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L'Asie plutôt le dialogue que le retour du démon de la guerre!

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De la Corée à la mer de Chine, l'Asie connaît une montée des tensions à un niveau inconnu

depuis les années 1950. Pour éviter tout dérapage, Pékin et Washington doivent trouver les

voies d'un « dialogue structuré ».

 

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Du début de la guerre de Corée en 1950 jusqu'à la fin de

celle du Vietnam en 1973, en passant par la brève guerre entre la Chine et l'Inde en 1962, sans

oublier les conflits entre le Pakistan et l'Inde en 1965 et 1971, qui suivaient celle de 1947,

l'Asie a été le continent de la guerre. Alors qu'elle était froide en Europe, elle était chaude en

Asie. Depuis plus de trente ans et l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, l'Asie est devenue,

derrière le succès de la Chine, de l'Inde, de la Corée du Sud, de Singapour, de l'Indonésie...,

le continent de la croissance et de l'espoir. Les hommes d'affaires qui se pressent aujourd'hui à

Rangoun depuis les débuts d'ouverture du régime birman, sont la preuve d'un optimisme qui

perdure. Avec sa croissance forte, même si elle n'est plus tout à fait ce qu'elle était hier, l'Asie

est toujours porteuse d'avenir et la perspective de nouveaux marchés est légitimement

tentante. Pourtant, les conditions géopolitiques sont en train de changer et peut-être de

manière brutale. Il y a bien sûr les provocations nord-coréennes, qui ont franchi un seuil

inconnu jusqu'alors. Mais il y a peut-être, surtout, la montée des tensions entre la Chine et le

Japon. En Californie, aux côtés des forces américaines, des troupes d'élite japonaises se

livrent sans complexes à des exercices de simulation militaires qui ont clairement la Chine

pour adversaire. Depuis la tragédie de Fukushima - où elles ont été aux avant-postes de la

lutte contre les conséquences destructives de la nature et de l'atome -, les forces d'autodéfense

du Japon ont retrouvé une image positive auprès de la nation. Face aux incertitudes chinoises,

le Japon est, en matière de sécurité, en train de dépasser les blocages liés à son passé, plus vite

que ne peut le faire une Allemagne qui ne se sent menacée par personne. La montée des

tensions et des incertitudes en Asie est le produit de la rencontre entre trois causalités

principales. Premièrement, l'Amérique n'est plus ce qu'elle était. Elle a beau faire de l'Asie le

nouveau pivot de sa politique internationale, la crédibilité de son rééquilibrage vers ce

continent est affectée par le déclin de ses moyens financiers. Deuxièmement, la Chine est en

train de retrouver le statut qui était le sien jusqu'au début du XIX e siècle. Elle porte encore en

elle les cicatrices d'une humiliation qui a commencé à la fin du XIX e siècle avec la guerre de

l'opium et s'est poursuivie avec l'occupation japonaise. Son retour sur le devant de la scène

internationale consacre à ses yeux la grandeur de sa civilisation. Enfin, Washington et Pékin

n'ont pas réussi à créer les mécanismes institutionnels qui leur permettraient de gérer de

manière plus rassurante les crises qui se multiplient en Asie. La dérive nord-coréenne rend

criante et dangereuse l'absence de procédures de consultation entre les Etats-Unis et la Chine.

 

Comment gérer la folie d'un homme et d'un régime qui agitent des menaces de guerre et

brandissent des armes nucléaires comme le feraient des enfants caractériels, désireux de

capter l'attention de leurs parents ? Avec Xi Jinping la Chine s'est sans doute dotée de son

leader le plus charismatique depuis Deng Xiaoping. Le moment est venu de créer une

véritable complicité entre le président américain réélu et le nouveau maître de Pékin. Pour ce

faire, il faudrait officialiser le principe d'un sommet annuel se déroulant alternativement aux

Etats-Unis et en Chine. Il conviendrait aussi de désigner auprès du président des Etats-Unis,

une forte personnalité « à la Kissinger », responsable des relations avec la Chine. Ce sont des

mesures qui devraient être mises en place le plus vite possible alors que la Corée du Nord

sombre dans la paranoïa suicidaire et avant que les exercices de « batailles navales » en mer

de Chine ne débouchent sur une vraie guerre courte « à la chinoise » entre la Chine et le

Japon. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la présence américaine en Asie visait

plusieurs objectifs. Il s'agissait d'abord de contrôler le Japon et d'y éviter toute renaissance de

tentations militaristes, puis de faire un contrepoids à l'URSS, puis de fournir une garantie de

sécurité au Japon et à la Corée du Sud. Aujourd'hui, tout a changé. La présence stabilisante de

l'Amérique en Asie, comme une puissance asiatique, passe par l'approfondissement d'un

dialogue privilégié entre Washington et Beijing. Il ne s'agit pas là de l'amorce d'un G2, mais

plus modestement de la prise de conscience par les Etats-Unis du nouvel équilibre qui s'est

créé en Asie entre la Chine et eux. Une telle reconnaissance devrait s'accompagner du côté

chinois d'une prise de conscience plus grande de ses responsabilités. En faire beaucoup plus

pour contenir le comportement irresponsable de Pyongyang, en faire beaucoup moins en mer

de Chine de manière à ne pas susciter trop d'inquiétudes sinon même de la peur de la part de

ses voisins : l'agenda chinois est lui aussi considérable. Le pire, c'est-à-dire le retour de la

guerre, n'est pas le scénario le plus probable. Mais seul un dialogue structuré entre l'Amérique

et la Chine peut éviter à l'Asie en 2013, le sort qui fut celui de l'Europe en 1914.

 

 

Par Dominique Moïsi, professeur au King's College de Londres, est conseiller spécial à

l'Ifri.


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