Voici les sept réformes qui, s'il n'y avait pas de contraintes politiques, devraient être mises en oeuvre pour redresser la France, selon Patrick Artus.
On connaît bien maintenant les facteurs de blocage de la croissance en France. Il s'agit d'abord de la faiblesse des marges bénéficiaires et de la capacité d'autofinancement, de la rentabilité du capital physique, surtout dans l'industrie, ce qui décourage l'investissement, en particulier l'investissement technologique, en robotisation, ce qui freine l'offre de biens et de services et la production manufacturière. La rentabilité du capital physique en France est de 2 %, contre 6 % dans le reste de l'Europe.
Il s'agit ensuite de l'insuffisance des compétences de la population active. Cette insuffisance est révélée par l'enquête PIAAC de l'OCDE (qui évalue les compétences des adultes et classe la France à l'avant-dernier rang). Elle contribue à empêcher la montée en gamme de l'industrie ; le faible niveau de gamme de l'industrie française est révélé par le niveau élevé de l'élasticité-prix des exportations en volume : une hausse de 10 % du prix des exportations en réduit le volume de 8 %, ce qui montre le caractère peu sophistiqué, peu différencié de la production.
On sait que le coût du travail peu qualifié est élevé en France, malgré les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, en raison du niveau élevé du smic.
Alors que l'Allemagne annonce un équilibre budgétaire pour 2015, la France laisse filer le déficit de l'État qui sera de (au moins) 4,4% en 2014. Autant de dette en plus pour nos enfants et les générations futures.
Trouver son salut à l'extérieur veut dire obtenir un supplément de croissance, sortir de la croissance très faible, non pas grâce à des réformes internes, mais grâce à des évolutions dans le reste du monde. Sur quoi la France pourrait-elle compter pour redynamiser son économie : une reprise mondiale ; des politiques de relance en Allemagne, réclamées cet été par le gouvernement français ; la dépréciation de l'euro, soit spontanée, soit venant des actions de la BCE ? Nous pensons qu'il ne faut pas compter sur ces évolutions externes et que la clé du redémarrage de l'économie française réside dans les politiques de réforme.
Il est très probable que la croissance de la France va être très faible en 2014 et encore anormalement faible en 2015. Les causes structurelles de l'absence de croissance sont bien connues : désendettement des ménages et des entreprises ; faible profitabilité et faible rentabilité du capital des entreprises qui découragent l'investissement et l'emploi ; coût de production trop élevé compte tenu du niveau de gamme de la production ; coût du travail non qualifié trop élevé, d'où le niveau élevé du chômage des non-qualifiés ; insuffisance des compétences de la population active... Les politiques structurelles domestiques qui permettraient de relancer la croissance découlent de cette analyse qui est assez largement consensuelle en réalité, malgré les débats récents : modification de la formation des salaires pour redresser la profitabilité et la compétitivité ; lutte contre la pauvreté par d'autres instruments qu'un salaire minimum élevé ; réduction des dépenses publiques improductives et de la pression fiscale ; réforme du système éducatif et du système de formation professionnelle.
La reprise de l'économie mondiale est un leurre
Cependant, il existe toujours une tentation en France pour espérer que le redressement de la croissance viendra de l'extérieur, de développements favorables à la France venant du reste du monde. L'appel du gouvernement français à l'Allemagne pour qu'elle stimule sa demande intérieure illustre clairement cette tentation. Quels développements extérieurs pourraient soutenir l'économie française ?
Le premier serait une reprise de l'économie mondiale. Le problème est ici double. D'une part, cette reprise est faible, car elle est handicapée par les freins à la croissance des États-Unis (stagnation des salaires réels, stagnation de la construction de logements), par l'affaiblissement de la croissance de grands pays émergents (Brésil, Inde, Turquie, Afrique du Sud, Russie) lié aux problèmes structurels non résolus de ces pays (goulots d'étranglement sur le marché du travail, pour la production d'énergie ; insuffisance des infrastructures de transport ; en Russie, sortie de capitaux et chute de l'investissement), par l'absence de reprise économique dans la zone euro, par la rechute de l'économie japonaise avec l'usure des effets du Quantitative Easing et la hausse de la TVA.
D'autre part, cette reprise faible de l'économie mondiale ne fait pas repartir le commerce mondial, car là où il y a croissance elle est fortement "domestique" : croissance tirée par la construction en Chine, par l'immobilier et les services au Royaume-Uni, par l'investissement logement en Allemagne... Il ne faut donc pas compter sur la reprise mondiale pour tirer l'économie de la France.
Pas de stimulation de la demande intérieure en Allemagne
La seconde possibilité serait la mise en place d'une politique de stimulation de la demande intérieure en Allemagne. Nous n'y croyons pas et d'ailleurs le gouvernement allemand vient d'en rejeter l'idée. D'une part, on observe déjà aujourd'hui que les salaires réels augmentent plus vite que la productivité en Allemagne et que, de ce fait, la profitabilité et la compétitivité des entreprises allemandes reculent : le patronat allemand, logiquement, ne veut pas aller plus loin. D'autre part, l'importance du vieillissement démographique en Allemagne, malgré l'immigration, conduit à la volonté collective d'accumuler aujourd'hui des actifs et non des dettes, publiques et extérieures, et fait rejeter l'idée de retourner à un déficit budgétaire ou de réduire l'excédent extérieur.
La dernière possibilité de soutien de la croissance de la France "par l'extérieur" est une dépréciation importante de l'euro, soit due à une politique monétaire encore plus expansionniste de la BCE, c'est-à-dire le passage au Quantitative Easing, soit due au comportement des investisseurs avec l'attrait pour le dollar en raison de l'écart de croissance et de taux d'intérêt entre les États-Unis et la zone euro. Il est vrai que les exportations de la France sont sensibles au taux de change de l'euro, mais il ne faut pas oublier que la dépréciation de l'euro aurait comme effet de faire monter les prix des importations, en particulier des matières premières, et que l'effet résultant sur l'activité de la France serait faible.
La France ne peut compter que sur elle-même
Il ne faut pas oublier non plus que, malgré la faiblesse de la croissance des taux d'intérêt qui est connue par les marchés financiers, la dépréciation de l'euro reste limitée par l'existence de l'important excédent extérieur de la zone euro et de flux d'achats d'obligations de la zone euro par les non-résidents, en particulier par les banques centrales. On ne doit donc pas attendre l'effet majeur d'un euro plus faible sur la croissance française.
Au total, ce n'est ni le reste du monde, ni l'Allemagne, ni l'euro qui vont sortir la France du piège à croissance très faible. Il faudra donc bien mener les politiques structurelles nécessaires et vues plus haut qui concernent la formation des salaires, le coût du travail non qualifié, le système d'éducation et de formation professionnelle, la fiscalité et les dépenses publiques improductives... L'attente d'une solution extérieure au problème de croissance faible en France ne révèle que l'hésitation à mener ces politiques.
Les derniers indicateurs économiques de la zone euro sont défavorables. Si on regarde les évolutions des indicateurs conjoncturels, on observe un retournement à la baisse de la production industrielle en Allemagne, en France, en Italie et dans la zone euro globalement ; la stagnation des commandes de biens d'équipement sauf en Espagne ; l'affaiblissement des exportations, le retournement à la baisse des importations dans tous les pays. Ceci pose la question suivante : peut-il y avoir une rechute de l'économie de la zone euro alors que les prévisionnistes attendent une normalisation de la croissance ?
Y a-t-il des raisons solides pour lesquelles l'économie de la zone euro pourrait rechuter ? La réponse est positive. Il s'agit d'abord de la fin de l'effet stimulant de la désinflation. La désinflation (l'inflation de la zone euro est passée de 3 % en 2011 à 0,5 % aujourd'hui) soutient à court terme la demande en faisant progresser les salaires réels. Mais, ultérieurement, les salaires nominaux s'ajustent à la baisse (ils n'ont augmenté pour l'ensemble de la zone euro que de 1,2 % sur un an), les salaires réels reculent, et il apparaît l'effet négatif de la hausse des taux d'intérêt réels due à la désinflation. Le taux d'intérêt réel à 10 ans (corrigé de l'inflation) de la zone euro est aujourd'hui proche de 2 %, c'est-à-dire bien supérieur à la croissance.
Le second mécanisme défavorable est la réduction des déficits publics. Les déficits publics de la zone euro hors Allemagne restent excessifs (4 % du PIB en 2014) et ont peu été réduits depuis 2012 (5 % du PIB en 2012). Même si davantage de souplesse est acceptée par l'Europe, il faudra quand même continuer à réduire les déficits.
L'économie allemande pas aussi forte qu'on l'imagine
La poursuite du désendettement du secteur privé est évidemment aussi pénalisante. L'évolution récente des crédits aux ménages et aux entreprises montre que le désendettement se poursuit, de façon brutale en Espagne, globalement pour la zone euro ; l'encours de crédits aux ménages de la zone euro a baissé de 1 % sur un an, il est stable pour les entreprises.
On sait aussi que les problèmes d'offre ne sont pas résolus en France et en Italie. L'écrasement des marges bénéficiaires de l'industrie se poursuit en France et en Italie, ce qui explique la faiblesse de l'investissement productif, le recul de l'emploi manufacturier.
Enfin, l'économie allemande n'est pas aussi forte qu'on l'imagine. L'Allemagne est caractérisée par le poids très élevé des exportations (53 % du PIB) et par le lien entre exportations et investissement des entreprises. La faiblesse du commerce mondial (qui stagne) pénalisera donc nécessairement l'Allemagne. Par ailleurs, la croissance de l'Allemagne a été tirée par la demande des ménages, consommation et investissement logement (celui-ci augmente de 7 % en un an). On a vu une baisse du taux d'épargne des ménages et une forte progression de la construction résidentielle. Cette poussée de la demande des ménages allemands ne devrait pas pouvoir être permanente, car elle est incompatible avec le vieillissement démographique de l'Allemagne, malgré l'immigration qui stabilise la population totale : le poids des plus de 60 ans par rapport à la population en âge de travailler va passer de 45 % aujourd'hui à 60 % en 2040.
Les dernières évolutions nous incitent donc à réfléchir à la possibilité d'une rechute de l'économie de la zone euro. Celle-ci ne serait pas anormale avec la fin de l'effet positif de la désinflation, les politiques budgétaires qui doivent rester restrictives, la poursuite du désendettement du secteur privé, les problèmes d'offre non résolus en France et en Italie, l'effet négatif sur l'Allemagne de la stagnation du commerce mondial et du vieillissement démographique. Ce serait un choc pour les gouvernements, les opinions et les marchés financiers.