L’économiste, spécialiste de la pauvreté, a été nommée au sein du Conseil présidentiel pour le développement global d’Obama. Son atout : un pragmatisme plus apprécié à Washington qu’à Paris.
Traditionnellement, “nul n’est prophète en son pays”… Esther Duflo, économiste française spécialiste de la pauvreté et du développement, illustre à merveille ce dicton. Qui, en dehors d’un cercle d’économistes et de professeurs, connaît cette enseignante discrète, pourtant première titulaire de la chaire “Savoirs contre pauvreté” au Collège de France ? Il est vrai que cette jeune femme à la silhouette sportive et à la voix douce, peu coutumière des plateaux de télévision, ressemble peu aux ténors de l’économie.
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Sa notoriété est tout autre aux États-Unis. Distinguée en 2010 — c’était déjà inattendu… — par la revue américaine Foreign Policy dans sa liste des “100 premiers penseurs mondiaux”, Esther Duflo vient aujourd’hui d’être nommée au sein du Conseil présidentiel pour le développement global créé en 2012 par la Maison-Blanche. Cette instance restreinte — neuf personnes seulement — est dirigée par une personnalité très en vue sur la scène médiatique américaine, Mohamed el-Erian, président de Pimco, premier fonds mondial d’investissement sur les marchés obligataires.
Les raisons de ce succès outre-Atlantique ? Mieux que l’intéressée elle-même, pour l’instant très discrète, Guy Sorman, économiste français qui vit entre New York et Paris, est à même de les analyser.
« C’est d’abord le sujet des travaux de madame Duflo qui intéresse aux États-Unis ; la pauvreté est une thématique majeure pour de nombreuses fondations américaines qui y consacrent beaucoup d’argent sans être sûres de leur efficacité. Son second point fort, c’est sa méthode ; elle travaille sur l’évaluation et à ce titre nous ramène au terrain. »
De fait, Esther Duflo revendique une pratique de la “micro-expérimentation” qui s’éloigne radicalement de l’univers des théories économiques. Pour comprendre les mécanismes qui prévalent dans la formation et le maintien de la grande pauvreté, et pour préconiser des politiques publiques et privées susceptibles de lutter contre cette pauvreté, Esther Duflo tourne résolument le dos aux idéologies qui, dit-elle, « empêchent de réfléchir et obscurcissent le débat ». Entre une vision planificatrice et dirigiste d’un côté et, de l’autre, une attente confiante des solutions que devraient apporter spontanément les forces du marché, Esther Duflo prétend dessiner une troisième voie ; les politiques de lutte contre la pauvreté des États aussi bien que les programmes gérés par des acteurs privés doivent s’appuyer, explique-t-elle, « sur des preuves expérimentales rigoureusement construites ».
Des méthodes en réalité déjà éprouvées sur d’autres terrains ; comme le font les chercheurs dans le secteur du médicament, il s’agit de mettre en place des “essais aléatoires” pour obtenir des résultats évaluables et reproductibles en fonction de leur efficacité. Le laboratoire qu’Esther Duflo dirige au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston avec l’économiste indien Abhijit Banerjee s’applique par cette voie à répondre à des questions simples : « Pourquoi une campagne de vaccination réussit-elle dans un cas et échoue-t-elle dans l’autre ? » ou bien « Quelle est la façon la plus efficace de distribuer des moustiquaires pour éradiquer la malaria dans une région ? », etc.
Résultat — et peut-être limite de ces travaux —, les chercheurs du laboratoire d’Esther Duflo s’intéressent aux micro-initiatives plus qu’aux vastes projets, dont ils auraient même tendance à se méfier, croient davantage au poids de l’environnement local qu’à celui des données macroéconomiques, misent davantage sur l’implication des individus que sur la détermination de leurs gouvernants.
Un pragmatisme mieux compris outre-Atlantique qu’en France, où le “discours de la méthode” semble toujours plus noble qu’un empirisme perçu comme un peu trop terre à terre…
Source:Valeurs actuelles