L'économie mondiale est en crise et donc en guerre économique. Cette guerre se déroule sur trois fronts. La plus connue est la guerre commerciale. Malgré les déclarations de bonnes intentions réitérées à l'occasion de chaque G20, le protectionnisme gagne, chaque jour, du terrain.
Selon l'OMC, 1.639 mesures protectionnistes ont été prises depuis 2008 et le nombre de différends examinés par cette institution a été multiplié par 4 entre 2011 et 2012. Contrairement à ce qui se dit, le plus grand nombre de divergences commerciales n'oppose pas l'Europe à la Chine, mais l'Europe aux Etats-Unis.
Le deuxième front de ce conflit mondial est, bien sûr, celui des monnaies. La dévaluation est une arme aussi efficace que les droits de douane et surtout bien plus facile à manier. Et, sur ce front, l'Europe voit ses défenses être continûment enfoncées. L'euro s'est ainsi apprécié depuis 2002 de 28 % par rapport au dollar et de 22 % par rapport à la livre anglaise, sans même parler de la roupie indienne (37 %) ou du peso argentin (85 %).
Sur ces deux fronts, l'Europe fait preuve d'une désarmante candeur. Mais c'est encore pire sur le troisième front, réglementaire celui-là, qui est moins connu mais tout aussi stratégique. Ne pas se soumettre à une réglementation que les autres appliquent revient à renforcer la capacité concurrentielle de son économie. Les Etats-Unis sont très forts à ce petit « jeu ». Le meilleur exemple est fourni par les nouvelles réglementations bancaires. Barack Obama, supposé lutter contre les lobbies de la finance, n'hésite plus aujourd'hui à prêter main forte à ceux-ci. Après avoir décidé unilatéralement de ne pas appliquer les nouvelles règles prudentielles dites de Bâle III qui pèsent lourdement sur les banques européennes, il vient de décider d'imposer à ces dernières une nouvelle règle fiscale (le FATC) qui les oblige à déclarer à l'administration américaine des informations très détaillées sur leurs clients américains. Surcoût pour les banques étrangères implantées aux Etats-Unis : 500 millions de dollars. Rien que ça.
Mais, dans cette guerre de réglementations, il est une nouvelle victime européenne toute désignée. C'est l'audit. La Commission voulant « laver plus blanc que blanc » est en train d'imposer aux auditeurs européens une nouvelle réglementation qui s'appuie sur une fausse bonne idée : la rotation (tous les six ans dans le projet initial) des cabinets d'audit. Même si certains cherchent à porter cette durée à dix ou douze ans, cette nouvelle réglementation est critiquable à trois niveaux. D'abord, elle fait fi de la nécessaire accumulation d'expérience et de connaissance que les auditeurs doivent avoir des entreprises qu'ils auditent (au moins pour les grandes entreprises les plus complexes). Ensuite, son efficience n'a pas été démontrée dans des pays, comme l'Italie, qui l'ont appliquée. Enfin, dans une période où les budgets d'audit tendent à se réduire, elle détourne l'attention de la seule voie qui assurerait un meilleur audit européen, à savoir la qualité de celui-ci, et donc la formation des auditeurs. En France, les conséquences seraient encore plus dommageables du fait du cumul de la rotation avec le « joint audit ». Là encore, les Etats Unis sont plus roués et enchaînent les « impact assessments » (mesure ex ante d'une réforme) pour être sûrs de ne pas pénaliser les auditeurs américains et, surtout, leurs clients. Est-ce trop demander à la Commission de faire preuve, dans ce domaine, de plus de lucidité, voire de plus de combativité réglementaire, pour ne pas définitivement mettre en péril son industrie ? L'avenir le dira dans les mois qui viennent.
Olivier Pastré est professeur d'économie à l'université Paris VIII |
Une Europe naïve face à la guerre del'audit Source, journal ou site Internet : Les Echos Date : 20février 2013Auteur : Olivier Pastré |
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