Ce texte est l’introduction des Rapports du Département d’État des États-Unis sur les pratiques des pays en matière de droits de l’homme en 2012.
Département d’État des États-Unis
Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail
- Avril 2013 -
Rapports sur les pratiques des pays en matière de droits de l’homme en 2012
Introduction
Ce rapport évalue la situation des droits de l’homme dans le monde en 2012. Deux ans après les manifestations en Tunisie et en Égypte à l’origine du réveil arabe, il reste, dans la région et ailleurs, des pays encore aux prises avec des changements troublants et imprévisibles. La dynamique politique et sociale interne diffère d’un pays à l’autre, mais la quête de la dignité, de meilleures perspectives économiques et d’une participation à l’avenir politique de leur pays constituent toujours des forces motrices puissantes pour les hommes et les femmes de toute la région.
Nous avons été témoins tout au long de l’année dernière d’exemples encourageants de changements démocratiques, motivés par l’idéalisme et le courage de dirigeants et de citoyens. Le président de la Tunisie et le ministre libyen de la justice se sont montrés des défenseurs chevronnés des droits de l’homme. La Géorgie a tenu des élections parlementaires qui ont mené à un transfert pacifique du pouvoir, un fait rare au sein des anciennes républiques soviétiques. L’année 2012 a, de plus, vu des progrès spectaculaires, le gouvernement de Birmanie ayant commencé à tourner la page après des décennies de régime autoritaire.
Les espoirs suscités par les débuts du réveil arabe se sont heurtés aux dures réalités de transitions inachevées et contestées : la brutalité de Bachar Al-Assad contre son propre peuple en Syrie, les tensions intercommunales et la violence politique au Yémen, au Bahreïn et en Irak, sans oublier les obstacles importants à la démocratie durable en Égypte et en Libye. Le monde doit faire face à de nouveaux défis, alors que les revendications de la rue en faveur d’un changement démocratique ne cessent d’augmenter, en réaction aux structures économiques et politiques dépassées dans nombre de ces pays.
La publication de ce 36e rapport annuel reflète l’attachement et le soutien des États-Unis à la promotion des droits de l’homme partout dans le monde.
Notre propre force et notre prospérité sont plus sûres dans un monde en paix où les gouvernements protègent les droits et les libertés inaliénables de tous les individus. Le président Obama l’a déclaré dans sa deuxième allocution d’investiture :
« Notre liberté individuelle est inextricablement liée à la liberté de chaque âme sur Terre. »
En considérant rétrospectivement les droits de l’homme dans le monde en 2012, nous constatons cinq phénomènes particulièrement frappants :
– Une réduction de l’espace public laissé à l’activisme de la société civile dans le monde ;
– La lutte continue des peuples du Moyen-Orient pour un changement démocratique ;
– Des mesures orientées vers une démocratie émergente et une tentative d’ouverture à la société civile en Birmanie ;
– La nature même des technologies de l’information et de la communication, qui change les règles du jeu, avec en toile de fond la répression croissante des médias traditionnels et de la liberté d’expression ; et
– La poursuite de la marginalisation des membres de groupes vulnérables et de la violence à leur encontre.
Réduction de l’espace public laissé à l’activisme au sein de la société civile dans le monde
La société civile est le cœur même d’une société démocratique. Les pays réussissent ou échouent en fonction des choix de leur peuple et de leurs dirigeants, qu’ils siègent dans un ministère, une salle de réunion d’entreprise, un syndicat indépendant ou le petit bureau d’une ONG. Lorsque les individus ont la possibilité de se réunir, d’exprimer leurs opinions et de formuler leurs propres propositions, ils mettent leur gouvernement au défi de relever les normes de progrès et de prospérité et ils leur apportent leur appui dans cette voie. Les pays sont plus forts lorsque les différentes composantes de la société travaillent ensemble pour le bien commun et qu’un débat animé et critique contribue à la prise de décisions du gouvernement. Les gouvernements qui acceptent et favorisent l’activisme de la société civile se montrent plus stables et résilients, et ces sociétés prospèrent. La répression de la société civile par un gouvernement est révélatrice de l’état de faiblesse et de fragilité de ceux qui sont au pouvoir. Elle caractérise les sociétés où les gouvernements répriment le développement économique et social. Certains gouvernements, malheureusement, semblent s’inspirer des tactiques restrictives des autres et, dans certains cas, des puissances régionales montrent un exemple négatif, mais convaincant, aux gouvernements voisins.
La société civile a été de plus en plus souvent prise dans la tourmente en 2012, à mesure que les gouvernements ont continué à réfréner ou à attaquer les moyens par lesquels les individus peuvent s’organiser, se réunir ou exiger de meilleurs résultats de leurs dirigeants. De l’Iran au Venezuela, les mesures de répression contre la société civile ont pris la forme de nouvelles lois visant à freiner ou à empêcher la liberté d’expression, de réunion, d’association et de religion. On a également observé le durcissement des restrictions frappant les organismes qui reçoivent des fonds de l’étranger, ainsi que le meurtre, le harcèlement et l’arrestation de militants des droits de l’homme, politiques et du travail.
La Russie a adopté une série de mesures qui ont restreint les activités des ONG et les libertés civiles. Ces mesures comprenaient des lois restrictives pour les ONG – en particulier celles qui reçoivent des financements internationaux – et de fortes augmentations du montant des amendes en cas de protestations non autorisées, une loi criminalisant à nouveau la diffamation, une loi qui limite l’accès à Internet en permettant aux autorités de bloquer certains sites web sans décision de justice, sans oublier des amendements au code pénal qui élargissent considérablement la définition de trahison.
Fin 2011, le gouvernement égyptien a pris des mesures contre des ONG nationales et internationales, des descentes de police ayant été effectuées dans un certain nombre de groupes de défense de la démocratie et des droits de l’homme, notamment les bureaux du National Democratic Institute (NDI) et de l’International Republican Institute (IRI), organismes dont le siège se trouve à Washington. Le gouvernement a accusé les citoyens et le personnel étranger de « diriger des organismes non autorisés » et de « recevoir des fonds étrangers sans permission ». Il a imposé pendant plusieurs mois une interdiction de déplacement aux employés expatriés des ONG. Quarante-trois personnes ont été poursuivies en justice tout au long de l’année 2012, dans un processus caractérisé par des retards. Le gouvernement a également continué à utiliser une procédure d’inscription onéreuse pour empêcher les ONG nationales et étrangères de travailler dans le pays.
Au Bangladesh, les syndicats indépendants ont continué à se heurter à des obstacles majeurs lorsqu’ils tentaient de s’enregistrer et de mener des activités organisées. De surcroît, le manque d’attention accordée par le gouvernement aux normes de sécurité sur le lieu de travail a partiellement contribué à de nombreux incendies mortels dans des usines textiles, notamment l’incendie tragique de Tazreen, en décembre 2012, dans lequel 114 ouvriers ont trouvé la mort.
En Chine, le gouvernement a imposé des formalités d’enregistrement pesantes qui ont eu pour effet d’empêcher la formation d’organisations indépendantes politiques, des droits de l’homme, religieuses, spirituelles, syndicales et autres qu’il soupçonnait de vouloir contester son autorité. Afin d’empêcher l’expression publique de points de vue indépendants, le gouvernement a intensifié ses efforts visant à réduire au silence les militants politiques et les avocats d’intérêt public et il a utilisé des mesures extrajudiciaires, dont la disparition forcée, la « détention douce » et l’assignation à résidence sous stricte surveillance.
Il existe cependant quelques signes d’espoir. En Afghanistan, la révision de la loi sur les organisations sociales a été adoptée par la chambre basse du parlement en décembre. Parmi les modifications, la nouvelle loi propose de supprimer les obstacles actuels à l’obtention de financements étrangers par les organisations sociales. En Mongolie, le projet de loi sur les activités d’utilité publique prévoit une fondation gouvernementale pour soutenir la société civile. En outre, le gouvernement procède à l’élaboration d’une loi sur les contrats de sous-traitance avec des organisations de la société civile. Si elles sont adoptées, ces lois rendront possibles de nouvelles sources de financement national pour la société civile tout en garantissant la transparence et la responsabilité en matière de distribution des fonds publics.
Une lutte continue pour le changement démocratique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord
Le Moyen-Orient vit des transformations aussi profondes et substantielles que les changements qui ont balayé l’Amérique latine, l’Europe et l’Eurasie, voilà deux décennies. Les progrès dans la région sont inégaux et les défis à relever – deux ans déjà de ce qui sera probablement une évolution longue et difficile – sont immenses. Les débats et les divisions réprimés pendant des décennies refont surface. Pour la première fois, les institutions sont tenues de rendre des comptes. Les jeunes attendent avec impatience des réformes et des résultats. Les citoyens et les gouvernements négocient des règles de conduite démocratiques.
Dans les pays du réveil arabe, on a assisté en 2012 à une transition chaotique de la phase des protestations à celle de la politique ainsi qu’à la répression brutale exercée par des régimes déterminés à écraser la volonté populaire et aux inévitables défis associés à la transformation des aspirations démocratiques en réalité. Si certains pays ont été le théâtre de percées démocratiques, d’autres en revanche ont vu une érosion des protections de la société civile, des violences sexuelles contre les femmes, des violences contre des membres de minorités religieuses et le renforcement de leur marginalisation, et une escalade des violations des droits de l’homme, en particulier en Syrie. Chaque pays de la région tracera sa voie, mais les gouvernements qui ne répondent pas aux aspirations de leur peuple auront des difficultés à maintenir le statu quo.
En Syrie, le régime de Bachar Al-Assad a continué de brutaliser son peuple. Le gouvernement a mené de fréquentes opérations policières et militaires contre des civils pacifiques, notamment dans des attaques contre des cortèges funèbres, des files d’attente pour recevoir des vivres gratuits, des écoles, des lieux de culte et des hôpitaux. Il a continué à soumettre par la contrainte la population syrienne, en usant de terreur par une force aveugle, disproportionnée et meurtrière. Les violences sexuelles ont été largement répandues. Selon l’ONU, jusqu’à 70.000 personnes sont mortes depuis le début de la crise syrienne, et le nombre des morts est passé d’environ 1.000 par mois lors de l’été 2011 à une moyenne de plus de 5.000 par mois en juillet 2012.
Non content de soutenir le régime de Bachar Al-Assad et les organisations terroristes au-delà de ses frontières, le gouvernement iranien n’a cessé de restreindre les droits de ses propres citoyens. Les autorités iraniennes ont commis des actes de violence et de répression politiquement motivés, ciblant journalistes, étudiants, avocats, artistes, femmes, militants ethniques et religieux, ainsi que des membres de leur famille. Selon des rapports d’ONG, le gouvernement a exécuté 523 personnes en 2012, souvent suite à des procès secrets ou sans respect de la procédure légale. Les personnes arrêtées pour activités politiques et liées aux droits de l’homme ont souvent été accusées de moharebeh, « inimitié à l’égard de Dieu », par les procureurs, un chef d’accusation vague et excessivement général, passible de la peine de mort. Le gouvernement a promulgué de nouvelles et importantes restrictions concernant les activités des femmes, leur éducation et leur emploi.
Le Bahreïn était toujours à la croisée des chemins à la fin 2012. Le gouvernement a adopté des mesures pour mettre en application les recommandations du rapport de la Commission d’enquête indépendante du Bahreïn (BICI). Cependant, les recommandations les plus importantes, visant à corriger les inégalités fondamentales dans la société bahreïnienne, n’étaient toujours pas en place à la fin de l’année, et les tensions sectaires ont continué à augmenter.
L’Égypte de 2012 a vu, outre la répression contre les ONG, une montée des violences sexuelles contre les femmes, la non-protection des chrétiens coptes par les forces de sécurité dans plusieurs scènes de violence sociétale, l’impunité dont ont joui plusieurs des auteurs de ces violences et une polarisation politique croissante. Cette polarisation a entraîné des manifestations massives de soutien et d’opposition aux efforts déployés par le président en vue de placer temporairement ses actions au-dessus du contrôle judiciaire et d’accélérer la promulgation d’une nouvelle constitution controversée, adoptée en décembre à l’issue d’un référendum organisé à la hâte.
Fait encourageant, pour la première fois depuis des décennies, les Libyens et les Égyptiens ont participé en 2012 à des élections crédibles et qui leur proposaient un choix entre plusieurs candidats. La Tunisie a conservé nombre des acquis historiques réalisés en 2011 dans la voie d’une démocratie durable. L’Assemblée nationale constituante a procédé à la rédaction d’une nouvelle constitution dans le cadre d’un processus ouvert et inclusif. De son côté, le gouvernement nouvellement élu de la Libye a eu du mal à imposer son autorité sur les milices locales et à juguler la violence extrémiste, qui a coûté la vie à quatre Américains, dont l’ambassadeur des États-Unis, en septembre à Benghazi.
Le changement radical déclenché par les frustrations d’un seul marchand de quatre saisons tunisien, fin 2010, revêtira diverses formes au cours des prochaines décennies. La transition vers la démocratie dans la région ne sera pas linéaire et connaîtra sans aucun doute des revers.
Il est néanmoins important d’analyser ces changements dans une optique à plus long terme et de s’engager sans répit à travailler à la construction de sociétés libres, démocratiques, inclusives et stables, avec les populations de cette région.
Une transition démocratique émergente en Birmanie
En 2012, avec l’engagement diplomatique soutenu des États-Unis culminant par une visite du président, la Birmanie a continué de prendre des mesures significatives dans la voie d’une transition historique vers la démocratie, à commencer par la libération, en janvier, de plus de 300 prisonniers politiques. Depuis 2011, le gouvernement birman a libéré plus de 700 prisonniers politiques, dont beaucoup étaient détenus depuis plus de dix ans. En avril, le pays a tenu des élections législatives partielles largement transparentes et inclusives. La Ligue nationale pour la démocratie, présidée par Aung San Suu Kyi, a enlevé 43 des 45 sièges disputés et Aung San Suu Kyi a été élue au Parlement. Outre les élections, le gouvernement birman a assoupli la censure de la presse et permis la création et l’enregistrement de syndicats, ouvrant ainsi un nouvel espace à la participation de la société civile.
La transition de la Birmanie n’est cependant pas encore achevée. Nombre d’éléments de la structure autoritaire du pays – lois répressives, appareil de sécurité généralisé, système judiciaire corrompu, restrictions à la liberté de religion et prédominance de l’armée – demeurent majoritairement intacts. Un travail considérable est indispensable pour garantir que les élections nationales de 2015 seront libres et équitables. La violence interethnique a fait au moins 100 victimes et des dizaines de milliers de personnes déplacées dans l’État de Rakhine, en juin et octobre, tandis que le conflit armé se poursuivait dans l’État de Kachin. Le besoin de surmonter les divisions profondes encouragées par des décennies de régime tyrannique manipulateur et d’établir une société démocratique pluraliste, capable de résoudre paisiblement les différences, est pressant. Le gouvernement devra intervenir pour protéger les droits humains de tout un chacun en Birmanie, et les personnalités religieuses, politiques et communautaires influentes devront faire preuve de leadership. La traite des êtres humains a persisté, en particulier celle des femmes et des jeunes filles, tout comme la discrimination contre les minorités ethniques et les apatrides. Le recrutement d’enfants soldats s’est poursuivi, bien que le gouvernement ait signé un plan d’action, sous l’égide de l’ONU, pour résoudre ce problème. Le travail forcé, y compris celui des enfants, a encore été pratiqué.
Les défis à relever sont encore là, mais les progrès de la Birmanie résultent d’années de dur labeur du peuple birman et de pressions soutenues de la part des États-Unis et de la communauté internationale en faveur de réformes. Ces progrès soulignent l’impact de l’engagement de principe des Birmans en soutien aux revendications de droits universels réprimées depuis longtemps. Au final, le peuple birman sera l’artisan de l’avenir de la Birmanie, mais sa transition démocratique, si elle est réussie et pleinement réalisée, pourrait servir d’exemple à d’autres sociétés fermées.
Liberté d’expression, y compris par les médias et sur Internet
La démocratie durable ne se limite pas à la tenue d’élections. Comme le déclarait le président Obama aux Nations Unies, en septembre, la vraie démocratie « dépend de la liberté des citoyens d’exprimer leurs opinions et de se réunir sans crainte ainsi que de l’État de droit et de l’application régulière de la loi qui garantit les droits de tous les citoyens ». Ces composantes de la démocratie, en particulier la liberté d’expression, ont été gravement menacées en 2012 dans différents pays du monde.
Dans le même temps, l’accès accru à l’information et les nouveaux moyens de communication ont changé les règles du jeu, en particulier dans les sociétés fermées où les individus font face à des restrictions de leurs libertés fondamentales d’assemblée et d’association pacifiques. En Corée du Nord, par exemple, le gouvernement s’est employé à contrôler toutes les sources d’informations. Les Nord-Coréens se sont exposés à des sanctions afin d’obtenir radios, téléphones portables et autres dispositifs multimédia illégaux susceptibles d’augmenter leur capacité de communiquer les uns avec les autres et, dans une mesure limitée, avec le monde extérieur.
Les médias sociaux, quand ils sont accessibles, amplifient les opinions individuelles et permettent aux citoyens ordinaires de dénoncer des actes répréhensibles, d’organiser une action collective, d’exiger la reddition de comptes ou de lutter pour le respect et la tolérance. Aux Philippines, par exemple, les militants se sont réunis par le biais de médias sociaux et d’autres forums pour protester contre une loi sur la cybercriminalité. Cette loi stipulait que les personnes reconnues coupables de commentaires diffamatoires en ligne, notamment des commentaires publiés sur des réseaux sociaux, pouvaient être condamnées à payer des amendes ou emprisonnées. La Cour suprême, suite aux protestations, en a suspendu l’application. Ce type d’engagement mène à une discussion libre et ouverte sur des questions qui préoccupent les individus au sein de leurs communautés et offre aux gouvernements des possibilités et des idées de réforme. L’absence d’entraves à la couverture médiatique, sous toutes ses formes émergentes, n’a jamais été plus vitale pour le fonctionnement des sociétés démocratiques.
2012 a été une année très difficile pour les médias traditionnels. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a déclaré qu’il y avait 53 journalistes en prison de plus qu’en 2011, soit en tout 232 personnes, un record depuis que le CPJ a commencé à recueillir ces données, en 1990. Les ONG internationales de défense des droits de l’homme ont désigné la Turquie comme étant le pays qui détient le plus grand nombre de journalistes, 49 d’entre eux au moins étant derrière les barreaux en raison de leurs activités professionnelles. L’International Press Institute (IPI) a dénombré 133 journalistes qui ont été tués en faisant leur travail ou à cause de leurs reportages en 2012, l’année la plus meurtrière pour cette catégorie de professionnels depuis que l’IPI recueille ces données, soit 1997. De plus, de nombreux gouvernements ont adopté des lois ou manipulé l’environnement juridique pour étouffer les critiques et les opinions divergentes et également imposé des impôts et redevances lourdes aux médias indépendants.
En Équateur, par exemple, le président Correa a appelé la presse son « plus grand ennemi » et a utilisé ses interventions en public pour se livrer à des attaques personnelles contre certains journalistes. Lors de son allocution télévisée et radiophonique hebdomadaire, M. Correa a encouragé les fonctionnaires et les particuliers à porter plainte contre les médias, ce qui a entraîné une autocensure plus forte de la part des médias. De nouvelles lois, notamment l’interdiction de toute couverture susceptible de favoriser directement ou indirectement un candidat, une philosophie ou une théorie politique, ont limité la capacité de couverture de l’élection par les médias. Le gouvernement aurait également procédé à des inspections fiscales et du travail afin de fermer plusieurs organes de presse et de harceler des entreprises qui avaient publié des rapports critiques à son égard.
D’autres gouvernements ont utilisé comme prétexte les efforts de lutte contre le terrorisme ou l’extrémisme pour réprimer la liberté d’expression. Le gouvernement éthiopien a ainsi utilisé la législation antiterroriste comme fondement pour poursuivre en justice des journalistes. Par exemple, dans des affaires distinctes, les tribunaux ont déclaré coupables les journalistes Woubishet Taye, Reyot Alemu et Eskinder Nega, arrêtés en 2011, ainsi que six journalistes/blogueurs jugés par contumace, en vertu de la proclamation contre le terrorisme. Au cours de l’année, les tribunaux ont condamné en tout 31 personnes, notamment des journalistes, des membres de l’opposition et des militants, en vertu de cette proclamation. Fin 2012, les tribunaux kazakhs ont appliqué une loi vague contre « l’incitation à la discorde sociale » pour interdire plusieurs groupes de médias.
Dans certains pays, les gouvernements ont pris des mesures pour restreindre la liberté d’expression sur Internet au moyen de nouvelles mesures législatives, harcelé des blogueurs et des militants en ligne et arrêté des personnes ayant exprimé, d’une manière pacifique, leurs points de vue dans un simple message affiché sur Twitter ou transmis par SMS. Au Vietnam, les autorités ont eu de plus en plus recours à la détention et à l’emprisonnement à l’encontre des dissidents qui ont utilisé Internet pour critiquer le gouvernement et publier des idées sur les droits de l’homme et le pluralisme politique. En 2012, au moins 14 militants ont été déclarés coupables et condamnés à de lourdes peines de prison. Au Koweït, les autorités ont enquêté sur une douzaine de cas concernant des citoyens accusés de diffamer l’émir sur leurs comptes Twitter. Un accusé, déclaré coupable en juin, a été condamné à cinq ans de prison. Aux Émirats Arabes Unis, une nouvelle loi sur la cybercriminalité a inclus des dispositions venant renforcer le fait que les restrictions déjà excessives de la liberté d’expression s’étendaient à la communication en ligne, y compris aux médias sociaux.
Marginalisation des membres de groupes vulnérables
La démocratie exige que tous les individus jouissent de droits et de protections universels afin d’avoir la possibilité de participer à la vie économique et politique de leurs communautés. Le commerce s’épanouit, l’instabilité diminue, et les nations prospèrent lorsqu’elles font appel aux contributions de l’ensemble de la société. Pourtant, dans trop de régions, les gouvernements continuent de persécuter les membres de minorités religieuses et ethniques, les femmes, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (GLBT), les handicapés, les migrants et les membres d’autres populations vulnérables, notamment les communautés tribales, ou ils ne font rien pour empêcher leur persécution.
La Chine a continué à appliquer des politiques répressives – y compris des restrictions officielles aux libertés d’expression, de religion, d’association et de déplacement – contre les communautés ethniques ouïgoures et tibétaines. Les membres de ces deux communautés ont rencontré de grandes difficultés pour obtenir des passeports, limitant ainsi dans la pratique la capacité de bon nombre d’entre eux de se rendre à l’étranger. De plus, la surveillance et la perturbation par les autorités des communications téléphoniques et sur Internet ont été particulièrement répandues dans les zones tibétaine et ouïgoure. Les violations des droits de l’homme se sont intensifiées à l’occasion d’événements hautement médiatisés, tels que la visite de fonctionnaires étrangers et les commémorations sensibles, ainsi que dans la période précédant le 18e Congrès du parti communiste chinois, en novembre.
En 2012, l’antisémitisme est resté un problème de taille dans de nombreux pays, y compris au Moyen-Orient, en Europe et en Amérique latine. Dans tout le Moyen-Orient, des personnalités religieuses et politiques en vue ont tenu en public des propos antisémites. En Égypte, le président Morsi a été critiqué pour avoir dit « Amen », à Mansoura, lors de la prière, après les phrases « Ô Allah, donne-nous la victoire sur les infidèles. Ô Allah, détruis les Juifs et leurs partisans », prononcées par un imam. Des partis politiques ouvertement antisémites et xénophobes ont conservé des sièges au parlement en Hongrie et en Grèce. Des représentants de ces partis ont tenu des propos antisémites en public ; citons par l’exemple l’appel lancé devant le parlement hongrois à l’établissement d’une liste de fonctionnaires juifs (appel promptement condamné par le gouvernement), la lecture d’extraits des « Protocoles des sages de Sion » devant le parlement grec et, en Ukraine, lors de la période pré-électorale en octobre, des remarques antisémites et extrémistes par des partis politiques. Plusieurs de ces mêmes partis politiques se sont également fait remarquer dans des attaques politiques contre les communautés roms et contre les immigrés, particulièrement ceux originaires de pays musulmans. Au Venezuela, de nombreuses déclarations antisémites ont été associées aux autorités gouvernementales. De plus, la presse d’État contenait parfois des déclarations antisémites, dont certaines étaient adressées à des adversaires politiques.
De nombreux pays, dans le monde entier, continuent à criminaliser les relations sexuelles entre personnes consentantes de même sexe. Les personnes LGBT ont continué d’être des cibles de discrimination et de violences généralisées. En Ouganda, le projet de législation anti-homosexualité a cherché à infliger des peines allant de l’emprisonnement pour homosexualité, soit certains actes ou « délits connexes », jusqu’à la mort pour ceux reconnus coupables « d’homosexualité » à deux reprises. Fin 2012, le projet de loi était en instance devant le parlement, et certains chefs religieux locaux exhortaient ce dernier à l’adopter.
Les handicapés ont eux aussi dû faire face à des défis en 2012, notamment l’absence de législation, dans de nombreux pays, contre la discrimination. Ces personnes restent exclues des écoles, de certains postes de travail, des transports publics, des élections, des soins de santé et des bâtiments publics. Là où des lois étaient en place, elles étaient souvent inadéquates ou non appliquées, le résultat étant le même.
Les travailleurs migrants du monde entier se sont heurtés à la discrimination de la société et en matière d’emploi, au manque de protection juridique adéquate, au harcèlement sur le lieu de travail et, dans certains cas, ont été extrêmement vulnérables à l’exploitation au travail, notamment sous la forme de travail forcé. Plus particulièrement, les travailleurs domestiques migrants ont rarement bénéficié des droits du travail internationalement reconnus et ont souvent été incapables de se soustraire à des situations dangereuses, d’obtenir une assistance juridique ou de demander réparation.
En 2012, les femmes et les jeunes filles ont été victimes de violences et de discrimination continues, parrainées parfois par les États eux-mêmes. Les forces de sécurité de l’État, ainsi que des groupes de rebelles ou des milices, ont commis des viols généralisés, parfois même des viols en masse, de femmes et de jeunes filles dans l’est de la République démocratique du Congo, plus particulièrement dans les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et Orientale. Les violences sexuelles ont été une question d’une extrême gravité dans le conflit syrien. Bien que la situation en Afghanistan se soit légèrement améliorée au cours de l’année, le pays est resté très dangereux pour les femmes, de même que pour les membres d’autres groupes vulnérables. La violence a continué à compromettre les acquis de ces dix dernières années en matière de sécurisation des droits de l’homme et d’un espace public pour la société civile. En Afghanistan et au Pakistan, des femmes actives dans la vie publique ont été prises pour cibles par les talibans et d’autres groupes d’insurgés, parmi lesquelles, notamment, Malala Yousafzai, une adolescente de 14 ans, grièvement blessée par balle à la tête, en octobre, alors qu’elle défendait le droit des jeunes Pakistanaises d’aller à l’école.
Le rapport 2012 sur les pratiques des pays en matière de droits de l’homme documente ces cas et des centaines d’autres dans 199 rapports spécifiques. Les pages qui suivent présentent des esquisses de pays, organisées par région, marquant l’évolution de la situation en matière de droits de l’homme dans les pays qui revêtent un intérêt particulier sur la scène mondiale.