"L'Expansion" a enquêté sur l'argent des parlementaires. Conclusions : ils rechignent à jouer le jeu de la transparence et sont parfois très loin de mériter ce qu'ils gagnent. Sondage et palmarès exclusifs. voir lien ici: http://lexpansion.lexpress.fr/economie/les-vrais-revenus-des-elus_251456.html
Malgré une réglementation stricte, certains essaient de ruser pour améliorer leurs revenus ou leur patrimoine. Florilège de petites combines lucratives.
D'ACCORD, on ne fait pas fortune en politique. Mais certains élus ne manquent pas d'imagination pour traquer les failles d'un système très encadré afin d'accroître leur patrimoine ou d'embellir leur quotidien. Ficelles grossières ou ruses de Sioux, revue de détail de ces "petits plus" électifs.
MULTIPLIER LES MANDATS
Siéger plus pour gagner plus ! Remaniée à la sauce politique, la formule sarkozyste fait des émules chez les élus. De tous bords et de toutes assemblées.
Pratiquement neuf députés sur dix cumulent leur mandat parlementaire avec un poste d'élu local. La loi pose tout de même une limite aux collectionneurs d'écharpes tricolores : ils ne peuvent pas
occuper plus de deux mandats. Mais l'élu a tout loisir d'utiliser la ruse "multicarte" de l'intercommunalité : les fonctions de président ou de vice-président des communautés urbaines et des
syndicaux communaux n'entrent pas dans le cadre de la loi anticumul. Les élus locaux s'en donnent alors à coeur joie. "En moyenne, un conseiller territorial siège dans cinq syndicats
intercommunaux", recense avec un malin plaisir Patrick Le Lidec, chercheur au CNRS.
Cas d'école : Bernard Grasset. Maire PS de Rochefort (Charente-Maritime), il siège comme vice-président au conseil régional de Poitou-Charentes et dirige la communauté d'agglomération du Pays rochefortais. Pour ne pas s'ennuyer, il occupe aussi le poste de vice-président d'un syndicat mixte local. Ainsi, avec un peu d'influence dans le pays et une bonne dose d'ambition, l'édile d'une ville moyenne payé 3 500 euros peut atteindre le plafond de rémunération de 8 272 euros (une fois et demie l'indemnité d'un parlementaire) imposé à tous les élus français.
DEVENIR PROPRIÉTAIRE AUX FRAIS DE L'ÉTAT
L'immobilier reste le placement privilégié des Français. Des parlementaires aussi. Bernard Depierre, député UMP de Côte-d'Or, a ainsi installé sa permanence parlementaire dans un beau cinq-pièces au coeur de Dijon. "Je ne trouvais rien à louer", plaide-t-il. En toute légalité, sénateurs et députés peuvent ainsi se constituer un patrimoine immobilier aux frais de la princesse.
La technique est rodée : faire passer sur le compte de l'indemnité représentative de frais de mandat - la fameuse IRFM - le crédit lié à l'achat d'un logement qui servira ensuite de permanence parlementaire. En théorie, cette indemnité, d'un montant de 6 412 euros par mois, sert à couvrir toutes les dépenses associées à l'exercice du mandat, des frais de bouche aux costumes griffés en passant par la location de bureaux. Sauf que le système souffre d'une faille béante : lorsque le crédit est remboursé, le local en question n'appartient pas à la République, mais à l'élu. Bilan de l'opération : un prêt sur dix ans et une réélection, et voilà le patrimoine accru grâce aux deniers publics.
Certains poussent même le vice, une fois la dette acquittée, jusqu'à se louer le logement. "Quelques vieux piliers du Sénat sont propriétaires de coquets pied-à-terre à Paris", dénonce Alain Anziani, sénateur PS de la Gironde. Le questeur socialiste de l'Assemblée nationale, Marylise Lebranchu, a aussi acheté ses locaux de Morlaix avec un crédit qui ampute son IRFM de près de 700 euros par mois. "Les électeurs sont au courant, et personne ne s'en émeut", affirme-t-elle tout naturellement.
RUSER AVEC SES NOTES DE FRAIS
Michel Vauzelle, député socialiste des Bouches-du-Rhône et président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, a bien failli céder à un curieux mélange des genres. L'ancien garde des Sceaux souhaitait en effet installer ses assistants parlementaires dans une annexe du conseil régional, à Arles. Une façon d'économiser la location d'une permanence. Un simple rappel à l'ordre du questeur de l'Assemblée, l'UMP Richard Mallié, aura suffi à lui faire abandonner son projet.
Mais cette péripétie en apparence anodine illustre à merveille l'aptitude de nos élus à jongler avec les notes de frais. Les parlementaires cumulards ont évidemment la martingale : imputer sur d'autres budgets, notamment locaux, des dépenses qui auraient normalement dû grignoter leur IRFM. "Au bout du compte, les as du cumul ont beaucoup plus de moyens que les autres, et pour certains l'IRFM sert de salaire déguisé", s'enflamme Lionel Tardy, député UMP de l'Isère. Le flou est d'autant mieux entretenu que cette indemnité n'est soumise à aucun contrôle, ni du fisc, ni du Parlement.
Autre boîte noire qui échappe à toute vérification, l'enveloppe de 20 000 euros donnée à chaque député en début de mandature pour couvrir ses dépenses en équipements informatiques. "J'ai vu passer des factures pour tous les ordinateurs de la famille", avoue un assistant parlementaire.
Les députés les plus cyniques peuvent également économiser chaque année 5 000 euros sur l'enveloppe dédiée aux salaires des collaborateurs pour payer leur écot au parti ou, mieux, pour financer leur feuille de chou.
Exactement 52 000 euros. C'est le montant total des surplus d'indemnités que Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement de Paris et députée européenne, n'a pas pu encaisser à cause de la limite salariale imposée à tous les élus cumulards. Ses collègues "plafonnés" reversent d'ordinaire ce surplus à quelques amis élus triés sur le volet. Problème : un document officiel estampillé "Secrétariat général du conseil de Paris" mentionne bien le trop-plein de l'ancienne garde des Sceaux (2 591,46 euros par mois), mais pas le nom des heureux bénéficiaires. Rachida Dati est le seul conseiller parisien dans ce cas. Trois possibilités pour expliquer cette énigme : soit elle ignore ce mécanisme, pourtant fort utile pour se créer des obligés ; soit elle ne veut pas faire de jaloux parmi ses meilleurs amis et n'en privilégie aucun ; soit, soucieuse des comptes de l'Etat, elle fait reverser le tout au Trésor public. Négligente, prudente ou vertueuse ?)
Au standard de l'Assemblée nationale, il faut bien préciser le prénom du député, sous peine de se retrouver en ligne avec sa femme, sa fille ou son fils. "Entre 10 et 15 % des collaborateurs parlementaires appartiennent à la famille de l'élu. Et tous ne travaillent pas d'arrache-pied", tonne Jean-François Cassant, secrétaire général de l'Union syndicale des assistants parlementaires à l'Assemblée nationale. Un népotisme du plus mauvais effet dans le temple de Marianne. Les bureaux de l'Assemblée et du Sénat fixent tout de même des limites : les salaires au bénéfice de la famille ne peuvent pas manger plus de la moitié de l'enveloppe (9 138 euros mensuels) destinée aux collaborateurs.
Avec son salaire de 4 000 euros par mois, Marie-Dominique Aeschlimann, l'épouse du député UMP Manuel, reste de justesse dans les clous. Elle peut faire saliver ou enrager ses jeunes collègues, rémunérés 1 500 euros en moyenne. Jean-François Cassant poursuit : "Embaucher son épouse équivaut à 30 ou 40 % de gain pour le foyer fiscal." Chez certains, les réunions de travail ressemblent à un conseil de famille. Patrice Martin-Lalande, député du Loir-et-Cher, travaille avec son fils - certes très assidu - et sa femme. Plus au sud, l'élu Nouveau Centre des Alpes-Maritimes Rudy Salles s'entoure de sa femme Annie, (très) attachée parlementaire, et de son gendre Christophe Barbossa, chef de cabinet.
Pauvres cumulards ! Impossible pour eux de toucher plus d'une fois et demie l'indemnité de base d'un parlementaire, soit 8 272 euros exactement. Mais tout n'est pas perdu. Ils peuvent reverser le "trop-perçu" au bénéfice d'un autre élu et s'en faire ainsi un véritable obligé. Les montants "écrêtés", comme disent les hommes de l'art, peuvent atteindre des chiffres non négligeables.
Les députés les plus cyniques peuvent également économiser chaque année 5 000 euros sur l'enveloppe dédiée aux salaires des collaborateurs pour payer leur écot au parti ou, mieux, pour financer leur feuille de chou.
Mais, pour joindre l'utile à l'agréable, l'élu(e) peut encore choisir comme bénéficiaire... sa femme ou son mari, son compagnon ou sa compagne. Le député et maire UMP de Levallois-Perret, Patrick Balkany, attribue ainsi 2 000 euros par mois à son épouse Isabelle (voir document page 39), élue de la ville. Franck Martin, conseiller régional et maire radical de gauche de Louviers - la ville de l'irréprochable Pierre Mendès France -, choisit comme bénéficiaire sa compagne Ghislaine Baudet. Dans une intercommunalité du Nord, le député et maire de Lambersart, Marc-Philippe Daubresse, confie 140 euros par mois à son amie et vice-présidente Brigitte Astruc, contre 19 euros à cinq de ses homologues.
Il peut cependant arriver qu'un élu "oublie" de rendre son surplus. Pendant quinze mois, l'actuel président du Sénat et premier magistrat de Rambouillet, Gérard Larcher, a empoché 17 000 euros de trop. "Une suite d'erreurs administratives", plaide l'intéressé. Il commence d'ailleurs à rembourser...
Agés de 58 ans en moyenne, les députés pensent forcément à leurs vieux jours. Mais pas la peine de se faire des cheveux blancs supplémentaires, ils bénéficient d'un régime de retraite très avantageux : chaque année de cotisation compte double pendant trois mandats. Ils peuvent toucher environ 6 000 euros par mois après vingt-deux ans passés sur les bancs de l'Assemblée.
Sans compter la pension due au titre de leur carrière professionnelle. Au moment de voter la loi sur les retraites des Français lambda, à l'automne dernier, les députés - un peu gênés aux entournures - ont amendé leur généreux régime : une année dans l'hémicycle comptera pour une année et demie de cotisation. "Attention, ce système vaudra uniquement pour les nouveaux députés issus du scrutin de 2012", précise un élu, presque déçu de passer au travers des mailles de la réforme. Deux mandats effectués en une décennie garantiront aux petits nouveaux une rente mensuelle de 2 400 euros, soit 80 % de plus que la pension moyenne perçue par un retraité français après une carrière complète. Pas si mal.
Trop à l'étroit dans leur costume d'élus ? De plus en plus de responsables politiques se mettent à porter la robe. D'avocat, bien sûr. Une façon de s'assurer de substantiels compléments de revenu. Au cours des dernières années, une poignée de têtes d'affiche - les socialistes François Hollande, Jean Glavany, Christophe Caresche, les UMP Dominique de Villepin, Rachida Dati, Jean-François Copé, le Vert Noël Mamère - se sont inscrites au barreau sans passer l'examen requis. La loi du 31 décembre 1971 permet à un responsable politique ayant exercé des "activités juridiques" pendant au moins huit ans de devenir avocat. Pour beaucoup, cette vocation tardive s'explique par la volonté de préparer les lendemains de défaite électorale. "Depuis que je n'ai plus qu'un mandat, j'ai davantage de temps pour préparer ma reconversion", témoigne Jean Glavany, qui s'est fait récemment embaucher par le cabinet Matharan-Pintat-Raymundie, un des plus gros cabinets spécialisés en droit public. "J'ai surtout aidé des collectivités locales sur des questions de délégations de service public", conclut-il, un brin sur la défensive. Au Conseil national des barreaux, on joue la carte de la naïveté. "Où est le problème ? Il y a bien des députés médecins, notaires ou chefs d'entreprise", plaide Thierry Wickers, son président. Sauf que les "parlementaires avocats" peuvent se retrouver dans la situation délicate de devoir se prononcer, dans le cadre de leur travail législatif, sur des questions touchant de très près leurs clients. Une situation de conflit d'intérêts potentiellement explosive.
Il faut dire que le cas de Jean-François Copé a beaucoup fait jaser dans les travées de l'Assemblée. En juin 2009, alors qu'il est collaborateur du cabinet d'avocats d'affaires Gide Loyrette Nouel, conseil de la Caisse d'épargne, la loi relative à la fusion des Caisses d'épargne et des Banques populaires est adoptée par tous les députés du groupe UMP. Singulière unanimité. "En général, les collaborateurs qui viennent du monde politique ne plaident pas. Ils font de la médiation, une façon de valoriser leur carnet d'adresses", explique un avocat d'affaires.
Une activité qui aurait rapporté au député et maire de Meaux près de 20 000 euros par mois. Si le secrétaire général de l'UMP a démissionné de chez Gide en novembre dernier, il reste inscrit au barreau et travaille aujourd'hui dans le cabinet de sa soeur, Isabelle Copé-Bessis, spécialiste du droit de la famille.
Robert Badinter, l'ancien garde des Sceaux, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat, est encore rouge de colère. L'objet de son courroux : les activités annexes de son collègue Philippe Marini, le sénateur de l'Oise. A la fin de l'année dernière, le Conseil constitutionnel a refusé que le très influent rapporteur du budget au Sénat siège au conseil de surveillance de Foncière Inéa, société immobilière cotée en Bourse.
SUR LE PAPIER, LE DÉVELOPPEMENT DE L'INTERCOMMUNALITÉ tient du bon sens : mettre en commun les moyens financiers des communes
pour développer des projets d'aménagement de trop grande envergure pour chacune d'elles. Sauf que la mode des communautés d'agglomération s'est accompagnée d'une inflation de postes... et
d'indemnités. "L'intercommunalité donne lieu à des abus considérables", dénonce Eric Kerrouche, chercheur au centre Emile-Durkheim à l'université de Bordeaux. Les vice-présidents représentent
parfois jusqu'à un tiers des effectifs. Un titre qui, quelle que soit la taille de l'agglomération, donne droit à une indemnité pouvant atteindre 2 756 euros par mois. La réforme des
collectivités territoriales prévue en 2014 devrait limiter les abus : les intercommunalités ne devront pas compter plus de 20 % de vice-présidents en leur sein.
Philippe Marini conserve malgré tout un pied dans le monde des affaires. Il siège en effet au conseil de surveillance de la société Gimar, un spécialiste des fusions-acquisitions qui travaille avec de nombreuses entreprises publiques. Mais il officie également au sein de la holding Consortium d'investissement et de placements mobiliers International, à la Compagnie financière privée et au conseil de surveillance de Guyenne et Gascogne, un groupe de distribution partenaire de Carrefour. "Nous sommes confrontés à une dizaine de cas identiques", confirme un des membres du comité de déontologie parlementaire du Sénat.
Il n'y a pas si longtemps, c'est le cas du sénateur Gérard Longuet, aujourd'hui ministre de la Défense, qui avait posé problème. Entre septembre 2008 et décembre 2009, la société de conseil Sokrates Group, dont l'actionnaire principal n'était autre que lui-même, avait conduit une mission de conseil sur le déploiement du nucléaire en France et à l'international pour le compte de GDF Suez.
Quand ils n'arrondissent pas leurs fins de mois en conseillant de grands groupes privés, certains élus font de leur mandat une porte d'entrée pour
siéger dans des organismes parapublics - agence de l'environnement, conseil d'administration d'hôpital, organisme d'attribution des logements HLM... -, touchant par la même occasion de
gé-néreuses vacations. Ainsi, le sénateur Alex Türk, président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, reçoit un peu plus de 3 000 euros par mois en plus de ses indemnités
parlementaires. Pour les élus locaux de moindre envergure, l'astuce rémunératrice consiste à siéger dans les jurys de concours de la fonction publique. A Lyon, pour les oraux des concours de
catégorie A, la demi-journée de travail peut être rémunérée 120 euros. Et les épreuves s'étalent parfois sur huit jours...
Les astuces des élus pour arrondir leurs fins de mois
Par FRANCK DEDIEU et BÉATRICE MATHIEU - publié le 30/03/2011
Source: L'expansion