L’innovation française sous contrôle syndical
Innover, c’est créer l’imprévisible. Avoir imaginé d’en confier la gestion à des organismes où règnent en maître les syndicats, quel contresens pour ne pas dire non-sens. C’est pourtant ce qui arrive dans la grande Banque Publique d’Investissement, la BPI, dont la taille seule fait peur. Au cœur de cette tourmente, en effet, Oséo compterait maintenant 1.800 salariés.
Et les syndicats seraient vent debout contre l’intention du gouvernement de confier la gestion de la BPI à une holding ayant deux filiales : Oséo et le FSI. Les syndicats dont on connaît le dynamisme.
Puisqu’avec moins de 5% des salariés français payant encore une adhésion à un syndicat, leur seule force de résistance reste la fonction publique ou
les services publics, comme la SNCF. Ils sont encore capables de faire trembler un gouvernement mais seulement en s’identifiant avec des combats d’arrière-garde et la défense d’intérêts
catégoriels.
Certes, Oséo, ce n’est pas seulement Oséo Innovation, c’est aussi toute l’ancienne Banque des PME qui est supposée faire des prêts aux entreprises pour pallier les [défaillances du marché], suivant le lingo qu’affectionnent les économistes de l’étatisme. S’il existe pourtant un domaine où le guichet unique ou quasi-unique est une absurdité, c’est bien celui du financement de l’innovation et de tous les projets de développement et d’expansion des entreprises et particulièrement des PME.L’une des forces de l’Allemagne est bien d’avoir plus de 1.800 banques contre moins de 500 en France et que ces banques soient près de leurs clients.
Que le même gouvernement soit capable de castrer l’investissement privé comme il l’a fait en sanctionnant à travers l’article 6 du Projet de loi de Finances 2013 ceux qui investissent dans l’avenir de nos entreprises à travers des fonds communs de placement à risque, et simultanément mette l’argent du contribuable et nos espoirs de créer des entreprises et des emplois dans un énorme organisme public qui va regrouper plus de 2.000 salariés et où les syndicats se déchirent pour savoir qui va avoir la plus grande part du gâteau, montre que près d’un quart de siècle après la chute du mur de Berlin, notre « élite » politique, et surtout administrative, à la tête de Bercy n’a pas appris et surtout compris grand-chose de ce qui est pourtant le ressort fondamental de l’économie.
Par Bernard Zimmern, Président de la fondation IFRAP
Industrie automobile : La France, l’Allemagne… et la confiance
Licenciements chez Renault, grèves à Aulnay, manifestations devant le domicile du président de Peugeot, l’automobile française va mal. Alors que Volkswagen doit créer des équipes de nuit pour faire face à la demande, que l’automobile allemande reste bénéficiaire et peut se payer d’énormes budgets d’investissement qui lui consolident son avenir.
Plusieurs explications ont été données pour expliquer cette disparité. L’une des plus répandues est que nous aurions des coûts de main-d’œuvre trop forts qui rendraient la compétition inégale.
Ces explications ne sont pas satisfaisantes car les salaires dans l’industrie automobile allemande sont restés plus élevés. Même si les comparaisons effectuées par l’INSEE sont un peu anciennes parce que ces enquêtes ne sont faites que tous les 4 ans, le salaire moyen allemand était de 29% [1] supérieur au nôtre en 2008.
Il y a d’autres facteurs beaucoup plus importants que le prix de la main-d’œuvre qui expliquent que la main-d’œuvre allemande peut être payée plus cher et que cependant les ventes et parts de marché croissent, et qu’à l’automne 2012 les industries allemandes peuvent s’offrir le luxe de donner à leurs personnels des primes exceptionnelles de milliers d’euros, alors que nos industries automobiles ne parlent que de plans de licenciement.
Le premier facteur est certainement une politique de véhicules de haut de gamme , politique associée à la haute performance technique de l’industrie mécanique allemande dont il ne faut pas oublier qu’elle a été la première à introduire un certain nombre de révolutions techniques comme l’utilisation des outils carbure, et dont l’industrie de la machine-outil est restée l’une des premières du monde.
Cette maîtrise du haut de gamme a permis de déplacer vers des pays à plus bas coût de main-d’œuvre des véhicules moins performants, comme l’a fait d’ailleurs Renault avec Dacia ; c’est la réussite de Volkswagen reprenant Skoda (République tchèque) et en faisant l’un des fournisseurs des taxis parisiens les plus prisés. Ou même SEAT (Espagne), qu’aucune autre firme n’était arrivée à rendre rentable.
Le second facteur est que l’Allemagne est restée le pays qui innove en mécanique : par exemple les boîtes de vitesse à double embrayage qui équipent maintenant la plupart des véhicules, même de bas de gamme, et que les Américains comme Ford leur achètent pour en équiper leurs véhicules vendus aux USA . Le double embrayage, inventé en France dans les années 1920, permet de garder une accélération permanente sans chute de traction au changement de vitesse, comme les boîtes à convertisseur hydraulique, mais sans l’excédent de consommation d’environ 10% de ces convertisseurs.
Le troisième facteur est la qualité des mécaniques allemandes, qualité qui assure par exemple à Mercédès une prime sur le marché de l’occasion depuis longtemps, et qui s’appuie sur une maîtrise de son apprentissage, apprentissage en perdition chez nous, aux mains de l’Éducation nationale. En mécanique, le prix de revient dépend d’abord du coût pour obtenir des pièces réalisées au centième et ceci de façon régulière. Il faut des années pour former des ouvriers qui sauront faire tourner des tours automatiques ou des machines à commande numérique avec ces précisions et un minimum de pièces mauvaises. Les Allemands ont laissé la formation de leurs apprentis à l’industrie ce qui, d’une part leur garantit qu’ils seront formés avec les matériels dernier cri, d’autre part établit entre la firme qui forme et l’apprenti un lien humain solide où l’apprenti est challengé à donner son meilleur et où l’entreprise peut savoir avec précision les points forts et points faibles de sa future recrue.
Mais, quatrième facteur, pour garder leur avance en innovation, les Allemands ont eu la chance de ne pas avoir de politique industrielle. Ainsi, en France, avec les programmes JEI, FCPI, Fonds National d’Amorçage, etc. cela fait bien trente ans que l’État délègue à une technocratie administrative mais sans responsabilité (dont l’ANVAR, maintenant Oséo Innovation), le soin de dire quelles entreprises ou quelles innovations doivent être soutenues avec les deniers de l’État. L’OCDE en a livré les résultats il y a deux ans : plus de la moitié des innovations allemandes sont des innovations de marketing, dictées par le client, contre seulement 20% en France. C’est que l’ANVAR ne sait pas qualifier d’innovant quelque chose qui est une idée de marketing, mais seulement ce qui peut donner lieu à un brevet et être « fabriqué ». Et tout l’effort étatique, tous les avantages fiscaux sont donc dirigés vers ce qui est fabriqué avec comme résultat que ce qui attire les clients et crée un marché est relégué au second plan.
Le résultat de nos politiques industrielles se mesure à ce qu’il n’y a plus d’industrie puissante de la machine-outil. Elle est actuellement dix fois plus petite que l’allemande, ou même que la suisse, et n’a cessé de rétrograder. Or, sans maîtrise de ses machines-outils, une industrie de fabrication ne peut être compétitive.
Il faut donc se demander si le facteur principal du succès des entreprises automobiles allemandes est le coût de leur main-d’œuvre ou la chance d’être dans un pays qui fait confiance aux dirigeants d’entreprises et où l’État ne se mêle pas, ou infiniment moins, de politique industrielle.
Bernard Zimmern est un chef d’entreprise et un militant associatif. Il fut, entre autre, le président-fondateur de la société OMPHALE et de Single Screw Compressor Inc.(USA) pour lesquels il déposa plus de 500 brevets dans le domaine des compresseurs rotatifs. Il est président de l’Institut français pour la recherche sur les administrations publiques (iFRAP) qu’il a fondé en 1985 sur ses fonds propres. En septembre 2012, Bernard Zimmern lance « emploi 2017″ un site de réflexion sur la création d’emplois. Il a reçu la médaille Giffard de la Ville de Paris pour sa contribution au prestige de la mécanique française à l’étranger, la médaille d’or du Refrigeration Institute (Londres), ainsi que le « prix renaissance de l’économie ».
Source: http://www.jeanmarc-sylvestre.com/