Il est toujours périlleux d’écrire sur les services israéliens, le sujet étant originellement marqué de passions idéologiques, de préjugés politiques et historiques, sinon de partis pris religieux. Ainsi, la majorité de la littérature disponible en français sur le sujet tombe-t-elle souvent des mains tant elle relève, - la plupart du temps -, de la communication, voire d’entreprises d’influence participant elles-mêmes à l’activité des services en question.
A contrario, le livre d’Eric Denécé et de David Elkaïm 1 est certainement ce qu’on peut trouver de mieux sur la question, aujourd’hui. L’introduction du chapitre 10 aurait méritée de figurer en ouverture de l’ouvrage : « l’Etat hébreu se différencie des autres acteurs internationaux par un trait particulier : la majorité de ses dirigeants gouvernementaux, ainsi qu’une part non négligeable de sa classe politique, toutes tendances politiques confondues, sont issues des services de renseignement ou des unités spéciales, ou y ont fait un passage ». Plusieurs officines et opérations sont décortiquées ici pour la première fois : les capacités d’écoute et de guerre informatique de l’Unité 8200 ; les réseaux d’espions et d’informateurs implantés au Liban ; le « service action » du Mossad ; les raids clandestins des forces spéciales en Syrie et autres « assassinats ciblés » ; et surtout la guerre secrète menée contre l’Iran depuis une vingtaine d’année. Autre grande particularité des services israéliens, sont soulignés les liens organiques unissant les barbouzes et les industries informatiques, aéronautiques et de défense.
Autre signe distinctif hérité d’une proximité historique avec leurs homologues britanniques et américains, les services israéliens utilisent beaucoup de « faux nez » : les cabinets d’avocats d’affaires, les banquiers, les officines d’Intelligence économique et les agences de pub et de communication. L’enquête très documentée de Denécé et Elkaïm passe successivement au scanner l’Aman - les services de renseignement militaire -, le Shin Beth - le service de sécurité intérieure -, le Mossad - les services de renseignement extérieurs -, et le Kidon - le service action du Mossad -, ainsi que les autres unités spécialisées de l’armée. L’autre grand mérite de l’ouvrage concerne la géo-localisation de certaines installations stratégiques, constituant une espèce d’atlas qui intéressera tous les professionnels, les chercheurs et autres poètes des coups tordus. Ainsi, le quartier général de l’Unité 8200, les grandes oreilles de la NSA israélienne est situé à Herzliya au nord de Tel-Aviv. Cette officine dispose de plusieurs stations d’interceptions disséminées sur le territoire israélien ; au nord, sur les hauteurs du Golan, sur les monts Avital, Bental et Hermon ; à l’ouest, dans le désert du Néguev, sur la base d’Urim à une trentaine de kilomètres de Beersheva ; enfin depuis 1996, elle dispose également de stations d’écoute en Turquie, dirigées contre la Syrie. « Camouflées au cœur d’une ‘réserve naturelle et touristique’ installée dans le cratère du mont Avital, sur les hauteurs du Golan syrien occupé, les stations d’interceptions du nord épient 24 heures sur 24 tous les signaux émis en Syrie et au Liban, tout type de communications téléphoniques, Internet, etc. Cette activité intense d’espionnage est camouflée au sein du kibboutz de Merom Gola, créé en 1967 dans ce but, qui a développé un centre équestre avec des chambres d’hôtes, un saloon-restaurant style Far West et d’autres activités de randonnées nature pour fournir une couverture civile à ces activités militaires... ». Hormis les centrales atomiques de Dimona (Néguev) et de Nahal Soreq (près des localités de Palmachim et Yavne), les experts de l’AIEA savent désormais que 400 têtes nucléaires sont réparties sur une quinzaine de sites, répartis dans l’ensemble du pays. Les Kidonim (commandos du Mossad) vivent et s’entraînent dans le désert du Néguev, sur la base aérienne de Kfar-Tsir. A l’Institut de recherche biologique de Nes Tziona, Israël expérimente et produit ses armes chimiques et poisons divers pour les « assassinats ciblés ». Ce n’est plus un secret pour personne, les services israéliens usent couramment de différents types de torture à l’encontre de leurs prisonniers dont le nombre et les répartitions géographiques restent strictement classifiés. Indépendamment de cet inventaire édifiant, plusieurs des anciens chefs - à la « retraite » -, des services israéliens font preuve d’une sidérante, sinon courageuse lucidité, reconnaissant que cette panoplie de moyens mène souvent à l’impasse. Les mêmes accusent les politiques israéliens de ne pas avoir vraiment cherché à construire la paix avec les voisins arabes. Alors qu’ils soulignaient dans leur préambule, une osmose organique, culturelle et opérationnelle entre la classe politique israélienne et les services, nos auteurs n’éclaircissent pas suffisamment les raisons de ce constat qui reste incompréhensible et aveuglant à la fois. C’est la grande contradiction de l’ouvrage de Denécé et d’Elkaïm, enquête exceptionnelle serrée et sourcée qu’il faut lire à la loupe...
1 Eric Denécé et David Elkaïm : « Les services secrets israéliens – Aman, Mossad et Shin Beth ». Editions Tallandier, avril 2014.
Source, journal ou site Internet : espritcorsaire
Date : 30 mai 2014
Auteur : Richard Labévière