Alors que le processus de vente des chantiers STX France de Saint-Nazaire est enclenché, la banque d’investissement sud-coréenne KDB, principal actionnaire du groupe STX Offshore & Shipbuilding, démarche les repreneurs potentiels. Non seulement en Europe, où des chantiers concurrents pourraient être intéressés, mais également en Asie. C’est en tous cas ce qui ressort de la réunion qui s’est tenue lundi, à Bercy, où Arnaud Montebourg a fait le point avec les élus locaux. Selon une source proche du dossier, le ministre de l’Economie a indiqué que KDB avait signifié son intention de boucler la vente du constructeur nazairien d’ici la fin de l’année. Et précisé au passage son souhait de voir les 66.66% que STX détient dans l’entreprise cédés à Samsung Heavy Industries, un autre géant sud-coréen de la construction navale et l’un des leaders mondiaux du secteur. Une option qui ne convient pas du tout au gouvernement français, qui redoute que l’opération tourne au pillage du savoir-faire nazairien. Car, même s’il ne s’est apparemment pas montré très actif, depuis un moment, sur les nouveaux projets de paquebots, SHI a affirmé à plusieurs reprises, ces dernières années, sa volonté de pénétrer le marché de la croisière. Mais, pour développer une telle activité en limitant les risques techniques et financiers, il faut de l’expérience et de l’expertise, ce que pourrait faciliter le rachat d’un grand spécialiste européen du secteur.
Le pillage technologique évité avec STX
On rappellera qu’en 2008, au moment du raid boursier de STX sur le groupe norvégien Aker Yards (auquel Astom avait vendu les ex-Chantiers de l’Atlantique deux ans plus tôt), le spectre d’un pillage technologique planait très sérieusement sur Saint-Nazaire, poussant d’ailleurs l’Etat à entrer au capital de l’entreprise (à hauteur de 33.34%, participation qu’il détient toujours). Il semblait en effet évident que les Coréens n’avaient pas déboursé une fortune pour ne pas profiter des savoir-faire de leurs nouveaux actifs. Pourtant, contre toute attente, la crainte ne s’est pas révélée fondée, pas plus en France que dans les chantiers finlandais, également croqués par les Sud-coréens en 2008. Au point qu’on se demande toujours, six ans après le rachat, quelle était la stratégie de STX dans cette opération, ou tout simplement s’il en avait une. Toujours est-il que cette première aventure asiatique, finalement indolore, ne doit pas anesthésier la vigilance si la perspective d’un nouveau mariage exotique se profile. Car Samsung n’est pas STX. Ce possible prétendant, plus structuré et solide, pourrait en cas de reprise adopter une approche subtile mais déterminée, en somme bien plus dangereuse.
Les constructeurs coréens vraiment intéressés ?
Mais il ne s’agit à ce stade que de spéculations. D’abord, les informations du ministre, comme on l’a vu sur d’autres dossiers, ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre. Ainsi, il n’y a aucune raison pour que l’un des autres grands constructeurs coréens, Hyundai Heavy Industries ou même Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (dont KDB est actionnaire depuis 10 ans et doit vendre sa participation), ne soient pas eux aussi potentiellement intéressés. Il conviendra donc de voir, puisqu’aucune déclaration officielle n’est parvenue de Séoul, si SHI ou ses compatriotes, qui semblent quand même pour l’heure surtout très axés sur le secteur de l’offshore pétrolier et gazier, ont une réelle volonté de reprise. Ou si KDB, pourquoi pas, est en mesure de trouver un autre candidat asiatique, chinois par exemple.
Le droit de véto du gouvernement
Dans tous les cas, le gouvernement pourra, si une reprise coréenne se profilait et se révélait dangereuse, s’opposer à la vente des parts détenues par STX dans Saint-Nazaire. Il en a légalement le pouvoir, puisque le chantier français, au-delà de ses réalisations civiles, travaille aussi sur le secteur de la Défense. Alors qu’il réalise actuellement deux bâtiments de projection et de commandement pour la marine russe, c’est aussi le dernier chantier hexagonal à pouvoir réaliser les grands bâtiments de la Marine nationale, notamment des porte-avions ou même des ravitailleurs. De là, son intérêt stratégique est avéré et l’Etat peut mettre son véto à une cession qu’il estime risquée pour les intérêts du pays en termes de sécurité et de souveraineté.
Le statu quo toujours possible
Cette arme très précieuse assure une bonne protection à l’industriel français. Mais le gouvernement, s’il est poussé à l’employer, ne pourra en user indéfiniment. Car, en cas de blocage répété de ses candidats potentiels, on imagine que STX ferait pression sur l’Etat pour qu’il rachète lui-même sa participation. Une solution dont on ne veut pas entendre parler à Bercy. Si un tel scénario se profilait, l’Etat devrait donc jouer très finement afin de maintenir le statu quo, c'est-à-dire faire en sorte que STX, qui n’a pas vraiment d’urgence à vendre ses parts dans les chantiers nazairiens (dont le plan de charge est désormais bon), reste finalement comme actionnaire « dormant » jusqu’à ce qu’émerge une solution satisfaisante pour les deux parties. Ce qui peut éventuellement durer assez longtemps.
On ne se bouscule pas au portillon
Car, hormis l’option coréenne, les solutions ne sont pas légion. D’après un participant à la réunion de lundi, aucune offre considérée comme « sérieuse » par le gouvernement n’aurait encore été formulée pour reprendre STX France. Le ministre affirme vouloir un repreneur industriel et non des financiers, ce qu’il ne trouverait de toute façon pas puisque cette activité est trop peu rentable pour susciter le moindre intérêt sur les marchés. Et dans le monde industriel, précisément, on ne se bouscule pas non plus au portillon. S’il est avéré que d’autres chantiers européens ont été approchés par KDB, cette piste éventuelle constitue pour l’Etat un second écueil potentiel. Certes, il n’y aurait dans ce cas pas de réel problème de pillage technologique, mais Bercy craint de voir un concurrent de Saint-Nazaire emporter la mise dans le seul but, précisément, de tuer une partie de la concurrence.
Les pistes françaises quasi-inexistantes
Quant aux hypothèses françaises, elles semblent pour ainsi dire inexistantes à l’heure actuelle. La voie qui paraitrait la plus pertinente, à savoir celle d’un rapprochement avec DCNS, ne semble pas enthousiasmer Arnaud Montebourg et ses services. Au-delà du fait que le plan de charge de DCNS demeure encore incertain dans les années qui vienne, poussant le groupe naval à être prudent et à ne pas s’éparpiller, son actionnaire privé, Thales (qui possède 35% de DCNS, le solde étant détenu par l’Etat) est aussi un obstacle. Car l’électronicien, et derrière lui son actionnaire de référence, Dassault, ont jusqu’ici refusé toute idée de reprise des chantiers nazairiens. Or, à part DCNS, on ne voit pas quel autre grand groupe industriel tricolore aurait un intérêt à investir dans la navale.
Les jeux restent ouverts
Rien n’est donc encore joué et tout peut arriver, y compris le maintient en l’état de la situation capitalistique de STX France. Mais il est évident que KDB espère bien trouver un repreneur et convaincre l’Etat de l’accepter. Alors que le gouvernement, par la voix d’Arnaud Montebourg, se dit mobilisé pour soutenir et développer les chantiers nazairiens, il convient, au regard des dernières informations en provenance de Bercy, de ne pas être alarmiste quant à une éventuelle reprise par un groupe sud-coréen. Car, même si la vigilance s’impose, l’Etat a les moyens de s’opposer à une option prédatrice, qu’elle soit asiatique ou européenne. Quant au chantier en lui-même, ces manœuvres autour de son capital n’ont aucune incidence sur l’activité. L’essentiel, pour l’avenir de l’entreprise, reste de mener à bien les grands projets qu’elle vient d’engranger et, bien entendu, d’en décrocher d’autres.