par Morgane Merteuil -
Morgane Merteuil, 25 ans, est travailleuse du sexe depuis 3 ans et milite au sein du STRASS (Syndicat du Travail Sexuel). Considérant que la lutte des putes est un combat profondément féministe, elle a notamment dénoncé le féminisme institutionnel anti-prostitution dans un essai-manifeste, Libérez le féminisme ! (sortie septembre 2012).
Avant de commencer ce texte, je tiens à préciser que si je ne me définis pas forcément comme hétéro, je ne me reconnais pas forcément dans une identité « LGBT » ; je m'y reconnaitrai peut-être le jour où on parlera, comme certainEs le font déjà, de « LGBTAPSW » (LGBT + AsexuelLEs, Pan/polysexuelLes, SexWorkers). Si une telle accumulation de lettres peut paraître un peu lourde, elle n'en fait pas moins sens ; en tant que pute je me sens concernée par, et liée aux, luttes LGBT, parce que lorsque je vois ce qu'on vous balance dans la gueule, bien souvent, je crois reconnaître les mêmes phrases qu'on nous balance dans notre gueule à nous, putes qui réclamons nos droits [1].
Lors des auditions à l'Assemblée Nationale des familles homoparentales et de leurs enfants, Modelène Daniel, témoignant de son adoption par un couple de lesbiennes, finit son intervention en déclarant : « Personne ne peut dire à ma place si je suis heureuse ou malheureuse ». En écoutant ça, j'ai tilté. Parce que s'il y a bien UNE phrase que l'on doit répéter à longueur de journée en tant que putes, c'est bien celle-là (et ses variantes : « Vous ne pouvez définir à ma place si ce que je vis est une violence », « Vous ne pouvez savoir mieux que moi ce qui est bon ou pas pour moi »).
Alors que pour les homophobes de tous bords, il est établi qu'un enfant élevé dans une famille homoparentale est forcément perturbé, malheureux, et ne peut nier que quand même, avoir des parents non hétéro, c'est une souffrance dont il faudrait pouvoir préserver les autres enfants, de la même manière, pour un certain nombre de personnes (se revendiquant généralement « abolitionnistes », c'est-à-dire qu'elles veulent abolir la prostitution – et les putes qui vont avec), il est impossible de ne pas souffrir dès lors que l'on vend des services sexuels. Et peu importent les nombreux témoignages disant l'inverse, peu importent les nombreuxSES travailleurSEs du sexe expliquant tous les jours que « Je me prostitue et je vais bien, merci », c'est FAUX, toutes les putes sont censées souffrir de leur condition, de leurs passes, et celles qui DISENT ne pas en souffrir se mentent à elles-mêmes ou alors sont payées par le lobby proxénète pour répandre ces mensonges.
« Si on vous laisse faire, vous allez créer l'Enfer sur la Terre »
Une autre similitude entre les discours homophobes et putophobes est le recours à la peur de leurs auditeurs/auditrices : la récurrence de la MENACE APOCALYPTIQUE que ferait reposer la reconnaissance de l'homosexualité/parentalité sur « la société ». L'accès aux droits d'une minorité menacerait la majorité déjà détentrice de ces droits. L'homosexualité menacerait les fondements de la société, entrainerait une perte de repères dangereuse, et constituerait par extension une atteinte directe aux intérêts des hétéros. En parallèle, on a, du côté des putophobes : la légalisation de la prostitution menacerait la possibilité de l'émancipation de toutes les femmes, donnerait de mauvais repères aux petits garçons qui grandiraient en pensant qu'ils peuvent « acheter le corps des femmes », et constituerait ainsi une atteinte à toutes les femmes, dès lors soupçonnées d'être également potentiellement prostituables.
Alors oui, l'accès aux droits pour les personnes homosexuelles, de même que la reconnaissance des trans', menace le système hétérosexiste, et donc les intérêts de ceux qui profitent de cette domination, ou qui sont traumatisés à la simple idée que l'assignation sexuelle que l'on nous donne à la naissance (soit femelle soit mâle) ne saurait être une donnée immuable de notre épanouissement en tant qu'individuE. Mais au fond, comme le résume très bien ce slogan : « Le mariage pour touTEs va changer la vie des homosexuelLEs, pas la vôtre ».
De la même manière, j'aurais envie de dire que la reconnaissance des droits des putes va changer leur vie, pas la vôtre ; si elle permettrait aux personnes exerçant le travail sexuel de pouvoir le faire légalement, et donc sans avoir à subir la violence et l'insécurité liées à la marginalité, elle ne remet absolument pas en cause les droits des autres femmes. J'oserais même dire que cette reconnaissance serait bénéfique à l'ensemble des femmes : on sait comme le stigma de pute est une menace qui pèse sur toute femme faisant preuve d'un peu de liberté sexuelle ; si même les putes sont respectées, alors le respect pour les femmes de manière générale aura grandement progressé ! De la même manière que rendre légal le mariage pour les couples de même sexe n'entraine pas forcément de « mentir aux enfants » mais justement de leur apprendre que la filiation ne saurait se réduire à la génétique, légaliser la prostitution ne signifie pas dire aux enfants que le consentement d'une personne est toujours monnayable, mais justement à leur apprendre que jamais ils ne doivent tenter de contraindre ou forcer une personne à faire ce qu'elle ne veut pas, notamment dans le domaine sexuel. Le seul effet néfaste de la reconnaissance du travail sexuel concernerait donc celles et ceux pour qui le simple fait de savoir que des putes existent constitue déjà une agression : mais alors c'est à ces personnes de s'adapter, pas à nous de disparaître.
« Vous défendez les pédophiles !!!! »
Au milieu de ces discours nous parlant ainsi de toutes ces menaces qui planent sur nous dès lors que des personnes se mettent à réclamer des droits dont elles sont privées, il est très fréquent que leurs auteurs atteignent le « point pédophilie ». Ainsi, reconnaître la légitimité de l'amour de deux personnes de mêmes sexe serait, selon un obscur lien de cause à effet, encourager la pédophilie ; et si vous aimez les personnes de votre sexe, alors vous aimez aussi violer des enfants. De la même manière, légaliser la prostitution encouragerait la prostitution forcée des enfants ; les putes sont elles-mêmes de potentielles pédophiles : j'ai eu droit un jour à « Vous coucheriez avec des enfants si on vous payait pour ! ». Pourtant, comme nous le chantions l'autre jour à la manifestation, c'est au Vatican qu'on viole, c'est au Vatican, qu'on viole les enfants. Et si la prostitution forcée des enfants est hélas une réalité, celle-ci n'a aucun lien avec les rapports monnayés que peuvent entretenir des adultes entre eux, à moins de considérer alors que les rapports « gratuits » entre adultes encouragent généralement la pédophilie.
« On va t'apprendre à faire bon usage de ton corps »
Les personnes LGBT et les putes sont donc deux (cinq) minorités stigmatisées, en raison de l'usage qu'elles font de leur corps : un mec qui se fait enculer, c'est plus un mec ; une meuf qui a pas besoin de bite, c'est pas normal ; une meuf ou un mec qui peut baiser avec n'importe qui en échange de fric, horreur suprême, dégoût, perte d'honneur. Et je n'ose même évoquer la violence qu'endurent les personnes qui refusent de s'en tenir au sexe ou au genre qui leur a été assigné à la naissance. On rappellera également que c'est marquées du même triangle noir que les putes et les lesbiennes furent déportées, en tant que « socialement inadaptées ». Il serait bon que certaines lesbiennes s'en souviennent. Socialement inadaptées, parce que psychiatriquement malsaines : vous connaissez certainement ces discours qui expliquent que l'on ne devient pas gouine ou pédé par hasard, mais certainement parce que l'on a manqué de repères ou subi des violences sexuelles dans son enfance ; vous avez entendu parler de ces « camps » de rééducation à l'hétérosexualité.
De la même manière, les putes sont des personnes à « réinsérer » ; pas à « réorienter professionnellement », non, mais à « réinsérer » ; l'exercice de la prostitution serait incompatible avec l'appartenance à une société « normale ». D'ailleurs, remarquent les putophobes, la plupart des putes a subi des violences sexuelles dans son enfance ou a manqué de repères... Alors je ne vais pas nier que la vie d'une pute est souvent remplie de beaucoup de souffrances. Personne ne nie non plus qu'en tant que LGBT, la vie est plus difficile que pour les hétéros. Mais ces souffrances, ces difficultés, sont elles imputables au seul fait que l'on couche avec des personnes de notre sexe, ou contre de l'argent, ou résultent-elles de la manière dont cette société si épanouie nous considère ?
« Mais c'est puisqu'on vous dit que c'est pour votre BIEN et qu'on vous aime ! »
Quoi qu'il en soit, et nous nous en réjouissons, les personnes qui se permettent ainsi de parler de nous, de disséquer nos vies, ne sont ni homophobes, ni putophobes : Frigide Barjot à plein d'amis homosexuels ! Les abolitionnistes également connaissent plein de putes, et peuvent ainsi bien témoigner de leurs problèmes mentaux ; et, si toutes ces personnes se permettent de parler pour nous, c'est qu'elles représentent la majorité silencieuse. Elles arrivent même généralement à trouver un ou deux pédés ou une ou deux putes ayant intériorisé le stigma et la haine d'elleux-mêmes jusqu'à aller dans leur sens : vous avez Xavier Bongibault, nous avons Rosen Hicher... Des témoignages individuels, toujours des témoignages individuels, cautions pathétiques au refus de l'égalité des droits, et sur lesquels se fondent nos ennemis pour justifier qu'ils connaissent mieux le sujet que nous et savent donc mieux que nous ce qui est bon pour nous.
Je ne pense pas que cette liste soit exhaustive, mais ces quelques éléments vous permettront peut-être de mieux cerner le parallèle entre la situation des personnes LGBT et celle des travailleurSEs du sexe. Alors on me rétorquera que ce n'est pas pareil, car l'homosexualité, ce n'est pas un choix ; c'est une orientation sexuelle ; pute, c'est un métier qu'on choisit (plus ou moins ; en tout cas, ce n'est pas une identité). Certes ; mais si on le choisit, on ne choisit pas de pouvoir ou pas le faire. De même que certaines personnes ne pourraient pas coucher avec quelqu'un du même sexe, d'autres ne peuvent coucher avec quelqu'un en échange d'argent. D'autres le peuvent, sans en sortir nécessairement traumatisées. Et c'est cette possibilité de faire usage de leur corps qui leur est refusée.
Par ailleurs, on ne peut opposer ces combats, et notamment parce qu'être L,G, B ou T n'est pas incompatible avec le fait d'être travailleurSEs du sexe. Alors certes, de même qu'une partie des femmes de manière générale, une partie des LGBT se prostitue faute d'un meilleur accès au monde de l'emploi, ou parce qu'il faut bien survivre lorsqu'on a été virés de chez « un papa une maman ». Mais c'est justement pour ça que ces combats ne sont en rien opposables, mais complémentaires. Car en attendant ce monde idéal où seulEs se prostitueront celles et ceux qui ont préféré ce choix à un autre possible, l'absence de droits des putes met des personnes déjà vulnérables encore plus en danger, et la stigmatisation et la violence dont sont victimes les putes s'ajoutent à celles dont sont déjà victimes les personnes LGBT.
Pour une partie du mouvement LGBT, tout ce que je viens de dire est déjà évident. Une autre partie estime que ces deux luttes n'ont rien à voir. J'espère avoir réussi à les convaincre du contraire (si ce n'est pas le cas, vous pouvez également aller voir également ces deux textes de Thierry Schaffauser : Sortir du placard de la prostitution et Sexworkers, a queer perspective. Une autre partie, elle, est clairement putophobe, même si elle refuse de le reconnaître et ne prétend agir que pour le bien de la société : en guise de conclusion, j'invite donc celles-cià expliquer comment il se fait, alors, que leurs discours soient si similaires à ceux des homophobes.
Notes
[1] "Si le fait de se prostituer est officiellement légal, un certain nombre de lois nous pénalise cependant. La loi sur le racolage est une atteinte à notre liberté de circulation. Les lois sur le proxénétisme nous empêchent notamment de louer un appartement (puisque notre propriétaire peut être considéré comme notre proxénète), de bénéficier de tout service qui nous aiderait à exercer notre activité (un ami qui nous emmènerait même gratuitement chez un client en voiture, aussi bien qu'un garde du corps que l'on engagerait, sont considérés comme proxénètes), et même d'avoir une vie privée, puisque toute personne fréquentant régulièrement une ou plusieurs travailleurSEs du sexe sans pouvoir justifier de revenus correspondant à son train de vie est également considéré comme nous exploitant."
Source: http://www.minorites.org/index.php/1-accueil.html, article:
Homophobie, putophobie, même combat ?
par Morgane Merteuil - Samedi 12 janvier 2013
Par ailleurs voir sur L&L l'article de Me Iacub: http://www.lumieres-et-liberte.org/article-14692107-6.html#anchorComment