En bon disciple de l’économiste anglais John Maynard Keynes, Michel Santi milite pour que la dépense publique puisse être mise au service de l’économie. Et tant pis pour les déficits !
« L’intervention de l’État pourrait se faire par des prises de participation dans des entreprises pour les aider, par des investissements dans des projets d’avenir…»
Pour retrouver de la croissance, les pays occidentaux devront innover. Mais, pourl'économiste Michel Santi, la finance les en empêche en tuant l'outil de production et, parextension, le capitalisme de papa...
Notre avenir et notre prospérité dépendent del'innovation, mais celle-ci n'intéresse quasiment plus personne au sein de nos sociétésoccidentales. Les Etats-Unis eux-mêmes, qui furent le modèle suprême envié par le mondeentier, dont les inventions et créations contribuèrent à améliorer l'existence de centaines demillions de personnes, se retrouvent depuis quelques années à la traîne en termesd'innovation. Une étude de la " Information Technology & Innovation Foundation " les placedésormais effectivement au quatrième rang derrière de très petits pays comme Singapour ou laFinlande. Pire encore puisque, sur les 10 dernières années, ils sont avant-derniers (d'unelongue liste) pour la progression de leur innovation, juste devant la dernière de la classeglobale qu'est l'Italie ! Une récente étude de l'OCDE constate par ailleurs que les Etats-Unisne fabriquent guère plus de produits de pointe, et qu'ils se retrouvent aujourd'hui largementdistancés par des nations ayant fortement investi dans la recherche, dans l'éducation, et qui nesouffrent pas d'une inégalité des revenus aussi choquante qu'aux USA.
Et en attendant, par Prof Kuing:
10 milliards d'euros, c'est ce qu'il faut rajouter aux 200 milliards d'euros que les contribuables européens ont déjà prêté aux Grecs qui bien sûr ne rembourseront jamais.
Finance folle
De fait, les fondamentaux qui caractérisent une économie dite « traditionnelle « ont étéamplement bouleversés, tant aux USA que dans la majeure partie des nations européennes.
C'est en effet une inversion des valeurs qui a progressivement - mais sûrement - nonseulement
privé l'appareil de production des investissements qui y étaient canalisés, et quipermettaient naguère d'améliorer tant les conditions de
travail des salariés que la qualité desproduits manufacturés. C'est, en outre, un flux inverse de liquidités que les entreprises ontsubi puisque les capitaux en ont même été extraits, sachant que cette déprédation et que cetassèchement de l'outil de travail se déroulent aujourd'hui selon une ampleur proprement« industrielle » !
L'inventivité et l'initiative des entreprises se sont effectivement effacéesdevant l'efficience de la finance qui a littéralement pompé des
capitaux indispensables à larecherche, à la technologie, à la formation depuis la quasi-totalité des secteurs productifs.
Intérêts vitaux sacrifiés
Que celles et ceux qui sont toujours persuadés aujourd'hui que les financiers se bornent à fairede l'argent avec de l'argent reviennent à la réalité. Car tant le système financier que sesexploitants
(qualifiés révérencieusement d' "investisseurs") s'enrichissent sur le dos de ceuxqui conçoivent et qui produisent nos biens d'équipement et
nos produits industrialisés. En yregardant d'un (tout petit) peu plus près, il est aisé de constater que l'hypertrophie de lafinance et de ses profits tout aussi démesurés qu'indécents se sont concrétisés en foulant auxpieds les revenus des pauvres et de la classe moyenne, comme la qualité de nos emplois. Bref,c'est les
intérêts vitaux de la vraie économie qui ont progressivement été sacrifiés à l'autel dela finance, des investisseurs, des spéculateurs, du
court-terme et de leurs bénéfices.
Ah aux US ils innovent plus bah pourtant pleins d'européens s'y exilent, mon Dieu pourquoi?? Par Prof Kuing:
Alors qu'en France la création d'entreprises est en berne, aux États-Unis, c'est le plein-emploi, grâce entre autres aux bénéfices de l'exploitation du gaz de
schiste.
De jeunes français partent par milliers pour réussir outre-Atlantique même s'ils doivent y vivre clandestinement.
Course aux profits
C'est une authentique confiscation des ressources qui a eu lieu : qui a privé les citoyens d'unecroissance stable, qui a empêché l'amélioration de leur niveau de vie, qui a déstabilisél'économie à la
faveur de l'implosion répétitive de bulles spéculatives, et qui a soustrait à noséconomies une part substantielle de sa prospérité.
Confiscation qui s'est opérée au bénéficeexclusif d'une ingénierie financière ayant engraissé les actionnaires, les directions
exécutivesdes grandes entreprises, et bien-sûr les promoteurs et les concepteurs de ces véhiculesd'aliénation, à savoir les financiers. Autant d'acteurs majeurs qui ne sont nullementpréoccupés de
l'avenir de notre économie, mais dont les efforts, dont l'initiative et dont lesénergies sont tendus vers la course aux profits, à toujours
et à encore plus de profits. Sachantque la voie royale pour y parvenir passe nécessairement par une taxation favorable, par unerégulation laxiste, par des salaires et des bonus élevés, et par toujours moins d'investissementsen faveur de l'éducation et les infrastructures. Saviez-vous que de nos jours - oui en 2013 ! -,la
nouvelle maxime de Wall Street et de la City est :
"I.B.G.-Y.B.G." ? "I'll Be Gone, You'llBe Gone", soit en français : "je ne serai plus là, vous ne serez plus là",
qui signifie trèsclairement que les cataclysmes de demain - inévitables comme conséquence
descomportements d'aujourd'hui - ne sont pas leur problème. Les financiers, et tous ceux quigravitent autour d'eux ne seront en effet plus ici…et ce sera à d'autres de gérer les problèmes.
Il va de soi que cette enième version d' "après moi le déluge" se fiche éperdument de stabilitéfinancière, de la classe moyenne, de la qualité de nos emplois, etc…
Le trading a détruit le capitalisme
L'investissement d'antan a aujourd'hui cédé la place au trading, la manipulation des cours enbourse étant quotidienne afin tout à la fois de maximiser les profits sur le court terme, desatisfaire
les actionnaires et de gonfler les rémunérations des directions générales. Le"shareholder value", cette posture consistant à privilégier le
détenteur de cash - c'est-à-direl'actionnaire - a décimé l'appareil de production, a détruit le capitalisme d'antan, a fabriquédes conglomérats à taille inhumaine exclusivement destinés à optimiser les profits, tout enpiétinant bien-sûr les salariés, les contribuables, la recherche, le développement, laformation… C'est
donc la totalité du système d'intermédiation financière qui futprogressivement détourné de sa vocation originelle pour se retrouver en
finalité - c'est-à-direaujourd'hui-, entièrement voué et dévoué à transformer nos entreprises en machines à soushautement profitables. Wall Street et ses émules ont dénaturé le paysage industriel, et desaffaires en
général, pour les amener à devenir - et à ne devenir que - des opérations hypermargées, c'est-à-dire dont la vocation se réduit
exclusivement à la rentabilité, sur le courtterme, de ce capital prompt à se détourner pour aller vers des transactions plus
juteuses.
Mutiler l'outil de travail
Quelle est, aujourd'hui en 2013, la valeur ajoutée économique d'une entreprise vénérablecomme
General Electric, et en quoi contribue-t-elle à l'amélioration de notre vie quotidienne ?
La vérité est que GE (comme tant d'autres) concentre toutes ses énergies et ses ressources afinde réaliser des profits en bourse en lieu et place de créer des produits remarquables, commepar le passé.
Ayant dès les années 1980 diversifié ses activités dans les prêts hypothécaires,dans les cartes de crédit et dans le business des activités
financières en général, ce secteurdevait très rapidement constituer la moitié de ses bénéfices !
Voler le citoyen ordinaire
Un sondage effectué par Lawrence Mitchell, de la George Washington University, révèleaujourd'hui que 80% des patrons (CEO) des plus importantes entreprises américainesn'hésiteraient pas à «
mutiler » leur outil de travail pour satisfaire aux objectifs de rentabilitéfixés par les analystes. La fièvre de la financiarisation devait
en effet tout contaminer sur sonpassage : elle devait aliéner toutes les ressources de l'entreprise qui se devait dès lors d'êtreaffamée pour réaliser des bénéfices à court terme. Elle imposait de déréguler les institutionsfinancières qui étaient censées faire prospérer l'économie, elle concentrait toutes les énergiesvitales
de l'innovation en faveur de produits financiers toujours plus complexes. De fait,l'innovation majeure consista dès lors à trouver toujours
d'autres outils et d'autres moyenspermettant de déposséder - voire de voler - le citoyen ordinaire.
La spéculation a remplacé le travail
Et c'est à partir de ce stade que les dérivés, que les titrisations, que les produits exotiques, quela spéculation et que les bulles spéculatives détrônèrent la valeur travail. Tandis que les CEOdes
entreprises américaines gagnaient en moyenne 30 fois plus que le salarié moyen il y atrente ans, cet écart s'est creusé aujourd'hui à … 273
fois ! ( Source : Economic PolicyInstitute ). Nos grands patrons valent-ils vraiment autant ? Nous devons collectivementprendre conscience que les marchés financiers ne créent nulle valeur, et qu'ils doivent êtresubordonnés
et placés fermement sous la tutelle de l'économie productive. Car, pourparaphraser Paul Volcker, les distributeurs automatiques de billets
(ATM) représentent laseule innovation utile de la finance de ces 20 dernières années !
Par Michel Santi
*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de paysémergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre fondateur del'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l'auteur de l'ouvrage "Splendeurs et misères dulibéralisme"
Que reste-t-il du capitalisme ?
Source, journal ou site Internet : la tribune
Date :20 août 2013
Auteur : Michel Santi *
Pour rappel déjà son livre:
Splendeurs et misères du libéralisme
Ecrit par un économiste érudit et ancien financier, qui conseille depuis 2005 les banques centrales du Liban, du Paraguay ou d'Indonésie, ce livre est "à ne pas rater" si l'on veut comprendre la crise que nous subissons, et surtout les moyens d'en sortir.
Michel Santi démonte les mécanismes qui ont conduit à la crise de la zone euro, "superflue et parfaitement évitable" si la Banque centrale européenne (BCE) avait joué - ou pu jouer - son rôle de prêteur en dernier ressort des Etats attaqués par la spéculation sur leur dette. "En effet, explique l'auteur, les engagements des banques importantes étant nettement plus massifs que ceux des Etats, il aurait été moins coûteux (pour tout le monde) que la BCE soutienne précocement des Etats - auréolés de légitimité populaire - que tardivement des banques en mains privées." Et derappeler la formule du général américain MacArthur, "les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard".
Pour M. Santi, la séduction de la théorie monétariste - qui fait confiance à l'efficience des marchés pour gérer l'économie et prône par conséquent la réduction du rôle de l'Etat - a fait perdre aux pouvoirs publics leur rôle protecteur en cas de crise.
De plus, la dérégulation des activités financières, justifiée par leur efficience supposée, a permis de créer de nouveaux instruments sophistiqués échappant aux lois, si bien que, sur la planète finance, "la fraude n'est pas une anomalie : elle fait partie intégrante du système, elle en est un des éléments incontournables".
Son diagnostic est clair : l'Etat ne doit pas craindre de s'endetter, si besoin auprès de sa banque centrale, tant que les ménages et les entreprises n'auront pas recommencé à dépenser, à investir, à embaucher pour enclencher une reprise auto-entretenue de l'économie. De plus, ce redémarrage n'aura lieu qu'avec un assainissement et une véritable régulation du secteur financier, afin qu'il prête à l'économie réelle.
LES EXCÉDENTS DES UNS SONT LES DÉFICITS DES AUTRES
Antilibéralisme ? Pas si sûr. En 1997, l'économiste américain Milton Friedman recommandait à la Banque du Japon de racheter de la dette publique quitte à augmenter sa masse monétaire et à retrouver un peu d'inflation. "Aujourd'hui, les prescriptions de Friedman pour remédier aux maux européens seraient identiques", juge M. Santi.
A l'inverse, le remède administré en Europe - rigueur, baisse du coût du travail - vise à imiter le succès allemand à l'export. Mais les excédents des uns sont les déficits des autres, et tous les pays européens ne peuvent en même temps mener cette politique qui mine la consommation en Europe...
L'Allemagne redoute la répétition de l'hyperinflation de 1923 ? En réalité, elle devrait plutôt s'alarmer au souvenir de 1931, où une conjugaison de crise bancaire et d'austérité a plongé le pays dans la déflation, un contexte économique et social sur le terreau duquel le nazisme a pu prospérer et fairebasculer l'Allemagne, l'Europe et le monde dans l'horreur.
Admirateur de l'économiste britannique Keynes, l'auteur plaide donc avec conviction pour une relance coordonnée des investissements publics et privés, pour la préservation de la protection sociale et la revalorisation du travail. Mais cette vision semble loin, encore, des esprits de nombre de responsables européens.
Splendeurs et misères du libéralisme, de Michel Santi. L'Harmattan, 2012, 178 pages, 18 euros.
Adrien de Tricornot
Source: Le Parti de Gauche