Réformes : le péché originel de François Hollande
Le FN au plus haut, la confiance au plus bas, le chef de l'État paie un retard à l'allumage des réformes quand nos voisins entrevoient le bout du tunnel.
Autour de lui, il y a ceux qui, sous le couvert de l'anonymat, le décrivent "perdu", "ne sachant plus comment retisser le lien avec le peuple". Et ceux qui le disent "déterminé". Parmi ces derniers, son vieil ami François Rebsamen, ministre du Travail : "François met la pression sur tous les ministres pour obtenir le plus vite possible des résultats." Des résultats... alors qu'ils étaient déjà promis fin 2013. Pas étonnant que la Commission de Bruxelles doute de la trajectoire financière de la France... La France reste à la traîne d'un peloton européen qui retrouve peu à peu des couleurs. Au point que Bruxelles vient de retirer six pays (l'Autriche, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, la République tchèque, la Slovaquie) de la procédure de déficit excessif.
La France, elle, paie deux ans de zigzags, de semi-réformes : les retraites, la formation professionnelle. Deux ans de contradictions : se faire le champion du "choc de simplification" et, simple exemple, imposer aux propriétaires, aux notaires et aux agences immobilières ce monstre administratif qu'est la loi Alur. Deux ans de ratés dans la communication gouvernementale et d'erreurs sur les personnes : Jean-Marc Ayrault, qui n'avait pas l'autorité nécessaire pour tenir son équipe gouvernementale, Harlem Désir, inexistant à la tête du parti, Bruno Le Roux, incapable de gérer les turbulences du groupe PS à l'Assemblée nationale, sans compter une tripotée de ministres zombies qui ne seront jamais sortis de l'anonymat avant de quitter la place, généralement sans un coup de fil... "Il y a des ministres qui n'auront jamais eu de tête-à-tête avec le président en deux ans", s'étonne l'un des membres actuels du gouvernement Valls.
"Un quinquennat, c'est un 100 mètres" (Julien Dray)
"Un quinquennat, c'est un 100 mètres. Si vous ratez le départ, le retard ne se rattrape plus. Sarkozy a perdu du temps, de la même façon, sur ses deux premières années", analyse Julien Dray, qui fut longtemps un compagnon de route de François Hollande. Il figure au rang des nombreux déçus du "hollandisme", cette façon de présider en souriant mais sans tenir compte le moins du monde de l'avis des conseillers ou des ministres. "François Hollande a longtemps refusé de nous voir en groupe, préférant les tête-à-tête. Parce qu'il redoutait que nous ne débattions de ses choix", confie l'un des ministres de l'actuel gouvernement.
En convertissant les socialistes à une politique de l'offre (qui n'est pas essentiellement différente d'une politique libérale), François Hollande s'est coupé de la base électorale du PS, laissant alors toute la place au populisme du Front national, lequel a repris à son compte la promesse d'un État protecteur et généreux. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il s'est accentué de façon majeure. La sociologie du vote du 25 mai en témoigne : chez les ouvriers qui font l'effort d'aller aux urnes, 45 % glissent un bulletin favorable au FN quand ils ne sont plus que 8 % à voter socialiste, selon une enquête Ipsos*. Chez les employés, c'est à peine mieux : 16 % pour le PS, contre 38 % en faveur du Front national. Les dernières initiatives du président Hollande, tels l'abaissement des impôts sur les bas salaires ou les aménagements pour les retraites modestes, n'ont pas inversé cette tendance lourde constatée depuis plus d'une décennie.
"Sauver Hollande malgré lui" (Laurent Baumel)
"C'est quoi, la gauche, aujourd'hui ?" s'interroge à voix haute Julien Dray, et avec lui les 41 députés PS qui ont préféré s'abstenir plutôt que soutenir le plan des 50 milliards d'économies sur trois ans proposé par Valls. Ils se revendiquent aujourd'hui une petite centaine à se réunir chaque mardi, à 9 h 30, afin de préparer des amendements qui, selon l'expression du député Laurent Baumel, l'un des chefs de file des frondeurs, doivent "sauver François Hollande malgré lui en changeant de politique". "Ils sont au mieux une vingtaine", tempère l'Élysée.
L'hypothèse d'un nouveau 21 avril, soit l'élimination du candidat Hollande dès le premier tour en 2017, est dans toutes les têtes chez les socialistes. "Nous nous battrons lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative, prévient Laurent Baumel. Le crédit d'impôt doit être reciblé, les montants alloués aux entreprises diminués au profit du pouvoir d'achat et des collectivités locales. Il faudra aussi remettre sur la table la réforme fiscale."
Si les rebelles parviennent à leur but, François Hollande mettra-t-il à exécution la menace de la dissolution ? "Je ne le crois pas, car ce n'est pas dans son intérêt et on peut raisonnablement penser que son intérêt est sa boussole, reprend Baumel. S'il dissout l'Assemblée, il ne fait point de doute que la droite reviendra au pouvoir. Refaire le coup de la cohabitation, c'est une ficelle un peu trop grosse et c'est pour cela que ça ne marchera pas. En outre, la cohabitation en 1986 avait été imposée à Mitterrand, ce n'était pas son choix. La cohabitation de François Hollande serait volontaire. Il perdrait immédiatement son dernier crédit moral et il ne serait pas en mesure de mener la campagne en 2017. Et puis la comparaison s'arrête là : Tonton avait, pour la gauche, une stature de père de la nation que François Hollande n'a pas su imposer en deux ans."
Un retard à l'allumage des réformes
"Durant la campagne, François Hollande m'a toujours dit : Ce sera très difficile", confie Manuel Valls, qui reconnaît des erreurs à l'allumage : "Pourquoi, au lendemain des élections législatives, ne nous saisissons-nous pas du rapport de Didier Migaud sur l'état des finances publiques ? Pourquoi ne nous saisissons-nous pas de la situation du pays sur le plan industriel et économique à la fois pour rappeler les responsabilités de Nicolas Sarkozy et de la majorité sortante mais aussi pour réorienter ? Nous perdons plusieurs mois qui auraient été nécessaires pour expliquer..."
C'est la chute finale pour François Hollande dans les sondages, le chef de l'État obèse atteint le plancher des 3% d'opinions favorables et 15% chez les sympathisants socialistes. La déroute, c'est maintenant.