L’idée est de Rousseau. Quand il s’agit de faire le bonheur des hommes, les élus du peuple, détenteurs de la souveraineté nationale, ont tout pouvoir de fixer les règles du jeu social. La loi est l’instrument de la transformation de la société parce qu’elle va bâtir l’homme nouveau : « Celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine, de transformer chaque individu qui, par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d’un plus grand tout dont tout cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être ».
L’homme nouveau va ainsi renoncer à son individualité pour devenir une « partie » de la société dont il reçoit sa vie et son être ! On ne saurait mieux formuler le principe du totalitarisme socialiste. C’est du Mao de la meilleure cuvée.
Mais c’est parfaitement dans la logique socialiste : le « grand législateur », comme dit Rousseau, est celui qui définit les règles de nature à faire avancer la construction de la société parfaite, et de traduire dans le concret quotidien le plan mûri pour lui par les architectes éclairés.
C’est le politique qui fait la loi
Le 13 octobre 1981 à l’Assemblée Nationale, en plein débat sur la constitutionnalité des nationalisations prévues au Programme Commun de la Gauche, le député socialiste André Laignel déclare au Professeur Jean Foyer, député de l’opposition et juriste éminent : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ».
La loi n’est qu’un simple décret gouvernemental, elle est l’expression de la majorité au pouvoir. Donc, elle peut changer avec toute alternance politique. Sa durée de vie se mesure à la longueur d’une mandature – cinq ans pour l’Assemblée Nationale. Des lois anciennes sont abrogées, de nouvelles sont amendées, votées, en attendant qu’elles soient à leur tour abrogées.
Peu de temps avant que Laurent Fabius quitte Matignon en 1986, il dresse le bilan de son ministère, qui a produit 2.000 textes de lois. Jacques Chirac, deux ans plus tard, se vantera de l’avoir battu de quelques encablures : 2.200!
En plus des lois votées par le Parlement, il faut comptabiliser en plus tous les décrets, arrêtés et autres textes administratifs, qui portent le volume de la « législation » à la démesure. Les Français vivent dans un cadre réglementaire de 11.000 lois et 270.000 décrets, sans cesse renouvelé. En matière pénale, quatre lois sur la récidive se sont succédées depuis 2007. En matière fiscale, un quart des lois de finances est rectifié chaque année, et il n’y a pas moins de 60.000 directives ministérielles pour permettre au fisc d’éclaircir les relations avec les contribuables ! Bienheureux Français !
Le déclin du droit
Dans un chapitre célèbre de sa « Constitution de la Liberté » Hayek met en garde contre le déclin du droit et marque toute la différence entre législation (production du législateur politique) et le droit (règle sociale destinée à protéger les droits fondamentaux de la personne humaine).
La législation actuelle n’a plus aucune des caractéristiques que l’on attend d’une vraie loi :
- la durée : on ne peut changer les règles chaque jour
- la simplicité : si nul n’est censé ignorer la loi encore faut-il qu’elle soit lisible et compréhensible de tous ; le Code Civil avait moins de 100 pages en 1804
- la généralité : la loi définit les règles générales, elle ne peut s’occuper des moindres détails ; or aujourd’hui les textes ne posent plus les principes généraux, ils veulent prévoir tous les cas possibles, et concernent finalement des têtes d’épingle.
Au contraire, la législation socialiste a pour caractéristiques :
- l’instabilité : les règles du jeu varient en permanence et, dans la vie économique, il est impossible de faire des plans à long terme, producteurs et consommateurs sont condamnés à vivre au jour le jour. Les cas de lois rétroactives se sont multipliés, notamment en matière de fiscalité depuis la crise,
- l’incertitude : une multitude de textes crée des incohérences, des contradictions, et nul ne sait s’il est « dans son bon droit ». La jurisprudence elle-même est incapable de maîtriser le flux législatif
- l’impérialisme : le législateur s’occupe de tout, et n’hésite pas à pénétrer dans la sphère privée. Rien ne saurait échapper à la vigilance et à l’emprise du pouvoir.
La force injuste de la loi
L’expression est de François Mitterrand. Ce grand socialiste serait-il devenu libéral dans un moment de lucidité ? Certainement pas. Il vise au contraire le « droit bourgeois », car les socialistes sont cohérents avec eux-mêmes : persuadés que la loi n’est que le produit de la politique et la superstructure d’un type de société, ils sont contre toute législation qui contribue à l’exploitation du prolétariat par la classe dominante capitaliste.
Le positivisme est un autre aspect du relativisme de la loi. « La loi c’est la loi » : n’importe quel texte doit être respecté, du moment qu’il a été voté suivant la procédure légale. C’est le « Rechsstaat », dont les manifestations extrêmes se trouvent dans le stalinisme et l’hitlérisme. Mais cette dictature législative de l’Etat s’exerce aussi bien dans les démocraties perverties par les idées socialistes. Bruno Leoni a expliqué comment l’Etat Providence use de la loi pour accorder aux uns des privilèges au détriment des autres. J’ai fait la semaine dernière référence au fait que dans une société socialiste, donc égalitaire, il y en a qui sont « plus égaux que d’autres ». C’est toujours la même déviation du droit : la loi instrument de la politique, au prétexte de la justice, au nom de l’égalité.
Le socialisme ignore le droit naturel
Bien qu’en général les socialistes se veulent et se disent partisans et défenseurs des « droits de l’homme », ils pensent que ces droits ne peuvent être « réels » que dans la société qu’ils bâtissent. La société libérale ne reconnaîtrait que des droits formels.
Ils confondent en réalité deux types de droits : les « droits de », qui établissent la liberté d’agir des individus, et les « droits à », qui sont des créances des individus sur la société. Cette deuxième « génération » des droits de l’homme, que l’on trouve exprimée dans la déclaration de l’ONU – à la différence des déclarations américaine et française du 18ème siècle – est réellement bancale, puisqu’elle met les individus en position de dépendance par rapport à l’Etat, cet Etat qui doit garantir le travail, l’éducation, la santé, le logement, etc. Comment les individus feraient-ils valoir leurs « droits de », leur liberté, face à un Etat omniprésent et omnipotent ?
En fait, les socialistes n’admettent aucune référence à un droit universel, un droit lié à la nature et à la dignité de l’être humain, un droit intemporel et universel, que nous appelons « droit naturel », et dont les croyants font un dérivé du droit divin. Nous avons aujourd’hui tous les droits, sauf le « droit au droit » comme disait Jean Marc Varaut.
Source: Libres.org , Aleps par