Le port spatial est bien loin du vieux continent. Juste au-dessus de l'équateur, dans la chaleur moite de la jungle et de la mangrove. Depuis plus de 40 ans, les fusées décollent de Kourou, un ancien petit port de pêche guyanais, à une quarantaine de kilomètres de Cayenne, la préfecture du département d'outre-mer. La fusée Ariane 5, le lanceur russe Soyouz et le lanceur léger européen Véga se succèdent à une cadence soutenue sur le pas de tir du Centre Spatial Guyanais du CNES (Centre National dEtudes Spatiales).
Lancement d'Ariane (© CNES)
Et tout autour de ces fleurons technologiques, une ville entière leur est dédiée, de la fabrication des composants des différents lanceurs à
la logistique pour acheminer les « colis » arrivés d'Europe . « L'emprise du Centre Spatial Guyanais, c'est 760 km2, l'équivalent des 2/3 de la Martinique », explique Henri Brunet Lavigne,
chef du service infrastructures du CSG. « Pour bien saisir l'échelle de notre présence ici en Guyane, il faut se rendre compte que nous produisions ¼ de l'électricité guyanaise, nous
avons 5 centrales thermiques qui produisent 40 MW, ce qui nous permet d'être autonomes ». Sur la base de Kourou, le service Infrastructures couvre tous les secteurs : production d'énergie et
climatisation, bureau d'études pour gérer tous les corps de métiers et entreprises menant les travaux dans le centre, la gestion des déchets, la protection (qui
nécessite notamment une coordination avec la présence permanente d'un bataillon de pompiers de Paris, celle des gendarmes et des plongeurs-démineurs), l'entretien du domaine
avec les infrastructures routières et portuaires.
(© CNES)
Parce quil y a un port à Kourou. C'est même devenu un rouage essentiel de la logistique aérospatiale. « Le port de Paracaïbo existe depuis 1965,
cest un port privé qui dépend administrativement de Degrad des Cannes (NDLR : le port de Cayenne). D'un port plutôt dédié à la sécurité et à l'approvisionnement pétrolier, il est
devenu, avec le lancement du programme Ariane 5 en 1992, un port logistique ». Depuis 1978 et le programme Ariane 1, les éléments de la fusée arrivaient au port de Degrad des Cannes, d'où ils
étaient chargés sur des camions pour rejoindre Kourou. Avec Ariane 5, on change de dimension. La taille du corps central du nouveau lanceur, ainsi que d'un segment des boosters,
construits en Europe, interdit le passage des ronds-points et des ponts. « Il fallait donc trouver une solution pour les amener au plus près, à Paracaïbo ».
Or, Paracaïbo, c'est un peu comme tous les ports de cette région de l'estuaire de l'Amazone. Il est régulièrement englué par toute la vase et
les sédiments charriés par le grand fleuve. Alors, le CNES a décidé de creuser et d'entretenir un chenal garantissant un tirant d'eau à 2.70 mètres à basse mer, de 14 kilomètres de long et 60
mètres de large. Une drague, la Gemma, de la compagnie néerlandaise Boskalis, effectue un travail constant pour garantir ces cotes.
L'appontement de Paracaïbo et la drague Gemma ( GILDAS LE CUNFF DE KAGNAC)
Et puis il a fallu trouver des navires adaptés. En 1978, les premières rotations étaient effectuées par le Carimaré, de la CGM. Ensuite ce fut le
Mont Ventoux, toujours de la CGM. A partir de 1984, c'est la Maritime Nantaise qui a pris le relais avec d'abord l'Atlas puis l'Ariana. Avec l'arrivée du programme Ariane 5 et
l'obligation de chenaler à Kourou, décision est prise de construire un navire roulier dédié, disposant d'une grue de levage de 40 tonnes, d'un pont garage de 90 mètres de long sur 8 mètres
de haut et d'un stockage de conteneurs en pontée : le MN Toucan sort des chantiers néerlandais Merwerde en 1995 : 116 mètres de long, 20 mètres de large et 5 mètres de tirant d'eau. Le MN
Colibri, qui suivra en 2000, a les mêmes dimensions, calculées en fonction de la rivière.
Le MN Colibri dans le chenal de Kourou (CNES)
Le MN Colibri devant Kourou (CNES)
Les deux navires effectuent des rotations régulières entre les ports européens et la Guyane. A chaque voyage ils peuvent embarquer jusqu'à 55
colis, soit 650 tonnes. Au retour, ils ramènent 450 tonnes de colis vides. Il peuvent accueillir, par voyage, un lanceur Ariane 5 ou deux lanceurs Soyouz qu'ils chargent uniquement l'été à
Saint-Petersbourg ou deux lanceurs Vega.
La rotation classique européenne commence à Livourne en Italie, où les segments de booster d'Ariane (ou Vega) sont embarqués. Le segment S1,
chargé en poudre, est amené sur remorque dans le garage, où il est placé sous une « zone de déluge ». Les segments S2 et S3 sont chargés dans les conteneurs en pontée. Ensuite, au Havre, c'est
l'étage principal cryotechnique de 54 mètres de long, le système de lancement double et les conteneurs pyrotechniques qui sont amenés à bord. A Rotterdam, ce sont les demi-coiffes arrivés
de Suisse par barges, qui sont embarquées, alors qu'à Brême, est enfin pris en charge l'étage supérieur cryotechnique.
Accostage du MN Colibri (CNES)
(CNES)
Déchargement des éléments en pontée (CNES)
(CNES)
A l'arrivée en Guyane, c'est une manoeuvre délicate, notamment pour l'évitage, qui attend le navire. « le bassin dévitage est maintenu à
une côte de 4 mètres. Mais c'est vrai que les conditions ici, surtout quand il y a beaucoup de pluie, du courant ou du vent, exigent une excellente connaissance du coin ». Une fois à quai à
marée haute, la rampe de déchargement est posée et la porte de 8 mètres de haut est ouverte. Les segments de boosters chargés en poudre sont débarqués en premier et sous très haute
surveillance. Ce sont ensuite les conteneurs dangereux qui sont pris en charge, avant le reste de la cargaison. « C'est impressionnant, mais ça fonctionne très bien ».
Avec l'augmentation des cadences de lancement pour les lanceurs européens et la récente arrivée de Soyouz, Paracaïbo n'est pas prêt de
s'envaser
Lancement de Soyouz (CNES)