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Jean Sévillia : l'histoire, une passion française !

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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Alors que son dernier livre, Histoire passionnée de la France, connaît un très grand succès, Jean Sévillia revient sur le goût des Français pour leur passé qu'il attribue a un besoin de repères et d'identité dans un monde globalisé.

Votre dernier livre, Histoire passionnée de la France, paru chez Perrin, est un succès: Comment expliquez-vous cette passion des Français pour leur histoire? Dans un monde qui change très vite, l'histoire est-elle un repère?

L'histoire de France est mal enseignée à l'école, aujourd'hui, et toute la culture médiatiquement dominante tend à déconstruire le discours national-républicain. Or dans une France bousculée, chahutée, mélangée, se manifeste une formidable aspiration aux racines, qui produit un intérêt très fort pour l'histoire. Celle-ci répond donc à un manque. C'est le paradoxe de notre époque: notre société perd ses repères, mais les cherche en même temps. Contre tous les discours appelant à rompre avec le passé, les Français éprouvent une véritable passion pour l'héritage des siècles: cela se traduit par le succès des Journées du patrimoine, par la relative bonne santé de l'édition d'histoire ou par l'engouement suscité par un spectacle comme «la Nuit aux Invalides».

L'enseignement de l'histoire souffre de choix pédagogiques qui ont été opérés dans la foulée de mai 1968.

Votre livre est un peu un contre-manuel par rapport à des programmes scolaires que vous jugez tronqués et biaisés. Que reprochez-vous exactement à l'enseignement de l'histoire tel qu'il est pratiqué dans les écoles françaises?

L'enseignement de l'histoire souffre de choix pédagogiques qui ont été opérés dans la foulée de mai 1968. Ils en portent la trace idéologique. Dans les classes, on n'étudie plus le passé selon l'ordre chronologique mais selon une organisation thématique, et on ne fait plus une histoire nationale, mais une histoire transversale, une histoire des «rencontres entre les peuples», qui passe à la trappe les dates, les faits, les grands hommes. L'idée directrice, c'est que l'histoire n'a pas de frontières. Mais même si les civilisations et les peuples ont toujours eu des contacts, des échanges, prendre la nation comme objet historique autonome, sans isoler cet objet de son contexte, me parait une démarche scientifiquement légitime. C'est pour répondre à cette exigence que j'ai écrit une histoire de France classique, une synthèse didactique à l'intention du grand public, avec un séquençage par grandes périodes, avec les grandes dates, les grands personnages…

Vous dénoncez l'idéologie des programmes…mais tout enseignement de l'histoire, même classique n'est-il pas toujours instrumentalisé à des fins idéologiques?

Tout discours sur le passé est un discours sur soi, forcément porteur d'une vision de la société, d'une vision de l'homme. Mais on peut faire de l'histoire sans la déformer par l'idéologie. Moi, je pars des faits. Une date, un événement, un personnage qui a dominé son époque, un courant d'idées, ce sont des faits historiques. Les ignorer, c'est déformer la réalité.

L'historiquement correct, c'est cette stratification de préjugés idéologiques qui conduisent à juger le passé selon les critères du présent. C'est une histoire écrite par les gens du présent pour les gens du présent.

Vous parlez d' «historiquement correct». Que signifie cette expression? Y aurait-il un «passé unique» comme il existe une «pensée unique»?

L'historiquement correct, c'est le politiquement correct appliqué à l'histoire. Sans doute le phénomène existe-t-il depuis longtemps sous d'autres noms, mais il a tendance à s'accélérer. On observe un phénomène de stratification idéologique. L'histoire du XIXème siècle, au nom des principes républicains, véhiculait des préjugés contre le monde médiéval et la monarchie classique. Puis l'histoire marxiste, déjà importante entre-deux-guerres et devenue quasiment hégémonique dans les années 50-60, a imposé une lecture du passé reposant sur l'antifascisme et sur l'analyse des faits économiques et sociaux à partir du prisme de la lutte des classes. L'anticolonialisme, à la même époque, a enclenché le mouvement conduisant à écrire l'histoire de l'aventure coloniale en termes manichéens. Viendra ensuite l'antiracisme et le droit-de-l'hommisme. A chaque fois, ce sont des relectures du passé à l'aune de l'idéologie dominante. L'historiquement correct, c'est cette stratification de préjugés idéologiques qui conduisent à juger le passé selon les critères du présent. C'est une histoire écrite par les gens du présent pour les gens du présent. Ce n'est pas une démarche scientifique, une démarche de connaissance, c'est un procédé idéologique dans la mesure où il consiste à instrumentaliser le passé pour lui faire dire quelque chose pour aujourd'hui. Par exemple, projeter les catégories modernes du racisme qui s'oppose à la tolérance pour évoquer l'Inquisition, ou du multiculturalisme actuellement en vogue pour juger la colonisation, c'est succomber à l'anachronisme, qui est le péché majeur de l'historien.

La Révolution fait partie de l'histoire de France. En prendre acte n'interdit pas de montrer la contradiction interne d'une Révolution qui a violé les principes qu'elle a proclamés.

Vous avez marqué à plusieurs reprises votre hostilité à la Révolution française, notamment en participant au Livre noir de la Révolution française (Cerf). Pourquoi?

La Révolution française est considérée comme le moment fondateur de la République, de la démocratie et des droits de l'homme, et comme telle est devenue une vache sacrée, un tabou auquel on ne peut toucher. Or si on regarde les faits, on s'aperçoit que, pendant la Révolution, le principe de la souveraineté populaire, censé être à la base de cette Révolution, a été méprisé en permanence: le suffrage est censitaire, et quand il ne va pas dans le bon sens, les minorités activistes provoquent des coups d'Etat afin d'imposer à l'Assemblée un cours politique radical. Tous les droits de l'homme proclamés en 1789 ont de même été violés pendant la Révolution, du droit de propriété au droit de résister à l'oppression, en passant par la liberté de penser. La Révolution fait partie de l'histoire de France. En prendre acte n'interdit pas de montrer la contradiction interne d'une Révolution qui a violé les principes qu'elle a proclamés. Il faut se demander pourquoi le chemin vers la démocratie, en France, a été pris dans un contexte si violent, alors que d'autres pays ont pris le chemin de la modernité sans Terreur, sans dictature, sans guerre civile.

Vous insistez sur la place de l'histoire dans la construction de l'identité. Comment définiriez-vous l'identité française?

L'identité française recouvre des identités multiples et des mémoires particulières. Mais le tronc originel est celui d'un peuple ancien, doté d'un territoire dont le dessin date d'environ quinze siècles, et dont l'unité a été forgée par les rois, puis transmise aux régimes qui ont succédé à la monarchie. Ce lien entre l'Etat et le territoire est déterminant: nous sommes un pays où l'Etat a joué un rôle moteur et structurant dans la construction de l'identité nationale. Nous sommes enfin une nation de tradition chrétienne: les Lumières, la Révolution ou la laïcité moderne n'ont pas aboli les fondements chrétiens qui sous-tendent et irriguent l'anthropologie contenue dans la culture française. Du moins jusqu'à une date récente.

La France se pensait comme une grande nation, or elle est devenue une nation moyenne, dont les élites n'aiment plus se revendiquer, au nom de l'idéal d'un monde ouvert et mobile.

L'histoire mémorielle et le culte de la repentance sont-ils responsables, selon vous, de cette «identité malheureuse» décrite par Alain Finkielkraut? Pourquoi la France ne s'aime-t-elle pas?

A mon sens, la manie de la repentance est plus une conséquence qu'une cause. C'est parce que la France ne s'aime plus qu'elle s'abandonne à la repentance. La France se pensait comme une grande nation, or elle est devenue une nation moyenne, dont les élites n'aiment plus se revendiquer, au nom de l'idéal d'un monde ouvert et mobile. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, pourtant, le patriotisme restait vif. On paye en fait les fractures françaises de l'Occupation, le poids du parti communiste chez les intellectuels d'après-guerre, les débats de la décolonisation. Des générations d'intellectuels ont répété que la France était un principe caduc, assimilant le patriotisme au fascisme. Et puis il y a eu l'européisme, cette idée qui consiste à voir dans l'Europe un moyen d'effacer les nations, au motif que «les nations, c'est la guerre». Or c'est exactement l'inverse: c'est quand on cherche à effacer les nations qu'on risque de provoquer un choc en retour. Le cadre national est toujours pertinent, à condition de ne pas le considérer isolément. La France doit travailler en coopération avec les autres pays européens sur les intérêts qu'elle a en commun avec eux. Mais il existe des intérêts propres à la France qu'elle a le droit de défendre en toute légitimité.

L'histoire peut être un moyen de lutter contre le communautarisme.

Vous vous êtes rendu à un colloque organisé par «Fils de France», une association dirigée par Camel Bechikh, qui regroupe des «musulmans patriotes». Quelle est la place de l'islam dans l'histoire de France?

Il n'y a pas de place de l'islam dans l'histoire de France, hormis à travers le cadre colonial, aujourd'hui diabolisé. Néanmoins, dans ce cadre, des relations fortes ont pu se nouer entre des musulmans et la France, comme le montre l'exemple d'Abd el-Kader ou des troupes d'Afrique qui ont servi dans l'armée française pendant les deux guerres, et notamment dans les armées qui ont libéré le territoire national en 1944-1945. L'histoire peut être un moyen de lutter contre le communautarisme. L'histoire de France est riche, ouverte. Mais mentir ne résout pas les problèmes. Si on apprend aux jeunes issus de l'immigration uniquement l'usage de la torture en Algérie par l'armée française, et sans dire dans quel contexte cela a eu lieu, on ne risque pas de leur faire aimer notre pays.

Oui, mais peut-on pour autant leur faire apprendre «nos ancêtres les Gaulois»?

Il ne s'agit pas de faire croire aux jeunes issus de l'immigration que leurs ancêtres étaient des Gaulois, mais de leur enseigner qu'ils vivent dans un pays dont le fond de la population avait pour ancêtres les Gaulois. Il faut leur faire comprendre qu'il s'agit d'une filiation spirituelle et non pas charnelle. Qu'on entre dans l'histoire d'un pays comme on entre dans une famille dont on accepte le passé.

Jean Sévillia : l'histoire, une passion française !

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