Nous avons déjà critiqué la relance keynésienne comme remède à la crise. Mais un autre discours se fait jour dans la classe politique : la France résiste mieux à la crise que les autres pays, en raison de l’importance de l’Etat providence. Seul le secteur privé serait touché par la crise, et le secteur public, insensible à la conjoncture, soutiendrait la croissance, tandis que le poids des dépenses de protection sociale soutiendrait la consommation des ménages.
Tout cela repose sur de graves erreurs d’analyse et relève exclusivement du discours idéologique ou de la profonde méconnaissance de l’économie par les hommes de l’Etat.
La Franceest en tête pour les dépenses sociales
Bien entendu, c’est le journal Le Monde qui mène le bal : excellent baromètre du politiquement correct. On y respire, plus encore qu’ailleurs, l’air du temps. Une page entière par exemple avec pour titre : « Dans la crise, le modèle français, naguère décrié, retrouve des couleurs ». Sous-titre : « La droite française et la presse anglo-saxonne saluent les capacités de résistance de l’Etat providence ». Voilà la presse anglo-saxonne, hier honnie, appelée en renfort. Quant à la droite française, elle s’en donne en effet à cœur joie.
Christine Lagarde, après avoir nié que la croissance française devienne négative en 2009, met un peu d’eau dans son vin, mais ajoute aussitôt que le système français, critiqué pour sa lourdeur, « en période de crise nous aide à résister au ralentissement ». C’est faux au niveau des chiffres : la récession en France (-1,8% en 2009) sera au moins aussi forte qu’ailleurs et le chômage sera à plus de deux points au dessus de celui de l’Allemagne ; étrange façon de résister à la crise.
Mais sur quoi repose cette brillante analyse économique ?
Premier élément, la France est mieux armée car son « modèle » limite « les dégâts sociaux ». En effet, reconnaît Le Monde, la France est le premier pays de l’Union européenne pour les dépenses de protection sociale : 31,1% du PIB, contre 30,7% en Suède, 28,7% en Allemagne, 26,9% en moyenne dans l’Europe des 27, 20,9% en Espagne, 18,2% en Irlande, sans parler des 12,2% de la Lettonie. Une économiste interrogée par Le Monde explique : « Le tiers du revenu moyen des Français provient de la redistribution. Cela lisse la consommation et amortit les chocs ». Cette dame n’a sans doute pas lu Bastiat et elle parle de ce qui se voit, en omettant ce qui ne se voit pas : d’où vient l’argent de cette protection sociale ? De prélèvements sur d’autres (ou sur les mêmes). C’est un pur jeu à somme nulle ; l’argent n’a fait que changer de main. Il n’y a pas eu la moindre création de richesse. Ajouter que ces prestations sont « heureusement indexées » sur l’inflation ne change rien, puisque le surcoût entraîne des sur cotisations.
Sauvés par les retraites par répartition et le déficit budgétaire !
Deuxième élément : notre merveilleux système de retraite. « Il présente l’avantage d’être pour l’essentiel fondé sur la répartition (…). Contrairement aux Américains, aux Britanniques et à tous ceux qui comptaient sur la capitalisation et les fonds de pension pour assurer leurs vieux jours, les Français ne verront pas leurs retraites fondre avec la tempête boursière ». Ici, le « grand journal du soir » n’a pas lu l’analyse implacable de Jacques Garello et de Georges Lane dans leurs ouvrages sur les retraites (« Futur des retraites. Retraites du futur »). Sinon, ils sauraient que grâce à la répartition, les Français n’auraient bientôt plus de retraite du tout ou presque, puisque le système est condamné à faire faillite, tandis que la bourse, encore plus sur une vie de capitalisation (40 ans au moins), finit toujours par remonter.
Troisième élément :« le déficit budgétaire, fortement critiqué en période de prospérité, n’a pas que des inconvénients en période de crise. En choisissant de laisser filer et de faire jouer les stabilisateurs automatiques, le gouvernement amortit le choc de la crise. Les rentrées fiscales baissant (…) et les prestations sociales sont davantage sollicitées ». Et de citer une étude montrant le rôle des stabilisateurs automatiques. Mais nos grands économistes oublient qu’un plan de relance qui aggrave discrétionnairement le déficit, c’est le contraire d’un stabilisateur automatique : celui-ci consisterait à laisser le solde budgétaire évoluer spontanément suivant la conjoncture. Une relance, c’est discrétionnaire, c’est le contraire d’automatique.
Vive le secteur public et la dette publique !
Quatrième élément : la France a une production diversifiée, pays agricole, industrie encore active, services. Mais on comprend mieux avec la phrase suivante : « La variété de son tissu économique, le relatif équilibre entre le poids du public et du privé ne peuvent que l’aider à traverser une année 2009 redoutable ». La « diversité », c’est l’équilibre privé-public et donc le poids énorme, pour une économie de marché, du secteur public, alors que les monopoles publics, c’est l’inefficacité double : celle des monopoles et celle du secteur public.
Cinquième élément :« Malgré une dette publique élevée, l’Etat peut encore emprunter dans des conditions jugées très favorables par Bercy ». Cependant, un peu moins favorables que celle de l’Allemagne, reconnaît le journal. En réalité 3,8% contre 3,3%. Or dans une même zone monétaire, les taux devraient être les mêmes. Demain, au rythme actuel de l’explosion du déficit, le taux d’intérêt de la dette publique sera comme en Grèce à 5,8%. L’Etat ne pourra même plus payer les intérêts. Se vanter de transférer la charge des dépenses sur l’emprunt, donc sur la génération suivante, est pour le moins étonnant. On a doublé le déficit en quelques mois et notre ministre rêve d’aller plus loin ! Or, la banqueroute, cela existe.
Tout cela n’est donc guère sérieux, car l’essentiel est oublié. Le modèle social français est le plus ruineux de l’UE et même du monde libre. Or les dépenses sociales comme toutes les dépenses publiques ne créent rien et ne sont que du transfert, soit immédiat, soit sur le futur. Donc, plus le secteur public est vaste, plus le secteur privé, créateur de richesses, est faible. Avec 54% de dépenses publiques, la reprise sera, le moment venu, plus faible qu’ailleurs, car ce boulet empêchera toute reprise durable. Déjà en 1939, en raison de ce poids, nous étions les seuls à produire toujours moins qu’en 1929. Depuis, le secteur public a explosé. La France était, avant la crise, malade du poids de l’Etat-providence ; c’est ce poids qui, loin de la sauver, l’empêchera de bénéficier de la reprise.
par Jean Yves Naudet
L’ÉTAT PROVIDENCE, REMÈDE CONTRE LA CRISE
Source: Libres.org , Aleps et
L'État-providence est une forme d'organisation sociale dans laquelle l'État prétend assurer directement ou indirectement le bien-être — social — des citoyens en jouant un rôle central de régulation de l'économie et de redistribution des richesses et des revenus, afin de réaliser des objectifs affichés de « justice sociale ».
Les libertariens (Ron Paul, Ralph Raico, etc.), jouant sur une homophonie des deux termes en anglais, rapprochent fréquemment les deux notions de welfare et de warfare : État-providence et État-guerrier. Tout se passe comme si l’État moderne et les hommes de l’État servaient deux clientèles différentes : les assistés (qui forment la majeure partie de leur électorat) et ce qu'on appelle aux États-Unis le lobby militaro-industriel, qui s'enrichit par les guerres menées à l'étranger. Ron Paul critique ce qu'il appelle le "keynésianisme militaire" :
- Le keynésianisme militaire soutenu par les conservateurs et les progressistes conduit à dépenser l'argent du contribuable à hauteur de montants indécents, qui dépassent maintenant les dépenses militaires de toutes les autres nations réunies. Et les politiciens en sont très fiers. Ils peuvent se vanter de leur « conservatisme », alors qu'ils dépensent comme jamais auparavant. La menace qu'un pays envahisse les États-Unis est strictement nulle, et pourtant nous ne cessons de dépenser massivement en armement. La culture militaire a fait de notre pays le plus gros marchand d'armes au monde, et le plus gros de toute l'histoire. (Liberty Defined, 2011)