Prétendre que l’État est inefficace – propos courant chez les libéraux – revient à conclure que puisque le but du tir à l’arc est de ficher des flèches dans une cible, il est inefficace de la placer à plus de deux mètres de soi.
L’efficacité se mesure en fonction du but réel poursuivi. Celui du tir à l’arc n’est d’atteindre la cible qu’en surmontant la difficulté que représente son éloignement. Se méprendre sur le but amène à des contresens.
Par exemple, l’objectif d’une entreprise est de dégager le maximum de bénéfices pour ses propriétaires. Lorsqu’il est unique, son profit n’est pas nécessairement mesuré en termes financiers. La passion d’un éditeur l’amène à publier les livres qu’il aime, diffuser les idées qu’il défend, sans trop d’égards pour la rémunération de son capital investi. Mais à mesure que le cercle des actionnaires s’élargit, leur seul intérêt commun se réduit à l’attente de dodus dividendes et de replètes plus-values. Ne confondons pas le but est le moyen Croire que le but de l’entreprise est contenu dans son objet social – la manufacture de bicyclettes, le transport de voyageurs… – condamne à ne pas comprendre comment nombre d’entre elles changent de métier. Le moyen de générer du profit passe par l’emploi de salariés et de fournisseurs afin de livrer aux clients un produit de qualité au meilleur prix, mais il ne faut pas confondre le but et le moyen. Une entreprise n’est rien d’autre qu’un noeud de contrats entre différents acteurs, les actionnaires, les employés, les fournisseurs, les clients. Ces contrats s’autorégulent, en premier lieu parce que chacun est libre de n’y pas souscrire. Financiers et banquiers peuvent s’abstenir d’investir, les fournisseurs de vendre, les employés peuvent démissionner… Chaque archer rêve sans doute d’une flèche magique, qui volerait infailliblement vers le coeur de cible, et éliminerait les concurrents. Un capitaliste, de même, se verrait bien maîtriser une onde qui contrôlerait le cerveau d’autrui et l’obligerait à acheter, investir ou travailler à bas prix. Las, flèche et onde ne sont pas disponibles. Le seul moyen capitaliste de prospérer est de se mettre humblement au service d’autrui. Où se trouve l’efficacité réelle de l’État? Revenons à l’État. Le but réel qu’il poursuit est la satisfaction de ses agents. Il leur appartient. Comptant 25% de la population, ils sont un échantillon représentatif, et il n’y aucune raison de croire qu’ils sont désintéressés et philanthropes plus que d’autres citoyens. En fait, nombre de manifestations témoignent qu’ils sont aussi âpres dans la défense de leurs intérêts que les plus cupides actionnaires. |
De même qu’une entreprise ne claironne pas: "Achetez pour augmenter mon profit", l’État dans sa pub et ses documents officiels cache son jeu et annonce des "missions". Ce n’est pas pour prébender à vie ses agents que nous payons ses impôts, mais pour qu’il nous dispense ses "services publics".
À cette fin, l’État est bigrement efficace. Il n’a cessé de croître depuis deux siècles, ses agents sont toujours plus nombreux, ils ont gagné successivement l’emploi à vie, le droit de grève («il ne saurait y avoir d’État à éclipses», disait un parlementaire pour le leur refuser), le droit de vote pour les militaires (l’armée, «la grande muette», ne devait pas avoir d’opinion politique), le droit de servir dans sa région d’origine (c’est-à-dire la tentation de favoriser ses cousins et ses copains), des retraites avantageuses, des vacances plus longues, moins de 35 heures de travail par semaine, aucune obligation de résultat, etc. Quelle autre institution peut en montrer autant pour ses membres?
De même qu’une entreprise ne claironne pas: «Achetez pour augmenter mon profit», l’État dans sa pub et ses documents officiels cache son jeu et annonce des «missions». Ce n’est pas pour prébender à vie ses agents que nous payons ses impôts – qu’allez vous croire? –, mais pour qu’il nous dispense ses «services publics».
L’énoncé est doublement fallacieux. Il ne vise plus à confondre dans l’esprit du public le but et le moyen, mais à les occulter tous les deux. Car si pour l’entreprise, la fourniture d’un service constitue bien le moyen d’atteindre un but qui reste discret, le service rendu n’est nullement le souci des agents de l’État. C’est un hobby. Beaucoup se prennent au jeu, comme la meilleure façon de faire passer quelques heures de présence sur un lieu dit «de travail». Certains deviennent même zélés, généralement les plus malfaisants. Car lorsque la rémunération et la position sociale sont acquises par statut et ne proviennent pas de la satisfaction du client, la motivation se trouve ailleurs, dans la passion des petits et des grands pouvoirs.
Pour un État moins efficace
Les agents de l’État ont donc deux mensonges à faire accroire. D’abord, ils doivent nous convaincre que l’État bénéficie à tout le monde, ensuite que leur occupation est justifiée par le service qu’ils rendent.
Or non seulement l’État a pour seul but le profit de ses agents, et c’est fortuitement que nous bénéficions de l’un ou l’autre de ses services, mais le moyen vers ce but n’est nullement la satisfaction du public. Car contrairement aux entrepreneurs, les agents de l’État disposent bien d’une «onde», qui écarte les concurrents, force les investisseurs à investir, et les clients à payer n’importe quel prix pour une non-prestation. En effet, seuls les agents de l’État possèdent le pouvoir de contraindre. L’armée, la police, la justice, les douanes, le fisc, la régulation financière, le contrôle du travail et de la consommation, le contrôle de la concurrence, la censure… c’est eux. Et cette minorité fait preuve d’une efficacité redoutable pour pérenniser les avantages qu’elle extorque à la majorité.
Ne disons jamais que l’État ne remplit pas son rôle et qu’il est inefficient. Souhaitons seulement qu’il le soit moins. Certains de ses agents se plaignent de n’être pas assez payés, assez protégés, assez privilégiés, comme les actionnaires que la bourse n’est pas assez haute. Mais l’actionnaire ne peut pas envoyer des hommes en bleu saisir chez moi l’argent que je ne veux pas lui donner. C’est toute la différence entre une société de liberté et celle soumise à la violence hypocrite et implacable des agents de l’État.
Par Professeur Kuing Yamang: Le modèle social français est en faillite. Marc Fiorentino : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marc_Fio...