Le rapport sur les coûts de la filière nucléaire française a été publié par la commission d'enquête parlementaire présidée par le député socialiste François Brottes, et dont le rapporteur est le député écologiste Denis Baupin.
Alors que la concrétisation dans la loi sur la transition énergétique des engagements du Président de la République de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique se fait attendre, ce rapport permet de prendre la mesure du coût du nucléaire et des incertitudes qu'il fait peser.
Coût d'exploitation, mur d'investissement, amélioration de la sûreté, érosion de la rentabilité, coût croissant de l'EPR, la dérive croissante des coûts du nucléaire est enfin reconnue officiellement.
Ce rapport démontre également qu'au-delà des coûts croissants, les incertitudes restent nombreuses sur les coûts véritables, exposant le contribuable à des prix potentiellement prohibitifs. Sur le démantèlement, dont personne ne connaît le vrai prix, le rapport démontre que les devis sont globalement sous estimés. Les coûts véritables du traitement et de l'enfouissement des déchets sont tout aussi incertains.
La commission s'est penchée sur la question du risque :
"en cas d'accident nucléaire, les conséquences peuvent être désastreuses en terme de vies humaines, et le coût économique se chiffre en centaines de milliards d'euros. C'est pourtant l'Etat et donc le contribuable qui supporte la quasi-intégralité du risque puisque la responsabilité d'EDF est plafonnée."
"Nous avons un parc français très homogène", précise Denis Baupin. "Ce qui a eu un avantage en terme de coûts de construction, mais en même temps cela donne aujourd'hui une fragilité car si un incident surgit sur un réacteur, il peut être générique et forcer l'arrêt de la quasi totalité des 19 centrales".
"La sûreté nucléaire est un enjeu majeur", ajouté le député. "La sûreté du parc nucléaire français a été évalué par l'Autorité de sûreté indépendante (ASN) à 12/20. Il y a sans doute encore à renforcer la sûreté, avec des moyens humains, financiers et juridiques, notamment à travers plus de sanctions."
"On a aujourd'hui une autorité de sûreté qui ne se prononce pas sur le coût des mesures qu'elle préconise" a indiqué Denis Baupin, "l'exploitant EDF qui nous dit à peu près comment il va faire et combien ça va coûter, mais il n'y a finalement pas d'expertise indépendante !"
Pour le mouvement Europe Ecologie Les Verts, "l'Etat est le seul a pouvoir correctement gérer ce changement d'époque pour le nucléaire et doit être pleinement aux manettes pour piloter la transition écologique (...) la sortie du nucléaire est la seule solution réellement sûre et peu coûteuse à terme."
Rapport sur le coût du nucléaire : entre coûts et incertitudes
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Le rapport de la Cour des comptes sur "les coûts de la filière électronucléaire", commandé par le gouvernement en mai 2011, a été publié mardi 31 janvier. Dans un entretien au Monde, son premier président, Didier Migaud, explique que les magistrats n'ont relevé aucun coût caché, mais que de "nombreuses incertitudes" demeurent sur le démantèlement, la gestion des déchets et la prolongation de la durée de vie des 58 réacteurs d'EDF.
Quel est le principal enseignement de votre rapport ?
Le rapport de la Cour rassemble l'essentiel des données disponibles sur les éléments constituant les coûts passés, présents et futurs de la production d'électricité nucléaire en France. J'ajoute que si ce rapport a pu être réalisé dans un temps très court (huit mois), alors qu'il s'agit d'un travail exhaustif et innovant sur les coûts de la filière, c'est parce que la Cour a su se mobiliser, et que tous les acteurs concernés ont "joué le jeu".
Il conclut que tous les coûts futurs sont bien identifiés par les exploitants, mais qu'ils ne sont pas évalués avec un égal degré de précision. De nombreuses incertitudes pèsent, par nature, sur ces estimations et les risques d'augmentation de ces charges futures sont probables. Mais plus que les paramètres de démantèlement ou de stockage ultime, la Cour montre que c'est la durée de fonctionnement des centrales actuelles qui est une donnée majeure, dont l'effet sur le coût de la filière est le plus important.
De lourds investissements sont donc à prévoir ?
Quels que soient les choix retenus, oui, des investissements importants sont à prévoir pour maintenir la production actuelle, représentant a minima un doublement du rythme actuel d'investissements de maintenance. Ce qui fera augmenter le coût moyen de production de l'ordre de 10 %. La Cour souhaite que les choix d'investissements futurs ne soient pas effectués de manière implicite, mais qu'une stratégie énergétique soit formulée et adoptée par le gouvernement, de manière explicite, publique et transparente.
D'ici à la fin de 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront quarante ans de fonctionnement. Dans l'hypothèse d'une durée de vie de quarante ans et d'un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel [74 % de la production d'électricité], il faudrait donc un effort considérable d'investissement à court terme, qui paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles. Cela signifie qu'à travers l'absence de décision d'investissement, une décision implicite a été prise qui nous engage déjà: prolonger nos centrales au-delà de quarante ans, ou faireévoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d'autres sources d'énergie, ce qui suppose des investissements complémentaires.
Y a-t-il des "coûts cachés", comme l'affirment les mouvements antinucléaires ?
La Cour a vérifié que les charges futures (démantèlement, gestion des combustibles usés et des déchets) sont bien intégrées dans les comptes des exploitants et dans les calculs de coûts. Mais, comme le montant de ces charges n'est pas connu avec certitude, elle a aussi vérifié les conséquences d'une éventuelle sous-estimation de ces coûts : les tests montrent une faible sensibilité du coût global de production de l'électricité nucléaire à l'évolution, même importante, de ces charges.
Enfin, j'insiste sur les éléments qui doivent être pris en compte dans l'analyse de la politiqueénergétique et la comparaison entre les différentes formes d'énergie. Il peut s'agir d'effets a priori positifs, comme la contribution à l'indépendance énergétique ou les moindres émissions de gaz à effet de serre; ou négatifs, comme l'impact de l'électricité nucléaire sur la santé et le réchauffement des rivières.
Comment expliquer qu'il y ait autant d'incertitudes sur le coût du démantèlement des installations nucléaires ?
Les charges futures sont incertaines "par nature". Les dépenses de démantèlement, c'est-à-dire les dépenses de fin de vie des centrales, sont estimées à 18,4 milliards (valeur 2010) en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs, mais la Cour n'est pas en mesure de valider ce montant en l'absence d'études approfondies. Il n'y a pas d'expériences de démantèlement d'un parc cohérent comme le parc français. Les chiffrages d'EDF sont au bas de la fourchette des comparaisons internationales, qui doivent être prises avec prudence.
En est-il de même pour la gestion des déchets radioactifs ?
Le coût de leur gestion à long terme est estimé à 28,4milliards d'euros. L'estimation est fragile, car le projet envisagé pour l'enfouissement en grande profondeur des déchets à vie longue n'est pas définitif. Le devis établi en 2005 par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a été revu en 2009 et a quasi doublé [à plus de 30 milliards d'euros]. Dans ce domaine, il n'y a aucune référence internationale possible.
Doit-on faireévaluer ces coûts par des experts indépendants ?
La Cour recommande que son rapport, que je considère comme une "base de données" des coûts du nucléaire, soit régulièrement actualisé, de manière transparente et en toute indépendance.
Les coûts de maintenance et les surcoûts de sûreté post-Fukushima vont-ils entraîner une forte hausse des prix de l'électricité ?
Le rythme annuel des investissements de maintenance d'EDF, y compris la prise en compte des prescriptions post-Fukushima de l'Autorité de sûreté nucléaire telles qu'on les connaît, devrait doubler dans les quinze ans qui viennent, ce qui représente une augmentation de l'ordre de 10% du coût moyen de production. Mais ce coût ne représente que 40 % du prix payé par le consommateur. D'autres composantes (investissements sur les réseaux, taxes) ont un effet sur le prix.
Les dépenses de recherche pourront-elles continuerà ce rythme ?
Ces 55milliards d'euros calculés, pour la première fois, par la Cour, ne mesurent que les dépenses de recherche nucléaire civile depuis 1957, soit environ un milliard par an. Sur l'ensemble de la période, elles ont été financées à 70 % par des crédits publics, mais cette part diminue. Plus de la moitié de ces dépenses de recherche est financée par les exploitants. La charge en 2010 pour les fonds publics était de 414 millions.
Jugez-vous suffisantes les garanties de responsabilité civile plafonnées à 92 millions par centrale pour EDF ?
La Cour recommande que l'on applique le plus rapidement possible les protocoles d'amendements aux conventions internationales qui relèvent ce plafond à 700 millions d'euros, somme qui reste très limitée en cas d'accidents graves.
Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Pierre Le Hir
Source: Le Monde
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http://www.lejsl.com/actualite/2014/05/28/vers-une-forte-hausse-du-cout-du-nucleaire