalisés, le déficit s'établit à un niveau encore bien supérieur à celui qui permettrait de stabiliser la dette rapportée à la richesse nationale, à savoir 1 % en 2013. Ainsi, la dette a progressé en 2013 de 84 Md€, ce qui représente 1 300 € supplémentaire par Français en une année. Le fait que la dette ne soit toujours pas stabilisée rend, aux yeux de la Cour, la situation des finances publiques toujours préoccupante. La dette publique a atteint 1 925 Md€, soit 94,1 % du PIB. Près d'un mois de dépenses publiques est financé par l'emprunt.
La faiblesse des taux d'intérêts, qui s'est encore accentuée en 2013, contribue à nous rendre insensibles à ce poison lent qu’est la dette, puisqu’alors même qu’elle progresse, son coût immédiat se réduit. La charge d'intérêts est passée de 52,2 Md€ à 46,7 Md€. Le retour de la croissance s'accompagnera tôt ou tard d'une remontée des taux d'intérêts. Notre pays doit donc se préparer à payer à l'avenir un prix nettement plus élevé pour le service de la dette, alors même qu'au niveau actuel, il absorbe déjà l'équivalent des dépenses de l'enseignement scolaire. Rompre la spirale de l’endettement est indispensable pour redonner au pays les marges de manœuvre nécessaires pour stimuler la croissance et améliorer sa compétitivité.
S’y ajoute le constat que la dette, dans sa quasi totalité, a servi à financer des dépenses courantes. Cela pose un problème d’équité entre les générations, car ces dépenses n’auront pas servi à préparer l’avenir.
Ces raisons sont à elles seules suffisantes. S’y ajoutent d’autres arguments, notamment la nécessité de respecter les engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens, le recul de sa situation par rapport à ses voisins européens, en un mot la nécessité de mieux asseoir la crédibilité de notre signature.
En effet, la France ne se situe plus sur la trajectoire qu’elle s’est fixée elle-même par la loi de programmation des finances publiques, adoptée il y a seulement un an et demi, fin 2012. Cette trajectoire constitue toujours la référence au regard du droit national et des obligations résultant du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Elle prévoyait un déficit public réduit à 3 % en 2013. L'écart est donc de 1,3 point en termes de déficit effectif et de 1,5 point en termes de déficit structurel, c’est à dire mesuré hors effets de la conjoncture économique. Une telle situation a conduit le Haut Conseil des finances publiques à constater un écart important rendant nécessaire un mécanisme de correction, ainsi que le prévoit la loi organique du 17 décembre 2012 relative à programmation et à la gouvernance des finances publiques.
Il faut constater que la situation des finances publiques, bien qu’en voie d’amélioration, demeure plus dégradée que dans les autres pays européens. Le déficit public, de 4,3 % du PIB en 2013, est supérieur à la moyenne de l’Union européenne (3,3 %), et à celle de la zone euro (3 %). Avec un niveau de croissance légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro, la France a réduit son déficit dans des proportions semblables à ses partenaires. La dette publique y a augmenté un peu plus vite que la moyenne. Pour la première fois, le niveau de dette français se situe au-dessus des deux moyennes de l'Union européenne et de la zone euro. Bien que ralenti, le rythme de croissance des dépenses publiques en France a été encore sensiblement plus rapide que chez ses voisins en 2013.
La lenteur du rééquilibrage ne doit pas faire douter de son bien-fondé ni de son absolue nécessité. On n'efface pas les conséquences de quarante années de gestion déséquilibrée des finances publiques en quatre années et au lendemain de la crise économique la plus grave qu’ait connue notre pays depuis l’entre-deux guerres. Un effort de cette nature doit donc être poursuivi dans la durée.
Le troisième message concerne les risques entourant la réalisation des objectifs pour l'année en cours. Fixé à 3,6 %, l'objectif de déficit public a été révisé à la hausse à 3,8 % à l'occasion du programme de stabilité de mai. La Cour a examiné les risques pesant sur la réalisation des nouvelles prévisions contenues dans ce programme et reprises dans les projets de lois financières rectificatives, qui vont être prochainement discutés par le Parlement.
La Cour a identifié des risques importants de moindres recettes. Des moins-values possibles peuvent être associées à une surestimation de l'élasticité des recettes publiques, c'est à dire de la manière dont elles réagissent à la croissance du PIB. Déjà, l'importante surestimation de cette hypothèse en 2013, qui constitue un défaut récurrent dans la construction des budgets, a entraîné 8 Md€ de moindres recettes pour l’ensemble des administrations publiques. Pour 2014, la Cour estime à 2 à 3 Md€ au total les risques liés à ces hypothèses d'élasticité et, à un degré moindre, ceux tenant au chiffrage des mesures nouvelles. Il existe aussi un risque tenant à une fragilisation de la prévision de croissance de 1 % sur laquelle repose les prévisions de recettes, compte tenu des informations les plus récentes. Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis du 5 juin, a estimé que cette prévision, sans être hors d'atteinte, apparaît désormais élevée.
La Cour a effectué une analyse rétrospective sur l'origine des écarts entre prévision et réalisation dans les lois de finances de la dernière décennie. Alors que les écarts provenant de dépenses plus importantes que prévu se sont réduits, ceux concernant les prévisions de recettes se sont accrus. La croissance spontanée des recettes a été en moyenne surestimée de 4 Md€ par an, particulièrement au cours des années de plus faible croissance. La Cour appelle donc à un renforcement des outils de prévision des recettes et à une plus grande transparence dans la présentation des hypothèses retenues et des écarts constatés entre prévisions et réalisations.
S'agissant des dépenses en 2014, la Cour a examiné en détail la situation budgétaire de l'État à mi-année. Elle a constaté que les risques de dépassement des crédits étaient un peu plus importants que les années précédentes. Ils concernent par exemple le ministère de la défense et celui de l’agriculture. Mais la Cour estime que les objectifs de dépenses pourraient être atteints, notamment grâce à l’annulation de crédits mis en réserve.
Les objectifs de dépenses de sécurité sociale devraient également être tenus. Les prévisions concernant l'assurance chômage risquent en revanche d'être dépassées. Surtout, les dépenses des collectivités territoriales, même révisées à la hausse, paraissent encore sous- estimées. Au total, le déficit des administrations publiques pourrait dépasser l'objectif de déficit de 3,8 % et être proche de 4 %, voire légèrement supérieur si la prévision de croissance du Gouvernement ne se réalisait pas. Dans ce cas, le respect de la trajectoire des finances publiques pour les années 2015 à 2017 s’en trouverait immédiatement fragilisé.
Le quatrième message concerne les perspectives des finances publiques pour les années à venir. Une nouvelle trajectoire a été fixée, dans laquelle le retour à l'équilibre structurel des comptes publics est reporté à 2017 au lieu de 2016. Elle prévoit que le seuil des 3 % de déficit public soit atteint en 2015, année où le niveau de dette rapporté à la richesse nationale serait stabilisé avant de baisser. Cette nouvelle trajectoire, qui devrait être formalisée par le vote d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques, intègre les baisses de prélèvements obligatoires annoncées en faveur de la compétitivité des entreprises et du pouvoir d'achat des ménages. La Cour a estimé à 14 Md€ leur coût net. En effet, la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ainsi que les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité représentent un allégement de 35 Md€. Mais le programme de stabilité prévoit parallèlement une augmentation d'autres prélèvements, pour 21 Md€. Ainsi, les prélèvements obligatoires devraient baisser de 14 Md€ d'ici 2017, l'essentiel de cette baisse intervenant en 2015 et en 2016.
Pour tenir les objectifs de réduction des déficits, tout en finançant ces baisses d'impôts, l’évolution des dépenses publiques devra être davantage ralentie. La trajectoire initiale prévoyait une hausse de 70 Md€ entre 2015 et 2017. Elle serait désormais limitée à 62 Md€. Ce chiffre montre que l'effort prévu n'implique pas une réduction en valeur absolue des dépenses, mais un ralentissement sensible de leur rythme d'accroissement. Il ne faut cependant pas minimiser l'effort que cet objectif représente, car il suppose de limiter la croissance annuelle moyenne des dépenses publiques à 0,1 % en plus de l'inflation, alors que ce taux était chaque année en moyenne de 2,3 % entre 2000 et 2008 et de 1,4 % entre 2009 et 2012.
Il est d'usage d'évoquer des niveaux « d'économies » à réaliser, que le Gouvernement chiffre à 50 Md€ sur 3 ans. Ce chiffrage repose sur une comparaison avec une tendance d'accroissement des dépenses publiques à politique constante. La fixation de cette tendance relève de conventions diverses et fragiles, notamment la prolongation de tendances historiques sur une période de référence. Si le Gouvernement a pu maintenir le chiffre de 50 Md€ d'économies avant et après prise en compte des nouvelles baisses de prélèvements obligatoires décidées, cela signifie qu’il a révisé à la baisse, implicitement, son hypothèse de croissance spontanée des dépenses, qui passe de 1,6 % à 1,5 % en plus de l'inflation. Sans cette révision conventionnelle, le montant d'économies aurait représenté 58 Md€. Si de telles révisions ne sont pas illégitimes dans leur principe, pour tenir compte du ralentissement que l'on peut constater depuis le début des années 2000, les conventions et méthodes utilisées devraient être explicitées et rendues publiques.
La Cour a examiné le contenu du programme de 50 Md€ d'économies annoncées. Elle relève qu'une partie de celles-ci, représentant une vingtaine de milliards d'euros, correspond à des orientations déjà décidées, par exemple la poursuite du gel des traitements de base des fonctionnaires, ou constitue la prolongation d'efforts déjà réalisés, s'agissant par exemple des dépenses de santé. La réalisation des 30 Md€ restant est encore incertaine car peu documentée.
Les économies identifiées dans le cadre de la Modernisation de l'action publique, de l'ordre de 5 à 7 Md€, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Celle-ci n’a été en effet que tardivement orientée vers la recherche d'économies.
Surtout, près de 15 Md€ d'économies prévues reposent sur des administrations dont l'État ne maîtrise pas les dépenses : les régimes complémentaires de retraite, pour 2 Md€, l'assurance chômage, pour 1,5 Md€ et les collectivités territoriales pour 11 Md€. Le Gouvernement anticipe un ralentissement marqué des dépenses de ces dernières sous l'effet du gel des dotations de l'État et d’un moindre effort d'investissement. Plus précisément, il anticipe qu'un euro de dotations en moins entraînera aussitôt un euro de moindres dépenses. Or rien n'empêche des collectivités territoriales de relever la fiscalité locale ou de recourir à l'endettement pour accroître le niveau de leurs dépenses. L'expérience de 2013 ne peut, à cet égard, qu’attirer l’attention. Alors que les communes subissaient le gel des dotations de l'État, leurs dépenses de fonctionnement se sont accrues et leur déficit a progressé. En particulier, les dépenses de personnel ont progressé de 2,6 % dans les communes et de 7,2 % dans les intercommunalités.
La demande d’un effort accru au secteur local devrait prendre en compte le fait que la situation des différents niveaux de collectivités est de plus en plus différenciée, les départements se situant en moyenne dans une situation plus contrainte que les communes. Au sein de chaque catégorie, les situations sont elles-mêmes hétérogènes, ce qui devrait appeler une modification des mécanismes de partage des recettes entre collectivités.
Le choix d'un partage équilibré des efforts entre toutes les administrations publiques répond à une préconisation de la Cour. Mais pour assurer la réalisation de la trajectoire, un tel choix devrait se traduire simultanément par un renforcement des outils de programmation et de suivi des finances publiques. Les normes de dépenses concernant l'État et ses opérateurs pourraient être élargies. Les lois de finances et de financement votées par le Parlement ne concernent actuellement que l'État et la sécurité sociale. Leur champ pourrait être étendu à l'ensemble des régimes de protection sociale obligatoire, incluant les régimes d'assurance chômage et de retraite complémentaire. Des lois de finances locales pourraient aussi être instaurées. Elles fixeraient des objectifs d'évolution des dépenses et des recettes et prévoiraient les mesures permettant de les atteindre. L’effort demandé aux collectivités, dans le respect de leur libre administration, encadrée par les lois, serait précisé, avec des mécanismes de suivi en cours d’exécution. De son côté, l’État devrait clarifier ses engagements s’agissant de celles de ses décisions qui peuvent avoir un impact important sur les finances locales, notamment celles relevant de la politique salariale des fonctionnaires ou de l’édiction de normes diverses.
Le dépassement des objectifs de dépenses représente aujourd’hui le principal risque de déviation de la trajectoire. Mais la Cour identifie également un risque sensible sur le niveau de recettes pour les prochaines années. Le scénario macroéconomique retenu est fragile, particulièrement en matière de progression de la masse salariale et de reprise de l'emploi. Si le Haut Conseil des finances publiques n'a pas jugé hors d'atteinte la prévision de croissance pour 2015, de 1,7 %, il a estimé néanmoins qu'elle reposait sur une conjonction d'hypothèses favorables. Il considère que les prévisions de croissance pour 2016 et 2017 sont optimistes.
J'en viens au dernier message : pour ambitieux qu'il soit, l'objectif de maîtrise des dépenses est réalisable, d'autres pays comparables l'ont fait, et les marges de manœuvre existent.
De nombreux pays sont parvenus à infléchir sensiblement la progression de leurs dépenses. Au Pays-Bas, entre 1995 et 1999, la dépense publique a été réduite de 10,3 % dans le PIB. La Cour prend l'exemple de l'Allemagne, qui est parvenue à assurer le retour à l'équilibre structurel de ses comptes en agissant principalement sur ses dépenses.
Alors que le taux de dépenses publiques progressait de 5,4 points de PIB en France entre 2001 et 2013, il se réduisait de 2,9 points en Allemagne. Les deux pays avaient et ont toujours une répartition comparable de leurs dépenses par politiques publiques. Mais la France dépense davantage pour la quasi totalité des postes. L'évolution du poids des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement explique l'essentiel de la divergence de trajectoire entre la France et l'Allemagne.
Un niveau de dépenses publiques élevé ne trouve toute sa justification que si ces dépenses sont financées dans la durée et si leur efficacité et leur efficience sont garanties.
Or, il existe incontestablement d’importantes marges de progrès pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause la qualité du service rendu ni remettre en cause les principes du modèle social français. Les résultats atteints par nombre de politiques publiques ne sont pas à la hauteur des moyens investis. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins. C’est d’autant plus nécessaire que des marges de manœuvre manquent à notre pays pour investir dans les projets d’avenir et redresser sa compétitivité.
La recherche d’économies doit être comprise et utilisée comme une opportunité pour initier des réformes plus profondes, touchant à l’adaptation et à la modernisation des politiques publiques. En 2013, la Cour a livré une panoplie de leviers possibles pour réaliser des économies.
Cette année, elle consacre des développements détaillés à trois champs de dépenses particulièrement concernés par les économies à venir. Pour chacun d’eux, les objectifs affichés sont réalisables, mais supposent des arbitrages clairs et des décisions explicites.
Je commencerai par la maîtrise de la masse salariale publique, qui est incontournable pour permettre un freinage des dépenses publiques dans leur ensemble, puisqu’elle représente 23,2 % de celles-ci. Le programme de stabilité prévoit un ralentissement très sensible de la masse salariale, qui devrait croître à un rythme désormais inférieur à l’inflation. Pour l’État, à effectifs constants, les mesures utilisées dans la période récente – gel du traitement de base, baisse des mesures catégorielles – ne suffiront pas à atteindre les objectifs. Si l’on souhaite conserver une fonction publique attractive, il convient de préserver quelques marges de manœuvres salariales. Aussi convient-il d’envisager le recours au levier que constitue la baisse des effectifs des administrations publiques, porteuse d’économies importantes et durables. Une hausse du temps de travail effectif des fonctionnaires, qui se situe parfois en-deçà de la durée légale, pourrait rendre possible cette baisse des effectifs sans réduire la quantité et la qualité des services publics. A cet égard, il serait particulièrement utile d’établir un état des lieux de la durée effective de travail dans les trois fonctions publiques.
L’État a déjà consenti beaucoup plus d’efforts que les autres administrations publiques pour maîtriser sa masse salariale. Depuis 2009, les effectifs des collectivités territoriales ont augmenté de 1,3 % par an en moyenne, alors qu’aucun transfert de compétence n’est intervenu sur cette période. A l’hôpital, la tendance est comparable. Dès lors, ces administrations devraient apporter une contribution sensiblement accrue à la maîtrise de la masse salariale publique. Cela pourrait passer par une forte inflexion des recrutements dans les collectivités territoriales et par des réorganisations hospitalières.
Le deuxième domaine qu’évoque le rapport concerne le secteur des collectivités territoriales. Une grande partie des économies attendues du secteur local peuvent être trouvées dans les dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités, dans les dépenses d’intervention des régions et dans une plus grande sélectivité des investissements locaux.
Le dernier domaine évoqué est celui de l’assurance maladie, où réside encore la principale source de déficit de la sécurité sociale. Le retour à l’équilibre de celle-ci passe par une mobilisation résolue des très importants gisements d’économies que recèle notre système de soins, sans pour autant réduire sa qualité ni l’accès de tous à celui-ci. La Cour, année après année, livre des exemples variés de réformes permettant de rendre plus efficace la dépense de santé. Ainsi, le développement de la chirurgie ambulatoire, c’est à dire pour laquelle l’intervention est réalisée sans nuit passée à l’hôpital, très en retard dans notre pays, peut entraîner des économies allant jusqu’à 5 Md€. Plusieurs milliards d’euros peuvent encore être trouvés dans la politique du médicament, s’agissant de baisses de prix ou d’un développement nettement accru des médicaments génériques, comme dans des pays voisins. Certains postes de dépenses peuvent être bien mieux maîtrisés, notamment le transport des patients, les analyses médicales, les indemnités journalières en cas d’arrêt maladie ou les dépenses de gestion des caisses d’assurance maladie.
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La Cour des comptes est une juridiction indépendante. À ce titre, elle est une composante de notre démocratie. Elle essaie de contribuer à une démocratie mature : c’est-à-dire une démocratie qui ne décide pas sans savoir et qui évalue les conséquences de ses choix.
La Cour a pour rôle d’assister le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des politiques publiques, et d’informer le citoyen. C’est pourquoi elle est tenue à un devoir de vérité. Face à la gravité de la situation, nous ne pouvons pas fermer les yeux.
On ne reproche pas à la lampe d’éclairer la pièce, même si elle révèle que la pièce est en désordre. Les constats, les diagnostics sont là. Nos concitoyens savent que la situation appelle des décisions difficiles et courageuses de la part des responsables politiques. Derrière chaque dépense publique, il y a un bénéficiaire ou un intérêt particulier. Mais leur addition ne fait pas l’intérêt général. La maîtrise de son destin par la France passe par sa capacité à restaurer ses marges de manœuvre, grâce au désendettement et à la réduction des déficits.
Tout en restant à sa place, qui n’est pas celle du décideur, la Cour des comptes s’efforce, année après année, rapport après rapport, d’ouvrir des pistes, de montrer qu’il y a des solutions. J’espère que ce rapport aura tout à la fois mis en évidence le caractère préoccupant de la situation de notre pays en matière de finances publiques, et montré qu’il était possible d’y remédier.
Je vous remercie de votre attention.
2013 : une réduction du déficit moins forte que prévu
Le déficit public (4,3 % du PIB) a été réduit de manière moins importante que prévu. L’évolution modérée des dépenses publiques n’a pas compensé la faiblesse des recettes, hors mesures nouvelles. Malgré un effort structurel considérable (1,5 point de PIB), le déficit structurel (3,1 % du PIB) reste loin de la trajectoire de la loi de programmation (1,6 % du PIB prévu en 2013).
Si le déficit de l’État a diminué de près de 13 Md€, celui des administrations de sécurité sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011 et celui des administrations publiques locales s’est creusé, à 0,4 % du PIB.
Des comptes publics qui restent plus dégradés que ceux de la moyenne de l’Union européenne
En dépit d’une croissance économique en moyenne plus élevée, la France n’a pas amélioré la situation relative de ses déficits publics. Sa dette publique, qui a augmenté plus que la moyenne européenne, se situe désormais au-dessus de celle-ci. Les dépenses publiques ont crû en France en 2013, alors qu’elles ont baissé dans le reste de l’Europe, et la progression des recettes y a été plus forte qu’ailleurs.
L’écart entre la France et l’Allemagne en termes de poids des dépenses publiques s’est accru entre 2001 et 2013 : la part des dépenses publiques dans le PIB a progressé de 5,4 points, alors qu’elle a baissé de 2,9 points en Allemagne. Cet écart tient pour l’essentiel aux évolutions des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement des administrations publiques.
2014 : des risques de dépassement de l’objectif de déficit
La prévision de croissance de 1 % du PIB en 2014 retenue par le programme de stabilité a été jugée élevée, sans être considérée hors d’atteinte, par le Haut Conseil des finances publiques.
Compte tenu des pertes de recettes enregistrées en 2013, le programme de stabilité prévoit, pour 2014, un rendement des prélèvements obligatoires inférieur de 10 Md€ à la prévision de septembre dernier. Malgré cette correction, la Cour identifie encore un risque à la baisse, de 2 à 3 Md€, lié à la prévision d’élasticité des prélèvements obligatoires.
Même s’ils ne laissent aucune marge de sécurité, les nouveaux objectifs de dépenses de l’État devraient être atteints, de même que ceux des administrations de sécurité sociale (hormis ceux de l’Unédic). En revanche, malgré leur révisionà la hausse, les prévisions de croissance des dépenses des administrations publiques locales paraissent encore sous-estimées, masse salariale et prestations sociales notamment.
Le déficit des administrations publiques pourrait donc être proche de 4,0 % du PIB en 2014, voire légèrement supérieur si la prévision de croissance du Gouvernement ne se réalise pas.
Enfin, même si les objectifs de déficit du programme de stabilité sont atteints, la dette publique dépassera 2 000 Md€ à la fin de 2014.
Des perspectives pour 2015 à 2017 très fragiles
Le retour à l’équilibre structurel des comptes publics, prévu en 2016 dans la loi de programmation, est reporté à 2017 dans le programme de stabilité 2015-2017. Ce programme intègre désormais le pacte de responsabilité et de solidarité et la montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Compte tenu par ailleurs de la hausse programmée de certaines taxes, les prélèvements obligatoires devraient ainsi baisser de 14 Md€. Cette baisse nette ne s'élevant qu'à 6 Md€ dans les prévisions de finances publiques associées à la loi de finances initiale pour 2014, le complément a été compensé par une diminution de 8 Md€ des dépenses publiques prévues à l'horizon de 2017, afin d’atteindre le même objectif de déficit. Comme le montant des économies de dépenses prévues (50 Md€) n’est pas augmenté, le Gouvernement a donc implicitement révisé à la baisse son estimation de la croissance tendancielle des dépenses.
Si une partie des 50 Md€ d’économies est acquise ou suppose le prolongement d’efforts déjà engagés, 30 Md€ d’économies sont encore peu documentées, voire pour certaines d’entre elles incertaines car elles devront être réalisées par des administrations publiques dont l’État ne maîtrise pas les dépenses : régimes complémentaires d’assurance vieillesse, Unédic et, surtout, collectivités territoriales à hauteur de 11 Md€. Ces dernières peuvent en effet compenser en partie la baisse des dotations que leur verse l’Etat par une hausse des taux des impôts locaux ou un accroissement de leur endettement.
Les objectifs d’économies pour l’année 2015 sont très ambitieux. Or les économies identifiées dans le cadre de la modernisation de l’action publique ne sont pas à la hauteur de cet enjeu : seuls 5 à 7 Md€ d’économies sont annoncés, sans que des mesures documentées et un calendrier précis soient présentés.
Les incertitudes qui s’attachent à la réalisation des économies prévues en dépenses, ajoutées aux risques pesant sur les prévisions de recettes, rendent très fragile la trajectoire des finances publiques 2015-2017, plus particulièrement pour l’année 2015.
Des mesures structurelles d’économies à engager
Le programme de stabilité prévoit 18 Md€ d’économies pour l’État et ses opérateurs, 11 Md€ pour les collectivités locales et 10 Md€ pour l’assurance maladie. La Cour a choisi d’éclairer les réformes susceptibles d’infléchir durablement les dépenses relatives à la masse salariale publique, aux dépenses des collectivités locales et à l’assurance-maladie.
La masse salariale représente 23 % des dépenses publiques. Si la politique mise en œuvre à partir de 2013 (stabilité globale des effectifs, poursuite du gel du point d’indice et réduction de l’enveloppe des mesures catégorielles) est maintenue, la masse salariale de l’État augmentera d’environ 750 M€ par an, soit trois fois plus que l’objectif du budget triennal 2013-2015. De leur côté, les dépenses de personnel des administrations publiques locales et de sécurité sociale ont augmenté respectivement de 2,8 % et 1,2 % par an en volume au cours des dix dernières années (contre une baisse annuelle de 0,1 % pour les administrations centrales).
Les mesures utilisées dans la période récente risquent donc d’être insuffisantes et le recours à des leviers complémentaires doit être envisagé. Ils pourraient concerner notamment les rémunérations accessoires et régimes indemnitaires, les effectifs et la durée effective du travail, pour laquelle un bilan d’ensemble devrait être réalisé pour les trois fonctions publiques.
Les charges de fonctionnement des collectivités locales augmentent tendanciellement de près de 3 % par an. La hausse des dépenses de personnel pourrait être freinée par le ralentissement des recrutements ainsi qu’une révision des règles de gestion relatives aux avancements, à la durée du travail et aux régimes indemnitaires. Des économies sont possibles sur les achats de biens et services au moyen d’une politique d’achats plus efficiente et mieux coordonnée entre communes et intercommunalités. Les régions peuvent également réaliser des économies sur l’offre de transports régionaux de voyageurs et leur politique tarifaire.
Il apparaît enfin indispensable de mobiliser les gisements d’économies considérables que recèle le système de santé, ce qui est possible sans compromettre la qualité et l’égalité d’accès aux soins.
Les établissements de santé représentent 44 % des dépenses de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie. L’accélération du développement de la chirurgie ambulatoire y représente un enjeu majeur, permettant à terme de l’ordre de 5 Md€ d’économies.
La consommation française de médicaments, bien qu’elle ait nettement ralenti, est encore de 22 % supérieure en volume à celle observée par les pays voisins. Si la part de marché des médicaments génériques en volume était du même ordre qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, l’assurance maladie pourrait économiser de 2 à 5 Md€.
Sur les dépenses d’analyses médicales ou de transports sanitaires, la Cour a également mis en évidence un potentiel très important d’économies.
Des outils de programmation des finances publiques à renforcer
La Cour constate de fréquents écarts entre prévisions et réalisation. Ainsi, en moyenne, pour les lois de finances des années 2003 à 2013 (hors 2009), la croissance spontanée des prélèvements obligatoires a été surestimée de 4 Md€ par an et l'augmentation des dépenses publiques en valeur sous-estimée de 5 Md€.
Afin d’améliorer le respect des prévisions, certaines règles pourraient être adaptées pour être plus efficaces. Ainsi, les lois de programmation devraient comporter un objectif d’évolution en valeur des dépenses de l’ensemble des administrations publiques, décliné en objectifs par sous-catégories d’administrations. S’agissant de l’État, la loi de programmation pourrait également établir une règle encadrant l’évolution des crédits d’impôts, comme c’est le cas pour les dépenses budgétaires, et un objectif d’évolution du coût des autres dépenses fiscales.
Enfin, une loi de financement de la sécurité sociale dont le champ serait élargi à l’ensemble de la protection sociale obligatoire et une « loi de finances des collectivités territoriales » constitueraient des outils d’autant plus nécessaires que l’effort d’économies visé porte, pour une part importante, sur des administrations publiques non couvertes par une loi financière.
LIRE LE RAPPORT CI-DESSOUS
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