Malgré des rapports alarmants, l'État n'a rien fait pour réparer une anomalie grave dans la gestion de la grande école.
Pendant leurs études, les élèves de l'X sont payés par l'État. Entre la solde - ils sont considérés comme militaires - et une indemnité de frais (à partir du neuvième mois), ils perçoivent environ 900 euros net par mois. En contrepartie, ils doivent dix ans de leur vie professionnelle à l'État. S'ils choisissent une autre voie, ils doivent rembourser. La somme qu'ils doivent alors verser, de l'ordre de 40 000 euros, s'appelle la pantoufle. Une obligation élémentaire : si ces étudiants d'élite sont rémunérés par la collectivité, c'est parce qu'ils se destinent à la servir plus tard. Voilà pour la théorie. En pratique, l'école ne demande plus à personne le moindre centime depuis quinze ans, durant lesquels elle a émis trois avis de remboursement auprès de ceux qui n'ont pas rejoint les grands corps de l'État. Trois pour 6 000 diplômés, alors que plus de 80 % d'entre eux partent directement vers le privé ! Un pourcentage qui n'a cessé d'augmenter depuis la fin des années soixante. C'est ce qu'a expliqué à la commission des Finances de l'Assemblée nationale, mercredi 1er octobre, le député UMP François Cornut- Gentille, auteur d'un rapport - au vitriol - sur la vénérable école.
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Ubu au ministère de la Défense
Pourquoi une telle anomalie ?
Parce qu'un texte allongeant la scolarité d'un an a été mal rédigé il y a... quinze ans. Tellement mal que le polytechnicien qui passe entre un et dix ans dans la fonction publique doit rendre l'argent, ce dont est dispensé celui qui n'y a jamais mis les pieds. C'est la première absurdité. Ce n'est pas la seule. En effet, le ministère de la Défense, depuis toutes ces années, n'a rien fait pour réparer cette erreur, malgré les critiques répétées de plusieurs organismes, dont la Cour des comptes. Dans un référé de février 2012, celle-ci écrit par la main de son président, Didier Migaud, en gras et en début de texte : "La gestion de l'École polytechnique n'est pas satisfaisante." Et elle évalue le manque à gagner de la pantoufle à plus de 300 000 euros par an. En février 2014, la Cour revient sur le sujet, pour constater que rien n'a été fait. Il a fallu que François Cornut-Gentille fasse voter, l'an dernier, contre l'avis du gouvernement, une coupe de 500 000 euros dans la subvention versée à l'X pour que les esprits engourdis se réveillent et annoncent un décret imminent... qui n'existe toujours pas.
"L'X a mis du temps à se mettre en route et la tutelle n'a pas été très active, c'est le moins qu'on puisse dire", constate le député de la Haute-Marne avec un sens certain de l'euphémisme. À l'heure des choix budgétaires difficiles, où chaque centime semble compter, une telle désinvolture administrative fait mauvais genre.
Voici le rapport:"Polytechnique : l’X dans l’inconnu"
Autre information:
Polytechnique perd 500 000 euros, votent les députés
Cette fois, c'est définitif. En votant le projet de loi de finances pour 2014, l'Assemblée nationale a définitivement amputé le budget de l'Ecole polytechnique de 500 000 euros. Cela représente 0,7 % d'un budget de 67 millions d'euros.
Voté le 30 octobre en première lecture contre l'avis du gouvernement, l'amendement qui prévoit cette coupe a valeur d'avertissement adressé par les députés au ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. L'Assemblée nationale attend en effet de pied ferme que celui-ci fasse adopter les textes réglementaires mettant en place la réforme de la « pantoufle ». Annoncée en 2012 par son prédécesseur, Gérard Longuet, votée par l'école en juin 2013, celle-ci prévoit de réaffirmer le principe que tout polytechnicien (sauf exceptions revues et resserrées) ne travaillant pas dix ans pour l'Etat remboursera ses frais de formation, soit quelque 40 000 euros. Mais le texte n'est toujours pas adopté, et les parlementaires s'impatientent franchement.
En attendant, l'école d'ingénieurs devra s'organiser. Les 500 000 euros représentent « quatre à cinq postes d'enseignants », rappelle Jacques Biot, le président de Polytechnique. Mais M. Biot pense que les choses devraient vite s'arranger. « Dans la mesure où la solution existe de rétablir cette somme par une loi de finances rectificative, nous considérons que ce n'est pas définitif », confie-t-il, jeudi 19 décembre. « Le budget se gère sur un an. Il n'y aura donc pas d'incidences au 1er janvier. » Si l'amputation devait être confirmée, ajoute-t-il, « nous devrions prendre des décisions extrêmement sévères. Je me concerterais avec les salariés pour voir s'il faut couper dans les investissements, la recherche ou les personnels. »
« Les salariés apprécieront »
Or, si l'on en croit une source bien informée, il est peu probable qu'une loi de finances rectificatives soit présentée au Parlement avant fin 2014. Par ailleurs, dit-on, « 66 millions d'euros ont été supprimés dans le budget 2014 de la défense. Il serait politiquement difficile à justifier de demander le rétablissement urgent des 500 000 euros à Polytechnique ».
Certes, l'application du budget laisse de la marge aux responsables administratifs. Mais l'école militaire, par ailleurs actuellement soumise à un contrôle de l'Assemblée nationale, ne pourra sans doute pas échapper aux efforts. « Les salariés de Polytechnique apprécieront, prévient Jacques Biot. Vous imaginez l'effet que tout cela produit. L'Assemblée nationale ne s'est pas attiré l'amitié des personnels dans ces circonstances. »
Benoît Floc'h