Imaginons un terrible scénario fiction. "7 mai 2017.
A la surprise générale, Marine Le Pen emporte l'élection présidentielle. Un mois plus tard ont lieu les élections législatives. Elles seules peuvent sauver la République d'un mouvement populiste et raciste, qui en menace l'existence même. Hélas, pour faire face à la vague des candidats du Front national, soutenus par la nouvelle présidente, qui menace de tout emporter, les grand partis se sont interdits de présenter leurs maires. Depuis la loi de 2013, on ne peut plus en effet être maire et député. Les élus UMP et PS les plus populaires, les plus connus, les plus proches de leur population n'ont pas été investis par leurs partis. Les piliers de la République que sont les maires, éléments souvent modérateurs dans leurs partis, sont interdits de rentrer dans la bataille pour sauver la République."
Quand on fait une réforme institutionnelle, on ne doit pas imaginer la meilleure des situations, mais la pire, en tous cas faire toutes les hypothèses, celles des temps calmes, comme celles des tempêtes, en tirer toutes les conséquences.
L'interdiction du cumul des mandats a beau être une réforme populaire, il n'est pas sûr qu'elle soit une bonne réforme. En cas de tempête certes pas, on vient de le voir. Mais pour temps calme également. Car la principale conséquence de l'interdiction faite aux parlementaires de cumuler des mandats exécutifs locaux sera de renforcer encore les pouvoirs du Président de la République.
Dans aucune autre grande démocratie, le Chef de l'exécutif n'a autant de pouvoir que le Président de la Vème République française. Elu, il ne peut être démis pour des raisons politiques. Il a en revanche le droit de dissoudre l'Assemblée nationale. Il nomme aux plus hautes fonctions de l'Etat. Il a l'initiative de la plupart des lois, par l'intermédiaire du Gouvernement. Et si l'Assemblée nationale résiste à voter l'une d'entre elles, il peut l'obliger à renverser le gouvernement pour empêcher l'adoption de cette loi. Moyen de pression radical et presque toujours suffisant.
Jusqu'en 2000, cependant, le Président vivait dans une certaine incertitude. Ses pouvoirs pouvaient se trouver subitement réduits si les citoyens français élisaient à l'Assemblée nationale une majorité qui ne partageait pas ses options politiques.
Hélas, à l'initiative de Lionel Jospin lui-même, l'alignement de la durée des mandats du Président et des députés (5 ans) et l'inversion de l'ordre des élections (la présidentielle avant l'élection des députés) ont été votés. Au départ l'objectif officiel était 'démocratique', comme aujourd'hui pour la suppression du cumul des mandats : 5 ans c'était mieux que 7 ans, on voterait plus souvent pour désigner le vrai chef de l'exécutif. En fait, l'objectif était surtout de diminuer - voire de supprimer- le risque, insupportable pour les responsables des partis, de nouvelles cohabitations.
Mais le résultat a été d'accentuer encore la concentration et la confusion des pouvoirs entre les mains du chef de l'Etat. Les députés de la majorité dorénavant élus dans la foulée du Président de la République, sur son programme et pour la durée de son mandat, sont dans sa dépendance et risquent encore moins d'être tentés par une quelconque indépendance ou insubordination. Et le Premier Ministre qui avait auparavant pour lourde tâche de gagner l'élection législative intermédiaire et qui était choisi dans cette perspective est devenu un secrétaire du Président.
Parmi les parlementaires cependant, certains sont maires, présidents de conseil généraux ou régionaux. Ils sont certes un atout pour leur commune, leur département ou leur région dont ils peuvent mieux plaider la cause à Paris. Mais ils sont aussi un atout pour notre démocratie. Leur statut d'élu ne dépend pas que du seul mandat parlementaire et, face au pouvoir exécutif, ils ont plus de puissance et d'indépendance que ceux de leurs collègues qui ne sont que parlementaires.
Et puisque l'équilibre des pouvoirs est une des conditions de la démocratie, l'exception française du cumul des mandats est donc une réplique imparfaite certes, mais un petit contrepoids à l'exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême de ces pouvoirs entre les mains du Président de la République. Il serait donc dangereux d'interdire aujourd'hui le cumul des mandats, sans réduire en parallèle les pouvoirs du Président et rééquilibrer nos institutions.
On pourrait réduire drastiquement le droit de dissolution et ne le réserver qu'aux situations où aucun gouvernement ne trouve de majorité à l'Assemblée nationale ; supprimer la possibilité pour le gouvernement d'engager sa responsabilité pour forcer l'adoption d'une loi. On pourrait imposer aux partis politiques, dorénavant financés principalement par l'argent des électeurs, transparence et intégrité dans la désignation de leurs dirigeants et de leurs candidats aux élections. On devrait aussi recréer un décalage entre durée des mandats présidentiel et parlementaires comme cela existe partout ailleurs ou bien réexaminer le rôle, l'existence même du premier ministre. Enfin on pourrait aussi se demander si, pour une ville grande ou moyenne, le danger n'est pas moins le cumul des mandats que la possibilité illimitée de se représenter 20 ans, 30 ans, 40 ans et de vieillir avec sa ville jusqu'à la faire mourir.
Mais puisque au lieu de les réduire, il n'est proposé avec la seule interdiction du cumul des mandats que d'augmenter encore les pouvoirs du Président de la République sur le Parlement, alors, en attendant une vraie réforme de nos institutions, il faut donc conserver le cumul des mandats. En temps calme, c'est une force d'équilibre des pouvoirs. Et en temps de tempête, c'est une barrière de sauvegarde de la république et de la démocratie.
Source:
Le cumul des mandats, pour sauvegarder la République?