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Cuba vit deja dans l’apres-Castro

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«À Cuba, tout est à vendre, et tout le monde se vend.» Pour Hansel, serveur dans un restaurant privé flambant neuf du quartier Vedado, à La Havane, c'est l'heure de la pause. Avant de reprendre son service, ce jeune Havanais de 25 ans, au teint hâlé et aux cheveux d'un noir de jais, nous expose brièvement ce qu'il considère être des «changements radicaux» qui agitent actuellement la société cubaine. Ce qui semble pour certains être une véritable révolution sociale, aussi étonnante qu'inattendue, a été amorcé par l'arrivée de Raúl Castro, le frère cadet de Fidel Castro, à la tête de l'État depuis 2008. Les réformes entamées par son gouvernement, autorisant la création d'entreprises par des particuliers, ont été suivies par le lancement d'une myriade d'affaires privées partout à Cuba, et surtout à La Havane. Restaurants, bars, guest- houses pour touristes, salons de beauté ou de toilettage pour chiens, salles de sport, garages de fortune... Autant de petits métiers constituant une occasion inespérée pour ce pays qui a ainsi entamé une transition économique, glissant d'une économie parfaitement étatique vers un modèle plus mixte... plus «libéral». Et, plus important encore, cette vague de «privatisation» a participé à changer les mentalités, plus particulièrement parmi la génération née et élevée pendant les années 1990, comme Hansel. Les Cubains peuvent maintenant posséder et vendre leurs biens presque comme ils l'entendent, et les restrictions pour les déplacements à l'étranger ont été levées. Encouragés par ces nouvelles lois, beaucoup d'expatriés ont commencé à réinvestir dans leur pays natal. «J'ai passé quinze ans en Espagne, raconte Miguel, mais la situation économique est devenue catastrophique. Maintenant, c'est presque plus difficile de s'en sortir là-bas qu'ici, à Cuba.» Lui et son cousin ont récemment réuni leurs économies pour acheter une voiture et la conduire comme taxi à La Havane. Miguel n'est pas un cas isolé: depuis peu, Cuba assiste au retour de celles et ceux qui avaient quitté le pays des années auparavant. Après des décennies passées sous le régime communiste, aggravées par un

embargo strict imposé par les États-Unis, la chute de l'URSS avait plombé l'économie du pays qui reposait entièrement sur les aides financières perfusées par l'Est. Le souvenir de cette période d'austérité reste très présent dans l'esprit des Cubains, surtout chez ceux qui sont trop jeunes pour avoir connu la brève époque de prospérité soviétique. En décidant d'ouvrir ses portes aux visiteurs étrangers, Cuba s'est transformé en l'une des destinations majeures du tourisme sexuel. Un contrecoup malheureux mais nécessaire pour redresser la barre d'une économie en faillite. L'État, qui avait pour habitude de traiter les homosexuels comme des «malades», les forçant à quitter le pays ou allant même jusqu'à les envoyer dans des «camps correctionnels», fut contraint de s'accommoder de l'ouverture de clubs gays et travestis extrêmement lucratifs.

Augmentation des «sugar daddies»

En parallèle, d'importants réseaux de prostitution-souvent juvénile-se sont développés. Légalement, à Cuba, la majorité sexuelle est à 16 ans, mais beaucoup de jeunes filles de 13 ou 14 ans se retrouvent à faire le trottoir. Prolongation logique de ce phénomène, l'augmentation de ce que l'on appelle les «sugar daddies» (des hommes riches entretenant une jeune fille): «Mon “fiancé” (novio) m'envoyait 800 euros par mois et venait me voir environ deux fois par an, raconte Annabela, 25 ans, qui débuta une relation avec un touriste allemand de 62 ans à l'âge de 15 ans, et avec qui elle a aujourd'hui un fils de 5 ans. Il apportait des cadeaux et m'emmenait dans de beaux hôtels. Depuis quelques années, je reçois de moins en moins d'argent... Il me dit que ça ne va pas fort non plus, là-bas en Europe.» Ce genre de situation n'a rien d'extraordinaire ici à Cuba, où une majorité de femmes mènent une double vie entre leur petit ami «local» et leur novio qui leur rend visite une ou deux fois par an pour «prendre du bon temps». Restée inaccessible pendant des années, la technologie moderne fait peu à peu son entrée sur le territoire cubain, toujours sous l'étroite surveillance - et le contrôle - de l'État. «Il y a quelques années, je n'aurais jamais imaginé avoir un jour un téléphone portable, avoue Lucia, une jeune fille d'une famille de la classe moyenne cubaine. Mon frère m'en a rapporté un de Miami, mais je ne l'utilise que pour écouter de la musique ou envoyer des textos à mon petit ami. Les appels coûtent encore trop cher.» Ces nouvelles réformes, qui modifient les importations cubaines, concernent également le secteur automobile. La possibilité de faire venir des pièces détachées est une véritable aubaine pour les Cubains ne pouvant s'offrir un véhicule neuf. Les casses du pays regorgent de vieilles voitures américaines des années 50 et 60. Aujourd'hui, les Plymouth, les Ford et les Dodge reconverties en taxis clandestins sillonnent à nouveau les rues de la capitale aux côtés des modernes japonaises et coréennes... À Cuba, la frontière trouble qui sépare le légal de l'illégal a toujours permis de créer de l'emploi. Mais, pour beaucoup de Cubains, les réformes engagées ne sont guère suffisantes, la paupérisation s'accroît malgré tout et la société reste paralysée. «Si nous allons trop vite, nous sommes voués à l'échec» ̧ répond à ses détracteurs Raúl Castro qui leur assure que «le processus se poursuivra sans hâte, mais sans pause». Des grands chantiers attendent encore le gouvernement, parmi lesquels l'unification de la devise monétaire du pays. Quiconque se rend à La Havane aujourd'hui sera frappé par l'étonnant contraste qu'il y trouvera. Le manque d'harmonie entre une ville qui porte encore les stigmates de l'ère soviétique et des habitants profitant de leurs libertés récemment acquises. Un paysage étrange mais fascinant qui illustre bien la situation complexe dont Cuba tente, tant bien que mal, de s'extirper. En attendant que la dynastie castriste s'éteigne doucement...

Cuba vit deja dans l’apres-Castro

Source, journal ou site Internet : Le Figaro
Date : 30 mai 2014
Auteur : Faisal Amin Khan, Sarah Caron, Vincent Jolly


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