Les masques tombent et les fantasmes s'effacent: l'Arctique fond inexorablement, sans quenous n'ayons plus la main. L'heure
n'est plus au débat sur le fait de savor si c'est une mauvaisenouvelle pour la planète, tout le monde s'accordant à dire que la déglaciation de l'Arctique
estune catastrophe aux conséquences écologiques, économiques, politiques et géostratégiquesconsidérables pour les
siècles à venir. Mais ce n'est pas pour autant la fin du monde... Dansce bouleversement majeur en préparation, nous sommes souvent confrontés au
discoursenvironnementaliste d’ONGs bénéficiant de publics crédules à grands renforts de matraquagemédiatique pour
obtenir des financements. Capitalisant sur le pouvoir de l’ours blanc dansl’imaginaire collectif occidental elles tendent à souvent désinformer le grand
public dans un
déni coupable de la réalité : le développement de l’Arctique est invariablement inévitable.
Une dynamique inéluctable
Historiquement basés sur l’horizontalité géostratégique de nos planisphères, les équilibresmondiaux connus étaient valables
dans un monde où Russie et Canada étaient encore séparéspar un Arctique infranchissable par la mer ; dans un monde où Dubaï, Suez et Singapour ne sesentaient pas menacés par de lointains nouveaux marchés ; dans un monde où l’OPEC pensaitson cartel inébranlable ; dans un
monde où Chine et Japon ne se considéraient pas comme desEtats du « Proche-Arctique » comme on parle du Proche-Orient. Pourtant, chaque jour, lesspécialistes du secteur -dans un microcosme de plus en plus bruyant- sont confrontés à desévénements qui témoignent de cette
dynamique supportée par toutes les puissancesindustrielles de la planète. Dernier témoignage : le tournant inclusif des nations arctiques audernier sommet interministériel du Conseil Arctique, le 15 mai dernier dans la ville minière deKiruna (Laponie Suédoise). En
acceptant de donner le statut d’observateur permanent àChine, Japon, Corée du Sud, Singapour, Inde, et Italie, les nations arctiques ont entérinédéfinitivement la dynamique qui place l’Arctique au coeur de l’hémisphère nord ; donc aucoeur de la géopolitique mondiale à
terme.
L’exemple des hydrocarbures
Depuis l’appel à un moratoire sur les activités de Shell en Alaska lancé mi-février par CarolBrowner, ancienne conseillère de
Barack Obama au climat, et John Podesta, ancien directeurde son cabinet de transition —aujourd’hui lobbyistes sur K Street— nombre de journalistespourtant bien intentionnés sont malheureusement tombés dans le piège d’une « pause » dansle développement Arctique au rythme
des actions coup de poings de Greenpeace. La vérité estque l’Arctique monolithique tel qu’il est quasi-exclusivement dépeint dans les medias n’existenaturellement pas. Il existe des Arctiques, dans lesquels la confiance populaire dans ledéveloppement local passe par
l’investissement dans l’innovation à travers la R&D techniqueet la prospective géoéconomique et politique. C’est ainsi qu’à l’inverse de la politique
deslobbys à l’américaine, le gouvernement fédéral canadien ouvrait dans le même temps denouvelles concessions
pétrolières aux enchères dans l’archipel à l’extrême nord du Nunavut(Baffin, Cameron), en osant appeler publiquement la recherche privée à l’aide
pourdéterminer les nouvelles concessions à ouvrir en fonction de leur profitabilité et attractivitéestimée.
L'enjeu politique du pétrole
Plus près de chez nous, toujours au printemps dernier, le Directorat Norvégien du Pétrole(NPD) annonçait avec fierté
l’augmentation de 15% des réserves offshore du pays grâce à uneestimation corrigée des ressources offshore en Mer de Barents. L’ancien gouvernementislandais annonçait lui son intention d’exploiter le pétrole offshore localisé aux confins nord-estde sa zone économique
exclusive, allant jusqu’à faire du sujet un enjeu clé des électionsgénérales du 27 avril qui virent la victoire ex-aequo des deux partis pro-offshore de
centredroit.
De même, à trois heures de vol de Reykjavík, l’intensification de l’exploitationpétrolière, gazière et minière était au coeur
de la campagne électorale au Groënland où l’on avoté le 12 mars, à une large majorité, en faveur d’un développement énergétique et miniervertueux à travers la candidature de la nouvelle Premier ministre sociale-démocrate AleqaHammond. Enfin, nous avons assisté
durant tout le printemps à l’interminable tournéeeurasiatique du président exécutif du numéro un énergétique russe Rosneft, Igor Sechin,également ancien Vice-Premier ministre de Dmitri Medvedev. Chinois, Coréens, Japonais,Malais, indiens...l’ancien Vice-Premier ministre
russe, après ses coups de maître avec le géantaméricain ExxonMobil et avec BP, trouva de nombreux interlocuteurs tant publics que privéspour financer un plan d’investissement pharaonique de 250 milliards d’euros sur 10 ans surl’ensemble de la façade arctique.
La prospective pour revitaliser la « Françarctique »
En France aussi nous sommes à un tournant : face à la multiplication des effets dubouleversement arctique, la grande famille
polaire française se politise et regarde à nouveauvers l’avenir. Sous l’impulsion d’une nouvelle generation de chercheurs embrassant l’outilprospectif à long-terme, il y a bon espoir que la décennie à venir s’apparente pour la France àun retour aux grandes heures
du développement scientifique et diplomatique en Arctique etAntarctique des années 50-60. Bien en retard sur nombre de nos concurrents, ses initiatives
semultiplient aujourd’hui. L’Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV) va officiellement ouvriraux Italiens en 2015
la base de recherche fondamentale AWIPEV qu’elle co-administre avecson homologue allemand (AWI) dans l’archipel du Svalbård. Par ailleurs, le Comité
NationalFrançais de la Recherche Arctique & Antarctique (CNFRA) et le think tank Le Cercle Polairegagnent en
puissance. Ce mois de juin, trois jeunes chercheuses ont lancé la branche françaisede l’Association des Jeunes Scientifiques Polaires (APECS) et la French
Polar Week. Leréseau universitaire se mobilise lui aussi à travers des institutions pionnières commel’Université de
Saint-Quentin en Yvelines (UVSQ) ou l’Université de Bretagne Occidentale.
Mais l’initiative la plus importante est sans nul doute le Chantier Arctique Français (CAF) —dont la dénomination anglaise
est plus équivoque : French Arctic Initiative. Premierprogramme national de recherche pleinement transdisciplinaire sur les enjeux arctiques, leCAF est le premier à rassembler la communauté nationale autour d’un travail de prospectivehumaine en osant enfin accorder une
vraie place au futurisme géopolitique et géoéconomiquetant d’un point de vue temporel que spatial.
Les médias doivent donner à l'Arctique sa vraie place
Point d’orgue d’une dynamique discrète mais constante engagée en 2010, le CAF proposaitdu 3 au 6 juin derniers un colloque
fondateur où ont été arrêtées les grandes orientations de larecherche Arctique française pour la décennie à venir. Aujourd’hui, il ne tient plus
qu’auxmedias français de donner à l’Arctique la vraie place politique, économique, technologique etsécuritaire qu’il
mérite au lieu de toujours le réduire à quelques brèves dans les pagesenvironnement. Toutes ces initiatives sont autant d’outils que la France développe bon
an malan, malgré le manque de moyens financiers, pour renouer avec cette politique fortementambitieuse qui a toujours
caractérisé notre relation aux pôles depuis les premières expéditionsroyales. Si les politiques manquent encore d’embrasser pleinement cette réalité, la
nouvellegénération polaire française, elle, se mobilise pour voir l’avenir. La génération DIY (Do ityourself) l’a
bien compris : au fond, nous sommes bien plus riverains de l’Arctique que nousl’imaginons ! Et c’est bien parce que nos relations aux pôles seront une des
clés du 21èmesiècle que revitaliser la "Françarctique" pionnière de Yves Joseph de Kerguelen ou Paul-Emile Victor doitêtre une de nos priorités impératives en ce début de siècle.
*Mikå Mered est CEO chez Polariis A.S., une société de conseil en risques politiquesinternationaux et stratégies
d'investissement dans les régions polaires (cercle Arctique &Antarctique).
Pétrole, développement, recherche : le réveil de la "Françarctique" ?
Source, journal ou site Internet : la Tribune
Date : 11 juin 2013
Auteur : Mika Mered *