INTERVIEW A la tête du groupe d’experts qui a alimenté le programme du candidat Hollande, Philippe Aghion, professeur à Harvard, demande au chef de l’Etat de lancer des réformes radicales dans tous les domaines: retraite, fiscalité, sécurité sociale...
Face à la dégradation de l’économie, le cap de François Hollande est-il le bon ?
Philippe Aghion. Le chef de l’Etat a pris un tournant important en lançant le crédit d’impôt compétitivité de 20 milliards d’euros. C’est un signal fort en faveur d’une social-démocratie de l’offre, qui a été confirmé par l’accord de janvier sur l’emploi. Mais, face à la perte de compétitivité du pays, ces mesures sont largement insuffisantes. Le président doit engager des réformes radicales de l’Etat, des retraites, de l’assurance-maladie et de la fiscalité. Pour redresser la France, il doit agir en chef de guerre.
En chef de guerre ?
Comme au Mali, il ne doit pas tergiverser et doit affirmer son cap. Il a la chance d’être en début de mandat. En Allemagne, le chancelier Schröder avait lancé ses réformes en fin de législature, ce qui avait provoqué son échec aux élections. François Hollande ne doit pas écouter ceux qui lui conseillent de réformer a minima et d’attendre un hypothétique rebond de l’économie. Il faut provoquer ce rebond par des réformes radicales et immédiates dont il récoltera les fruits.
Sur les dépenses publiques, le chef de l’Etat promet 60 milliards d’euros d’économies en cinq ans. Vous n’y croyez pas ?
Pour l’instant, c’est la politique du rabot, on réduit les dépenses partout, y compris dans la recherche. Alors qu’il faudrait revoir de fond en comble les missions publiques, comme l’ont fait les Canadiens, et baisser drastiquement le nombre de fonctionnaires dans les domaines non prioritaires. D’urgence, il faut mettre fin aux doublons administratifs en supprimant le département lorsqu’il existe une grande métropole, et les duplications entre Etat et collectivités locales. Plusieurs dizaines de milliers de postes pourront être dégagés pour renforcer des secteurs prioritaires, comme l’éducation et l’innovation.
Tout de même, sur les retraites, le chantier a été ouvert…
Oui, mais je ne suis pas sûr que l’on ait la volonté de remettre à plat notre système pour le réformer radicalement. Or il y a un modèle à suivre, c’est celui de la retraite à points tel qu’il a été instauré en Suède : c’est un système par répartition, qui incite à travailler plus longtemps en modulant les pensions selon le nombre d’années de cotisation. Les retraites sont indexées sur la croissance, et le système est conçu pour être en équilibre.
Sentez-vous le président prêt à réformer l’assurance-maladie, en déficit chronique ?
Pour l’instant, je ne vois rien venir. A l’hôpital, on s’est contenté de défaire la réforme Sarkozy. Mais on n’a pas réfléchi à une refonte des parcours de soins pour désengorger les urgences et réaliser de substantielles économies. Et on ne s’est pas attaqué au marché, fort peu concurrentiel, des médicaments.
Peut-on tout réformer en même temps ?
Dans une période de crise grave, les Français comprennent que l’on n’a plus le choix. En outre, la mise en œuvre de ces chantiers rendra l’Allemagne et la Commission européenne plus bienveillantes envers la France. Elles pourront nous accorder un ballon d’oxygène supplémentaire en 2013 et 2014 en ajustant les objectifs de déficits publics pour tenir compte de la récession.
La grande réforme fiscale promise par François Hollande a-t-elle eu lieu ?
Non. Les hausses d’impôts du budget 2013 ont certes permis de réduire le déficit public – il faut rendre hommage à Jérôme Cahuzac. Mais le président aurait dû expliquer qu’il s’agissait d’un effort dicté par l’urgence et annoncer, dans la foulée, une réforme fiscale pour le moyen terme. Ma préférence va, là encore, à un système de type scandinave : un impôt progressif sur les revenus du travail, avec une tranche supérieure à 50 %, une réduction drastique des niches fiscales, et une fiscalité forfaitaire sur les revenus du capital autour de 30%.
L’alignement de l’imposition des revenus du capital et du travail était une promesse de campagne…
Mais ses partisans n’ont pas pris en compte ses effets néfastes sur la croissance. Sur la fiscalité comme dans les autres domaines, François Hollande doit s’affirmer comme un socialiste de l’offre. Le président ne sera pas jugé sur le respect de ses propositions de campagne, mais sur sa capacité à redresser le pays.
La taxe à 75% sur les très hauts revenus doit-elle être abandonnée ?
Elle est inutile et contre-productive. Il faut profiter de la censure du Conseil constitutionnel pour l’abandonner.
François Hollande est-il bien conseillé ?
Il est entouré de technocrates, notamment d’inspecteurs des finances, fort talentueux. Mais il devrait consulter régulièrement des experts ayant moins le nez sur le guidon, et des hommes et femmes de terrain qui, à l’instar de Gérard Collomb, le maire de Lyon, ont mis en œuvre des réformes audacieuses.
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