Coup de gueule d'Alain Lambert, en fin de semaine dernière. Le président de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) menace de quitter ce poste pour protester contre le peu d'avancées concrètes dans le domaine du "choc de simplification" prôné par François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Déjà auteur d'un rapport édifiant de la mission de lutte contre l'inflation normative qui pèse sur les collectivités locales en mars dernier, Alain Lambert "désespère" et "manie la dérision pour ne pas tomber fou face à l'absurdité de certains textes"... Interview.
Source: Propos recueillis par Marie Simon, L'Express
Au-delà de l'affichage politique, le "choc de simplification" ne porte-t-il aucun fruit?
La volonté politique est incontestable, contrairement au précédent gouvernement. François Hollande a évoqué un "choc de simplification", et
Jean-Marc Ayrault a émis une nouvelle circulaire le 17 juillet dernier, dans laquelle il évoquait un "gel de la réglementation". Mais à la dernière réunion de la CCEN que j'ai présidée ce jeudi,
personne ne semblait l'avoir lue! Disons, en termes diplomatiques, que les effets peinent à prendre leur envol, malgré les exhortations...
Remplacer un formulaire par trois formulaires, au nom de la "simplification"? C'est absurde!
C'est l'administration centrale qui est en cause. Elle ressemble à un grand appareil de production de normes qui aurait encore des textes à cracher
et que rien ne peut endiguer, alors qu'il faudrait un arrêt brusque. Chaque jour, les préfets reçoivent 320 pages de circulaires. Et chaque jour encore, un nouveau texte est pondu. Ce jeudi, nous
avons refusé un texte qui, au nom de la "simplification" du Code des marchés publics, proposait de remplacer un formulaire... par trois formulaires. Oui, trois. C'est absurde. La machine est
folle!
Avez-vous chiffré le coût de cette "machine folle" pour l'économie française?
Nous n'avons pas de statistiques précises sur les travaux qui ne sont pas réalisés à cause de ces normes. Par exemple quand des travaux ne sont pas
engagés dans le secteur du bâtiment en raison de normes trop strictes sur l'accessibilité. Mais des chiffres parlants ont été publiés. L'OCDE ou la Commission européenne établissent à 3 points de
PIB le coût de la complexité du droit en France, soient 60 milliards d'euros. A l'heure où l'on craint de devoir toucher au modèle social
français pour faire des économies, il y a là une réserve conséquente... Faire un colloque sur l'atonie de la croissance française ne sert à rien si on laisse le pays s'étouffer dans cette toile
d'araignée.
"Faire un colloque sur l'atonie de la croissance française ne sert à rien si on laisse le pays ficelé dans la toile
d'araignée des normes", dont la quantité et la (mauvaise) qualité alarment Alain Lambert, ex-ministre du Budget de Jean-Pierre Raffarin.
Par Prof Kuing:
L'administration et les technocrates ont produit des quantités phénoménales de normes absurdes. Quelques exemples.
N'est-ce qu'un problème de quantité de normes?
La dégradation de la qualité des textes est également invraisemblable. Dans un texte sur la qualité de l'air, nous avons trouvé des équations
mathématiques que seul un polytechnicien sait résoudre. Il n'y a que la dérision qui empêche de devenir fou... Les administrations rattachées au ministère de l'Ecologie sont parmi les
pires en la matière: leurs ingénieurs écrivent la loi comme un mode d'emploi d'appareil électronique. Celles des ministères des Affaires sociales et de l'Agriculture sont aussi de mauvais élèves,
alors qu'il n'y a aucun problème avec le ministère de la Justice: ce sont des juristes, ils savent écrire en langage juridique.
Il faut résister contre la tyrannie rampante de l'administration qui a perdu le sens de son rôle
Le fond du problème, c'est que ces administrations ont perdu le sens du rôle qui est le leur.
Elles ont le sentiment que la société doit s'adapter à elles, alors qu'elles devraient être au service de la société. Ceux qui étudient ou qui sont malins s'en sortent, certes, mais les autres?
J'y vois une tyrannie rampante contre laquelle nous avons le devoir de résister. Le corps politique est bien naïf quand il croit que l'administration est loyale: elle a perdu le réflexe
d'obéissance. Pire, elle est déloyale quand elle écrit que les collectivités "peuvent" payer. Alors qu'il s'agit d'une obligation de paiement dissimulée. En somme, c'est un renvoi de
facture bien peu honnête.
L'administration traîne des pieds... Mais que pouvez-vous faire pour accentuer la pression sur elle, pour mettre en oeuvre cette
"simplification"?
Outre nos réunions mensuelles du CCEN, il faut mettre en place un rendez-vous trimestriel au cours duquel nous examinerons les suites données à nos
recommandations dans les administrations. Si rien n'a été fait, nous alerterons le Premier ministre à ce sujet. Quant à sa circulaire du 17 juillet, laissons passer les vacances et nous verrons
si elle a un effet à la rentrée.
Par Alain LAMBERT