Pendant deux siècles l’industrie française a mis la science et le progrès technique au service de la connaissance et du bien être. Aujourd’hui nous sommes en passe de la perdre. La France paraît devoir réaliser cette performance assez effrayante de prendre la tête des pays où les entreprises sont les plus mal-aimées et leurs dirigeants quasiment haïs. Comment comprendre cette dérive ?
Fatalité, héritage culturel additionnant une nostalgie révolutionnaire à une idée de grandeur éternelle de plus en plus éloignée de la réalité, le tout favorisant la désignation de boucs émissaires. Sans doute y-a-t-il matière à satisfaire quelques révolutionnaires attardés ou bien encore les adeptes de la lutte des classes et du « grand soir » social, mais c’est en réalité une blessure profonde et douloureuse que s’est infligée la société française avec des conséquences très lourdes pour son avenir et sa place dans le monde.
On sait combien les particularités d’une culture influencent l’organisation de la société et plus globalement la manière dont elle se représente, le monde et la place qu’elle est déterminée à prendre ou à conserver. De même remarque-t-on avec Philippe d’Iribarne, que l’unité et le partage des valeurs et des conduites s’expriment par ailleurs dans l’effort collectif visant à maîtriser des zones de crainte et de peur, consciente ou non. C’est ainsi qu’une perception aiguë des risques pour la survie favorise dans la société un consensus social visant « à sacraliser » la place de l’entreprise et à déterminer les priorités et les moyens (militaires, économiques et sociaux) que « le politique » propose à la collectivité. Il en va ainsi de l’Allemagne et du Danemark qui ont développé un modèle reposant en priorité sur la performance de leurs entreprises, et dont la réussite économique et sociale est souvent donnée en exemple.
Deux exemples : Allemagne et Danemark
L’Allemagne, en raison de sa tragique histoire, consciente du néant qui la guettait en 1945, et en regard des contraintes qui lui étaient imposées, a choisi comme moteur de sa reconstruction, l’entreprise autour d’un consensus social lui permettant un retour pacifique dans le concert des Nations ; ainsi a prospéré le capitalisme rhénan, adossé à un modèle social réunissant autour de ce même objectif et dans le respect mutuel, les partenaires sociaux pour la performance et la qualité dans l’entreprise. De même le Danemark, petit pays sans ressource ou rente de situation, a compris que sa survie passait par la performance de ses entreprises et l’impérieuse nécessité de leur donner tous les moyens d’exprimer leur compétitivité à travers la souplesse et la lisibilité du code du travail et la responsabilité et des rôles clairement définis des partenaires sociaux : aux chefs d’entreprises la stratégie et le pilotage, aux syndicats des salariés, l’adaptation à la gestion de l’emploi, et à l’Etat, le soutien de ses politiques. Ainsi, cette vision commune du corps social qui fait de l’entreprise un allié du progrès pour tous, associée à une grande lucidité sur les menaces pesant sur la communauté, a permis à ces deux pays, même s’ils ont aussi leurs faces sombres, de s’approcher de l’optimum du développement économique et social en mettant en œuvre des méthodes originales appuyées sur une forte représentativité des partenaires sociaux et une réelle participation à la réalisation de la compétitivité et une gestion de l’emploi performante, à la fois flexible et sécuritaire réunie sous le vocable de la flexicurité.
Ces deux pays démontrent à l’évidence qu’ils ont l’un et l’autre compris que « tout commence (la compétitivité et la croissance) et tout finit (l’emploi) dans et par l’entreprise » et que le salut dans un monde ouvert et concurrentiel, passe par la compétitivité de leurs entreprises et la reconnaissance et la confiance de leurs dirigeants à travers un soutien non volatil.
En France l’absence de lucidité du corps social sur les menaces qui pèsent sur le pays et « l’étrangeté » d’une culture qui fait de l’entreprise la mal aimée de la société, l’ont égaré dans des contresens qui hypothèquent son avenir et sa place dans le monde ; l’héritage d’une histoire ancienne de lutte des classes, cette « obsession de grandeur alliée à la cohabitation d’une société stratifiée de rang et de caste, avec un attachement viscéral pour l’égalité » a conduit le pays vers des logiques chaotiques vis-à-vis de ses entreprises et vers une forme de déclin économique associé à des tensions sociales exacerbées. Nous entrons aujourd’hui dans l’urgence.
Le récent rapport du groupe de Davos, s’ajoutant à la reconnaissance par le Chef de l’Etat, « de l’existence d’une crise exceptionnelle » fait apparaître un effondrement de la France à la 21ème place du classement mondial en raison de la fragilité de ses équilibres budgétaires mais aussi des mauvaises pratiques de recrutement et de licenciement et de ses relations, employeur-employé parmi les pires de ce classement. Si dans la précipitation, et semble-t-il à contre cœur, le discours et les postures se sont récemment infléchis vis-à-vis de l’entreprise et que la diabolisation des dirigeants a baissé d’un ton, on en reste pas moins très éloigné d’un changement salutaire de culture dans laquelle l’Entreprise reste un lieu d’exploitation des prolétaires, les actionnaires, des profiteurs cupides, et les dirigeants des parasites, traitres à la classe ouvrière… Après avoir levé le voile sur le contenu de « l’effort juste », qui ressemble beaucoup à une ponction fiscale sans précédent, sur les entreprises et les classes moyennes, le nouveau pouvoir appelle les partenaires sociaux, dans la perspective d’un prochain sommet social, à s’inspirer des modèles Allemands ou Danois pour la sauvegarde de l’emploi et la compétitivité. Cette prise de conscience mérite d’être saluée mais elle montre aussi que les préalables requis pour transposer l’efficacité des dispositions de ces modèles dans notre pays sont loin d’être réunis et que donc la réussite risque de ne pas être au rendez-vous. Il faudrait pour ce faire, entamer une « véritable révolution culturelle » qui mette d’une part l’entreprise au centre d’un nouveau consensus social qui la valorise et mette en confiance ses dirigeants et d’autre part permettre de dire et de faire entendre au corps social la situation réelle de la maison France.
Le parfait contre exemple est celui du déclin industriel dans lequel la France s’est enfoncé en additionnant les pertes d’emplois (1,2 millions entre 1991 et 2010), les pertes de parts de marchés dans les exportations mondiales (moins 50% en 20 ans, en passant de 6% à 3,3) et un effondrement de la part de la valeur ajoutée du secteur industriel (16% en France contre 22,4% en Europe). Une perte de compétitivité qui comme le montre Bernard ESAMBERT « ne nous permet ni de rivaliser avec ceux qui produisent moins cher (Asie, Europe de l’Est, Magreb) ni ceux qui produisent mieux (Allemagne). »
Tandis que les grands champions de l’ère pompidolio-gaullienne (automobile et aéronautique etc.) résistent mieux dans la compétition mondiale mais au prix d’un éloignement de plus en plus marqué de leur base nationale. La France est de moins en moins un pays « qui exalte entrepreneuriat et salue la réussite ».
Avons-nous perdu définitivement notre esprit de conquête et sommes-nous encore innovants ?
Pendant deux siècles l’industrie nous a permis de mettre la science et le progrès technique au service de la connaissance et du bien être. Jusqu’à la fin des Trente glorieuses nous avons vécu sur cette conviction. Aujourd’hui nous sommes en passe de la perdre. Il faudrait, pour échapper à ce tragique destin, tourner la page de l’idéologie de l’économie dirigée, du « tout-Etat » et renvoyer le paritarisme à une légitimité qui appartient au passé comme à ses déficits abyssaux (sécurité sociale, régimes spéciaux de retraite) du présent et de l’avenir. Ce défi, il est de la responsabilité du nouveau pouvoir qui les détient tous. Il demande du courage, sans doute du temps et une détermination à l’aune desquels se reconnaissent les hommes d’Etat qui placent le destin du Pays au-dessus des dogmes et des contraintes électorales et l’Histoire avant le populisme. Le changement c’est maintenant.
Par Jean-Louis CHAMBON,
Face au déclin : l’impérieuse nécessité d’un retour d’une « culture d’entreprise » en France
Jean-Louis Chambon, né le 16 octobre 1948à Saint-Amant-Tallende dans le Puy-de-Dôme, est un auteur français spécialisé dans l'économie. Diplômé de l’Institut Supérieur Bancaire (ITB) et de l’Institut de Haute Finance (IHFI), créé par Georges Pompidou en 1972, il a réalisé l’essentiel de sa carrière professionnelle dans la banque où il a occupé des fonctions de direction (dans le groupe Lazard-Sovac) puis à partir de 1980 dans le groupe Crédit agricole, à la Direction Générale de 1986 à 1989, en tant que responsable des relations extérieures (CEDICAM) puis en régions, en Bourbonnais, puis en Auvergne (CACF).
Il exerçait parallèlement des fonctions de représentation en tant que vice-président du syndicat national des cadres de direction du Crédit agricole (SNCD). Il est administrateur de différentes organisations nationales dans le domaine de la retraite et de la prévoyance.
Siège social : 37, Quai de Grenelle 75 015 PARIS
Conférences : Maison de la Chasse et de la Nature, Hôtel de Guénégaud 75 003 PARIS
Jean-Louis CHAMBON, Fondateur et Président d'honneur