Ecrivain et poète chinois, Liao Yiwu a été emprisonné en Chine, pendant quatre années, pour avoir dénoncé la répression des manifestations de Tiananmen en 1989. A l'occasion du 25e anniversaire de ces événements, il évoque avec Marianne la question des libertés, mais aussi la situation sociale en Chine. Il s'étonne que "ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy n'aient reçu des contestataires du pouvoir chinois".
Marianne : Vous avez passé quatre ans en prison, de 1990 à 1994, pour avoir écrit un poème sur la répression des manifestations étudiantes. Quatre années dont vous avez fait le récit dans un précédent ouvrage. Le 4 juin sera le 25e anniversaire du mouvement de la place Tiananmen. A cette occasion, Pékin semble renforcer son contrôle des dissidents chinois. Comment jugez-vous la pression actuelle exercée sur la dissidence ?
Liao Yiwu : Pour le dixième anniversaire de la révolte de Tiananmen, en 1999, ce n’était pas aussi verrouillé. A l’époque, j’ai récité l’un de mes poèmes, Le grand massacre, sur Radio free Asia. Les policiers étaient en bas de chez moi, mais ils ne sont pas venus m’arrêter. Comme c’était pour une radio étrangère, ils ont laissé faire, c’est un signe qui montre qu’à l’époque le pouvoir n’était pas réellement nerveux. Cette année, ils le sont : il y a eu par exemple une réunion de dissidents chez un professeur d’art cinématographique. Il y avait plusieurs dizaines de gens qui venaient discuter notamment de l’anniversaire du 4 juin. Mais ce n’était pas une réunion publique. Des avocats, des écrivains, qui participaient à cette réunion ont tous été arrêtés parmi lesquels beaucoup de mes amis. Egalement la célèbre blogueuse Gao Yu. Les autorités ont ensuite fait toute une mise en scène où on la voyait se repentir. Mais ces arrestations se répétent chaque jour, ce qui montre la fébrilité du pouvoir chinois à l’approche de cet anniversaire mais aussi que, pour le gouvernement chinois, le peuple est devenu un ennemi.
Vingt-cinq ans après, les participants au mouvement sont encore surveillés régulièrement ?
La police suit les gens à la trace par leur portable et la police s’est rendue compte que ce soir- là, tous le gens qu’ils suivaient étaient au même endroit. C’est pour cela que quand des dissidents se rencontrent, la première des choses à faire c’est d’enlever la batterie du portable. Mais cette année, la répression ne se limite pas aux dissidents, ils arrêtent tout ce qui bouge.
Le pouvoir chinois doit-il vraiment craindre des célébrations ou des manifestations à l'occasion du 25e anniversaire de Tiananmen ?
On ne peut faire que des supputations. Forcément, certains feront des choses, mais c’est plutôt l’attitude des dirigeants étrangers qui m’interpelle. En 1999, quand des dissidents venaient à Paris ou dans d’autres capitales, ils étaient reçus par les dirigeants. François Mitterrand a reçu des dissidents en 1999. Ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy n’ont reçu des contestataires du pouvoir chinois. Jamais. En revanche, Xi Jinping est reçu avec les honneurs. C’est un changement total de comportement.
Cette nervosité ne prouve-t-elle pas que le 4 juin reste un événement important qui n’a toujours pas été digéré par le pouvoir chinois et qu’il reste un traumatisme politique ?
On peut effectivement voir ça comme ça. La tension autour de cet anniversaire montre surtout que peu de choses ont changé depuis : la censure, la tension, les atteintes à la liberté. Tout cela est intact et cela reste un événement dont on parle beaucoup. Donc la réaction des autorités est à la hauteur de l’événement.
“Le reste de la planète a besoin que l’usine du monde reste productive”
Les nouvelles générations chinoises savent-elles ce qu’il s’est passé en juin 1989 ?
Dans les générations nées après 1990, pratiquement personne ne sait, ni ne s’intéresse, à ce qu’il s’est passé à l’époque. Mais c’est un processus lent... En étant optimiste, je pense qu’un jour la mémoire de ces événements ressurgira grâce aux écrivains, aux historiens, et que ces choses se diffuseront. Notre travail c’est de préserver la mémoire de ces événements que le gouvernement cherche à effacer. Par exemple, mes livres se trouvent dans des circuits de distribution « souterrains ». Beaucoup de voyageurs, qui viennent de Taïwan notamment, apportent des livres interdits en Chine, d’écrivains, penseurs, de dissidents ou même du dalaï- lama. On peut aussi en trouver à Hong-Kong même si c’est un peu plus compliqué depuis que la Chine a remis la main dessus. Mais le circuit le plus important, c’est le piratage sur Internet. Beaucoup de livres ou documents sont accessibles sur les réseaux sociaux ou des gens qui s’expriment via Youtube.
Le pouvoir chinois n’est-il pas désormais plus préoccupé par les attentats au Xinjiang ou la stabilité sociale du pays, que par la dissidence ?
Au contraire, je pense que ça les arrange. Plus ça bouge au Xinjiang, plus le pouvoir verrouille partout. Ils envoient de plus en plus de militaires au Xinjiang et au Tibet. Il y a une logique bureaucratique assez cynique derrière tout ça. Les bureaucrates ne peuvent pas demander d’argent et de pouvoir si le pays est calme. Quand ça bouge, ils demandent des renforts militaires et budgétaires pour verrouiller. C’est également valable pour Xi Jinping qui en faisant valoir les risques terroristes a obtenu des pouvoirs policiers et militaires que même Deng Xiaoping n’avait pas pu obtenir, en créant par exemple un comité de sûreté nationale sous ses ordres. Chaque fois qu’un nouveau dirigeant arrive à la tête du pouvoir, les journalistes occidentaux débattent dans tous les sens pour savoir comment est ce nouveau dirigeant. En fait, c’est toujours pire.
Dans votre livre La Chine d’en bas, vous faîtes une description de la Chine invisible, bien loin du miracle économique chinois. Est-ce que vous diriez que la situation sociale s’est améliorée depuis cette période ?
En Chine, l’atmosphère est catastrophique au sens figuré et au sens propre. On sait que l’air est pollué, que les nappes phréatiques sont polluées, que l’espérance de vie baisse. On a vu les cas de cancer augmenter de 400% dans certaines régions. C’est la face cachée de la course au miracle économique. La Chine est la plus grande poubelle du monde. Et le gouvernement arrête les gens qui manifestent contre la pollution. Dans tous mes récits, il y a ce sentiment d’instabilité sociale qui affleure. Il n’y a pas une journée sans grève massive en Chine. Le gouvernement s’accommode de cette situation et le reste de la planète a besoin que l’usine du monde reste productive. Une crise sociale ou politique chinoise aurait des conséquences terribles sur le reste du monde...
Au moment des « événements » de Tiananmen, la répression policière a été terrible. Récemment le ministre des Affaires étrangères français a annoncé — très sérieusement — que des policiers chinois viendraient à Paris pour épauler les policiers français dans les quartiers fortement fréquentés par les touristes chinois et rassurer ces derniers. Qu’est ce que cela vous inspire ?
C’est une affaire incroyable. Est-ce que la France est devenue à ce point misérable qu’elle doit en appeler au renfort des policiers chinois pour arrêter les pickpockets ? Pour les Chinois, c’est une nouvelle énorme. Ils se disent : « C’est nous qui allons remettre l’ordre dans Paris ». Tout ça pour Hermès, Vuitton et Dior. Sans compter qu’il y a de grandes chances que les Chinois n’envoient pas seulement des policiers, mais des agents de renseignement pour voir comment fonctionne la police française. Fera-t-on venir ensuite l’armée chinoise pour assister l’armée française ? Des pompiers aussi peut-être ? Des médecins ? Est-ce que vous imaginez que l’inverse se produise, ce serait absolument inimaginable d’envoyer des policiers français pour aider la police chinoise à assurer la répression. Cela dit bien à quel point la France est aujourd'hui dépendante du tourisme et de l’économie chinoise
La Chine d'en bas, Liao Yiwu, 13e Note éditions
Source, journal ou site Internet : Marianne
Date : 1er juin 2014
Auteur : propos recueillis par Régis Soubrouillard
L'écrivain Liao Yiwu raconte l'enfer des prisons chinoises
Né en 1958, Liao Yiwu, qui vit depuis 2011 à Berlin, a été jeté en prison en 1990 pour avoir écrit Massacre, un long poème sur le drame de la place Tiananmen. Il a passé quatre années terr...